Pour qui suit ces Traces depuis mai 2020, il est évident que tout ce qui survient depuis ces 5 ans, et plus encore depuis le sacre de Trump, est comme une démonstration que rien de ce qui est avancé ici ne se réalisera. Pis encore, les conditions de réalisation de cette « étude de faisabilité » sont fragilisées chaque jour. Continuer malgré tout est ma façon de résister. Les empires crouleront, le plus tôt étant le mieux.
Ici, en Italie, Meloni renvoie, par vol d’Etat, le pire tortionnaire Libyen, El Asmari : cela illustre la dépendance du pays au pétrole libyen (35% des importations), mais aussi celle de toute l’Europe, terrorisée à l’idée que les criminels accords de 2017 ne soient remis en question.
Une France « submergée », c’est la parole odieuse employée en France par Bayrou, premier ministre, offrant une victoire idéologique de plus au Rassemblement National, tandis que les deux ministres de l’intérieur et de la justice rivalisent de propositions de la même eau, vers une atteinte au droit du sol.
Aux Etats-Unis, la frontière, et ceux qui la franchissent, sont le prétexte commode à l’instauration de déportations : on parle de 1800 par jour, pour réaliser le programme absurde de Trump.
Des voix sensées s’élèvent. Parmi elles, celle de Claudia Sheinbaum Pardo, présidente du Mexique :
« Alors, vous avez voté pour construire un mur… eh bien, mes chers Américains, même si vous ne comprenez pas grand-chose à la géographie, puisque pour vous l’Amérique est votre pays et non un continent, il est important qu’avant de poser les premières briques, vous découvriez qu’il y a, à l’extérieur de ce mur, 7 milliards de personnes. Mais comme vous ne connaissez pas vraiment le terme « personnes », nous les appellerons « consommateurs »…. Nous savons, par exemple, que si ces 7 milliards de consommateurs n’achètent pas vos produits, il y aura du chômage et votre économie (à l’intérieur du mur raciste) s’effondrera au point que vous nous supplierez de démolir le mur fatidique. Nous ne voulions pas, mais… vous vouliez un mur, vous allez avoir un mur. Cordialement. » Claudia Sheinbaum.
Ce thème de frontières, et d’exils, a été maintes fois traité ici, notamment Traces 14 et 61, avec Catherine Wihtol de Wenden et son livre « MIGRATIONS – UNE NOUVELLE DONNE » (2016). Elle fait partie de ceux qui plaident pour une ouverture des frontières, pour fluidifier, dans les deux sens, les échanges. Nous la retrouvons ici avec une publication récente : « IMMIGRATION- INDIFFERENCE, INDIGNATION, DESHUMANISATION » (2025).
Ceux qui ont peur, et ceux qui meurent : « Dans un paysage marqué par la peur de l’Autre, l’irrésistible ascension des partis d’extrême-droite et le choix européen d’une approche militarisée des frontières avec 3000 morts en Méditerranée en 2022, et 4064 en 2023. »
L’immigration est inéluctable, quelque soient les obstacles que l’on y oppose : « François Héran rappelle : « L’immigration, c’est un mouvement planétaire au caractère inéluctable que les acteurs politiques ont du mal à admettre.»
Les conventions internationales sont claires, mais constamment bafouées : « Les deux tiers de la population mondiale ne peuvent circuler librement. Le droit à la mobilité a pourtant été énoncé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 – en son article 13, qui ne définit pas le droit d’installation, et par le droit d’asile qui est garanti par la Convention de Genève de 1951. »
Le phénomène est en augmentation : « Les migrations internationales, soit 284 millions en 2023, ont plus que doublé depuis la fin du XX° siècle où elles étaient au nombre de 120 millions. Ce chiffre ne représente que 3.6% de la population mondiale… Les plus grands moteurs de départ sont l’absence d’espoir, l’aspiration à changer de vie, la nécessité de fuir un pays en guerre, les discriminations à l’égard des femmes ; les migrations environnementales (70 millions de migrants environ concernent surtout pour l’instant des migrations internes dans leur pays pour les deux tiers. »
L’Europe, on l’a vu Traces 351 et 352, avec Didier Fassin et Anne-Claire Defossez, dans « L’exil, toujours recommence » a signé des accords criminels aux conséquences meurtrières : « C’est la dimension sécuritaire qui l’a emporté, avec nombre d’accords d’externalisation des frontières, bi- et multilatéraux (plusieurs centaines) comme avec la Libye à laquelle l’Union européenne a confié le rôle essentiel dans le contrôle des départs vers l’Europe… L’ « enfer libyen » est dénoncé par le département des droits de l’homme des Nations-Unies en 2007. »
L’exemple ukrainien a pourtant démontré nos capacités d’accueil : « En 2022, l’accueil des Ukrainiens a tranché, selon un double standard, avec celui des Syriens, Irakiens, Afghans et autres Moyen-Orientaux de 2015.
Notre projet essaie d’anticiper la question des exilés climatiques : « Les déplacés environnementaux ne sont pas, à court terme, un défi pour l’Europe…. Les experts du GIEC considèrent que leur nombre pourrait dépasser 216 millions au milieu de ce siècle, voire davantage…Les tentatives de délivrance pour eux d’un statut international (l’initiative Nansen de 2011) n’ont pas abouti : L’initiative Nansen s’est orientée non vers un statut international des déplacés environnementaux mais vers une série de statuts régionaux. Cette réponse est potentiellement porteuse de profondes inégalités de protection, entre déplacés du Nord et du Sud de la planète… »
On notera ici la migration , idéologique, du présumé centre vers l’extrême-droite : « Dès 1985, le club de l’Horloge, organe de réflexion du Front National, lance le débat sur la modification du droit de la nationalité afin de supprimer le droit du sol avec deux ouvrages, publiés en 1985 et 1987 , « La préférence nationale » de Jean-Yves Le Gallou, et « Etre français , cela se mérite » (Bonjour Bayrou !!) de Jean-François Jalkh. »
Moins le niveau d’éducation est haut, plus on a voté Trump, plus on vote Rassemblement National :
https://www.ipsos.com/fr-fr/legislatives-2024/sociologie-des-electorats-legislatives-2024
Et, naturellement : « Selon un sondage IFOP en 2023, plus les connaissances sur l’immigration sont faibles, plus les opinions en leur défaveur sont fortes. »
En attendant, les morts se multiplient : « En 10 ans, depuis 2014, plus de 29500 femmes et hommes sont morts en Méditerranée. Ils ont souvent subi auparavant aux frontières homicides, tortures, viols, mises en esclavage, refoulements illégaux … Le directeur exécutif de FRONTEX de 2015 à 2022, Fabrice Leggeri, a été conduit à la démission en 2022 pour avoir pratiqué des « push back », provoquant des morts au large de la Grèce.
Les lois inutiles, et dangereuses, toujours plus menaçantes pour les droits humains, aussi : « Adoptée le 19 décembre 2023, la trentième loi votée depuis 1980 « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » a été qualifiée de loi de la honte par les associations de défense des droits des migrants. Les juristes ont considéré qu’il s’agit de la pire loi jamais votée : déshumanisation et précarisation des étrangers, portant atteinte à la dignité humaine et au principe d’égalité, en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’homme … »
Cette onction, cette victoire idéologique du Front National n’est pas pour rien dans sa progression aux dernières élections. Ainsi : « Une fuite en avant se dessine dans la surenchère à la fermeté, à la sécurisation des frontières et à leur militarisation. »
Pour revenir sur la frontière USA/Mexique, citée plus haut, Wihtol de Wenden cite Argan Aragon : « Migrations clandestines d’Amérique centrale vers les Etats-Unis » (2015) : « Dans ce livre, la frontière est omniprésente, par ce qu’elle représente de violations de droits de l’homme, d’argent pour les passeurs, d’interceptions par les cartels de la drogue et aussi quant au sort des femmes et des morts. »
CONCLUSION
D’un côté, l’autrice s’interroge : « Avec 115 millions de réfugiés dans le monde en 2023, y a-t-il une place pour la négociation ? 90% des réfugiés proviennent de pays pauvres. Ils recherchent des valeurs de paix et de sécurité… »
Elle se scandalise de l’indifférence générale envers le sort des exilés : « Ce qui frappe, c’est l’indifférence avec laquelle l’intolérable est reçu, qu’il s’agisse des morts en Méditerranée, des déplacés environnementaux privés de statut, des camps, des millions de sans-papiers, de l’ignorance, du scepticisme et du désintérêt qui entourent les perspectives de meilleure gestion des migrations. »
Et plaide, dans un moment où les institutions internationales sont remises en question : « Peut-être un tribunal international viendra-t-il un jour condamner les exactions commises au nom de la sécurisation des frontières et des politiques de dissuasion, en reconnaissant un plus large droit à la mobilité et à l’accès à la citoyenneté. »
Le deuxième volet, dans le prolongement des Traces 353 et 354, consacrées aux « Iles » de Marie Cosnay, se penchera sur les morts, victimes de ces frontières. Nous lirons « RELIER LES RIVES – SUR LES TRACES DES MORTS EN MEDITERRANEE » (2024) de Carolina Kobelinsky et Filippo Furri : si les rites funéraires sont aux fondements mêmes de notre civilisation, qu’advient-il quand nous les négligeons ?