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Billet de blog 13 février 2025

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Trace 150-Traction animale 1

Toute utilisation de la force animale est-elle déjà  en soi maltraitance ou bien cela dépend-il de modes de faire, qui peuvent soit basculer vers la maltraitance, soit au contraire, se pratiquer dans une forme de complicité ?

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Enquêter, sans préjugé, et sans pouvoir trancher à tout coup, sur quelle technique embarquer dans ces années 2050 qui s’annoncent rudes, tel a été notre travail, notamment au long des dernières Traces, sur l’énergie. Déjà, parlant de transports (Trace 109), nous évoquions la traction animale.

L’examiner, sans nostalgie d’un bon vieux temps qui ne fut guère bon, en particulier pour les animaux de trait, mais sans non plus un attachement excessif à ces conquêtes du XXème siècle, voitures et autres engins à moteur,  que nous n’avons que trop utilisées, voilà le but de ces deux Traces. Nous aborderons dans un premier temps des thèses pouvant critiquer l’usage de animaux de trait, puis nous nous tournerons vers des expériences « heureuses », ou supposées telles, les chevaux ne parlant guère.

 Il a déjà été question ici, à de multiples reprises, d’abandonner un point de vue strictement anthropocentrique, mais, bien au contraire, de voir comment partager la Terre et ses ressources entre les hommes et autres animaux non-humains, nos cousins. Depuis Elisabeth de Fontenay, et son « Silence des bêtes- La philosophie à l’épreuve de l’animalité » (1998), la philosophie entreprend de revoir nos rapports avec celles-ci.  Toute utilisation de la force animale est-elle déjà  en soi maltraitance ou bien cela dépend-il de modes de faire, qui peuvent soit basculer vers la maltraitance, soit au contraire, se pratiquer dans une forme de complicité ?

Première objection qui vient à l’esprit : de quel droit ? De quel droit usons nous du cheval, divinisé par nos lointains ancêtres, comme relaté par Jean Rouaud, dans « La splendeur escamotée de frère Cheval, ou le secret des grottes ornées » (2018). (Voir Trace 9), pour lui monter dessus, et l’atteler, et le mener en toutes occasions, de la paix à la guerre ? Dans les fresques de Piero della Francesca à Arezzo figurent ainsi quelques chevaux révulsés par l’âpreté des combats, et comme scandalisés par la violence humaine.

Elisabeth de Fontenay cite Lévi-Strauss : « On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes , et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion . » CLS « Anthropologie structurale » (1973).

Un « cycle maudit », commencé avec les premiers esclaves, et les premières domestications d’animaux. (Voir Traces 113 à 115)

De fait, comme le souligne le titre même de  l’article suivant, de la revue Ballast, les luttes animales sont difficilement séparables des luttes sociales :

https://www.revue-ballast.fr/luttes-animales-et-luttes-sociales/?fbclid=IwAR3WzFiJnvykDi_5gIW4GC8g1gfhRuoiR4w0cisH2RXhP7Vu3oqfvZF0cMQ

 « La parole est à Angela Davis. Elle l’assure : la cause animale sera « l’une des composantes de la perspective révolutionnaire » à venir….Des mots d’Angela Davis et de leur actualisation historique dérivent deux propositions. La première est qu’il n’est plus possible d’envisager l’histoire de la cause animale sans faire une place pour la pensée socialiste. La seconde, que cette même pensée socialiste ne peut plus s’envisager sans qu’elle prenne en compte ce qu’il est désormais commun d’appeler « le vivant ». Nous entendons par socialisme cet idéal d’organisation social qui s’est constitué au XIXe siècle en opposition au mode de production capitaliste. Communisme (marxiste ou non), anarchisme (et ses divers courants) et réformisme social (social-démocratie) en sont tous trois issus. Allons jusqu’à l’os et gardons-en ses termes centraux : égalité et justice. Comment nier aux animaux ces principes qui nous animent ? Nous ne sommes pas les premiers à poser la question. » Ballast

Dans « Le cheval dans le transport public au XIXe siècle, à travers les collections du Musée national de la Voiture et du Tourisme, Compiègne »  (2015)  Élise Fau répertorie à travers les œuvres du Musée les différentes souffrances endurées par les chevaux  de trait au XIX° siècle :

« Si la photographie d’Atget peut se lire comme l’image d’une utilisation raisonnée de la force de travail des chevaux, plusieurs oeuvres de la collection attestent de situations nettement plus dramatiques. Toutes témoignent des conditions de travail auxquelles étaient soumis les chevaux utilisés dans le transport public urbain, dont on sait qu’elles constituèrent l’un des facteurs déclencheurs d’un mouvement d’opinion en faveur d’un meilleur traitement des animaux, justifiant la naissance de la Société protectrice des animaux et le vote en 1850 de la première loi de protection des animaux domestiques, dite loi Grammont. Celle-ci fut la première à envisager la protection des animaux au nom

du respect de l’animal pour lui-même et non, comme c’était le cas dans le cadre de la loi du 28 septembre 1791, au titre du préjudice subi par son propriétaire du fait de la dépréciation ou du décès de l’animal.

En effet, les chevaux employés dans le transport public s’usaient prématurément, d’abord en raison des spécificités du travail qu’ils devaient fournir, les allures vives qui leur étaient imposées, même de courte durée, étant de nature plus éprouvante que la traction de charges plus lourdes à des allures plus lentes. Ainsi, un cheval de mine avait-il une carrière environ deux fois plus longue qu’un cheval employé à la traction des omnibus de la CGO. Cependant, le travail des chevaux de fiacre était, par comparaison avec celui des chevaux d’omnibus, sensiblement plus difficile. En effet, les chevaux d’omnibus travaillaient sur des parcours presque toujours identiques et à horaires fixes, couvrant en

1869 une distance moyenne de 16,5 km par jour en trois heures et demie ou quatre heures. Les chevaux de fiacre effectuaient quant à eux des parcours libres, sur des distances et à des vitesses variables, sans bénéficier de repas ou de moments de récupération réguliers. À la fin du XIXe siècle, un fiacre de la CGV parcourait en moyenne 60 km en seize heures. Les conditions de travail des chevaux de fiacre dépendaient également davantage de leur cocher. »EF

Que dit la loi ? Les limites sont aujourd’hui définies par l’OIE : L’Organisation Mondiale de la Santé Animale (l’OIE) a entre autres pour mission de promouvoir le bien être animal par une approche scientifique : https ://www.oie.int/fr

L’OIE a établi un « Code sanitaire pour les animaux terrestres ». Les chapitres réservés au bien-être animal ne font en aucun cas référence à une quelconque considération philosophique. Le chapitre 7.1 du code y reprend la définition du bien-être animal : On entend par bien-être animal l’état physique et mental d’un animal en relation avec les conditions dans lesquelles il vit et meurt.

Le bien-être d’un animal est considéré comme satisfaisant si les critères suivants sont réunis : bon état de santé, confort suffisant, bon état nutritionnel et sécurité. Il ne doit pas se trouver dans un état générateur de douleur, de peur ou de détresse, et doit pouvoir exprimer les comportements naturels essentiels pour son état physique et mental.

L’article 7.1.2 du même chapitre évoque les « Principes directeurs pour le bien-être animal » et précise entre autres les cinq libertés universellement reconnues :

– être épargné de la faim, de la soif et de la malnutrition,

– être épargné de la peur et de la détresse,

– être épargné de l’inconfort physique et thermique,

– être épargné de la douleur, des blessures et des maladies,

– être libre d’exprimer des modes normaux de comportement. 

Les films du Paris fin XIX° et début XX° siècle nous font rêver à juste titre.

https://www.youtube.com/watch?v=NjDclfAFRB4

 Mais est-ce dû à la présence des voitures à cheval ? A cause du calme qui semblait y régner ? C’est surtout sans doute dû au fait que les déplacements en voiture devaient être réservés à une petite minorité, sous l’effet d’une forte stratification de la société, ou bien sous peine d’interdictions comme celles qu’édicta déjà l’empereur Hadrien, prohibant la circulation des chars à Rome entre 6 h et 16 h ?

Quoiqu’il en soit, même si  le transport attelé était employé par une minorité, on peut imaginer l’odeur de crottin qui devait flotter dans l’air. A l’époque les troupeaux traversaient aussi Paris, en direction des abattoirs, et donc les nez étaient sans doute moins aiguisés. Alain Corbin a écrit là-dessus… Sans doute, tout bien senti, était-ce moins dangereux que les particules fines ? Aujourd’hui, où même à la campagne les odeurs de bouses paraissent offensantes, une loi a dû être édictée pour «  définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ».

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-286.html

De la philosophie aux chicaneries entre voisins, je n’aurai rien épargné des troubles où jettent les attelages. Le prochain texte exposera les atouts d’un retour à la traction animale.

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