Continuons notre parcours de la traction animale, dans un monde sans énergie fossile.
Sur la traction animale en ville, nous serons dans un premier temps un peu réservés, en attendant la fin des voitures. Même si l’utilisation des ânes pour le ramassage des poubelles à Riace (T80), par exemple, paraît appropriée.
Aussi nous nous concentrerons aujourd’hui sur la traction animale en agriculture :
Suivant l’Académie d’Agriculture de France : « En 1950, la traction animale assurait encore 85 % des besoins énergétiques de l'agriculture française ; mais déjà en 1956 elle pesait un peu moins de 50 %, puis elle devint très marginale à partir de 1975.
Près de 500 opérateurs de l'énergie cheval ont été recensés en 2020, dont 92 % de professionnels : la traction maraîchère concerne 171 opérateurs, la traction viticole recense 133 opérateurs.
Le débardage ne concerne que 69 opérateurs recensés, qui ont aussi d'autres activités. L'entretien de l'espace dénombre 44 opérateurs. Le transport des personnes est exercé par 134 opérateurs, qui ont aussi d'autres activités liées à la traction animale. » AA
Maxime Beurrier, dans « Traction animale moderne en agriculture : Quatre cas d'étude français et suisses » (2021) se concentre sur les exploitations, moins nombreuses, pratiquant les cultures céréalières et fourragères, plus importantes, donc plus significatives : « Souvent considérée comme arriériste, la traction animale ne suscite que très peu d’émulation dans le monde académique, avec un socle de connaissances vieillissant. Pourtant, ses partisans la chargent de nombreuses promesses, moindre tassement des sols, moindre impacts écologiques, avantages
économiques, satisfaction au travail etc. En considérant cela, il semble donc intéressant que la
recherche s’intéresse à nouveau un peu plus à la pratique, représentant potentiellement une des
rares alternatives à notre agriculture globalement pétro-dépendante. » MB
Nous allons entendre :
« Ferme 1 : Hugo Sjongers, installé dans l’Allier en France depuis 2000, en système de polyculture élevage (bovins allaitants) sur 60ha de SAU. La traction animale y est mobilisée pour les productions de fourrages, céréales, betteraveset pomme de terre.
Ferme 2 : Denis Adam, installé dans le Jura en France depuis 2014, en production de bovins allaitants sur près de 30ha de SAU. La traction animale y est mobilisée pour les cultures de fourrages et de légumes de plein champ.
Ferme 3 : Mikaël et Bianca Zuercher installés dans le Jura Bernois, en Suisse, depuis 2017 en productions laitière bovine et caprine sur 37ha de SAU. La traction animale y est mobilisée pour la production de fourrages, le tourisme, et la culture de pomme de terre.
Ferme 4 : Emmanuel et Ursina Schmid, installés dans le Jura Bernois, en Suisse, depuis 2001 en production de bovins laitiers sur 36ha de SAU. La traction animale y est mobilisée pour la production de fourrages, de céréales et de pomme de terre. » MB
Ecoutons-les, leur parole est le sel de cette recherche : à chacun de tirer de ces paroles ses propres conclusions :
« Ce n’était pas une amélioration cette modernisation mais c’était un poids sur l’humain, sur le paysan, d’avoir acheté tout ça, d’être endetté, d’avoir le stress des pannes du matériel, etc. »
Hugo Sjongers
« Je n’ai jamais voulu être paysan sans travailler avec les chevaux »
Emmanuel Schmid
« Je suis tellement bien avec mes chevaux […] je suis tellement bien que j’ai réappris à chanter. On chantait à l’école avant, le prof nous apprenait mais ça c’est perdu […] et si tu es dans l’agriculture moderne, mais quand est-ce que tu vas chanter ? Tu es stressé et pressé tout le temps. » Hugo Sjongers
« Avant c’était du matériel simple, le maréchal-ferrant quelquefois il réparait la herse et la charrue lui-même dans le village, c’était une bonne technique, il battait le fer, c’était solide, alors que maintenant on manque de ce savoir-faire d’époque, ça n’existe plus. » Hugo Sjongers.
« Alors je me suis posé la question, on peut dire qu’on est 7 milliards d’humains aujourd’hui et qu’on va être 10 milliards. Est-ce qu’on a la place, est-ce qu’on peut continuer à faire tourner les villes ainsi, avec seulement quelques paysans dans nos pays pour nourrir une grande majorité de la population […] je défends qu’on n’ait pas du tracteur, et qu’on sache très bien faire avec le cheval, mais avec autant de population, va-t-on avoir assez de place pour aussi nourrir les chevaux ? »Hugo Sjongers.
« On ne peut pas vraiment trouver de main d’oeuvre si les gens ne sont pas passionnés. On a eu beaucoup de stagiaires pour l’attelage, je n’en connais aucun qui a continué mais ils ont trouvé ça cool quand ils étaient ici. Après, beaucoup disent qu’ils n’ont pas de chevaux formés pour commencer ».Mikaël Zuercher
« On se retrouve ainsi en dehors de ce cercle vicieux du toujours plus vite, toujours plus grand, je pense que c’est une des questions les plus importantes de notre temps, comprendre que plus ce n’est pas mieux. »Ursina Schmid
« Il faut savoir comment travailler avec le cheval, le tracteur c’est plus facile à apprendre. C’est aussi parce qu’il faut avoir un certain lien avec les animaux, on a eu des apprentis qui voulaient apprendre mais ils ne comprenaient pas, ils n’arrivaient pas à se mettre dedans. Il faut comprendre le cheval pour réussir à bien travailler, ce n’est pas une machine. » Ursina Schmid
« Le système capitaliste installé, il est dans les têtes et habitudes de tout le monde. Nous ici on fait le contraire, on n’essaie pas de maximiser, et donc nous sommes à l’inverse de ce qu’on apprend aujourd’hui. […] Je pense vraiment qu’on doit revenir sur cette question que avoir plus c’est vraiment mieux. » Ursina Schmid
« Un cheval comme ici qui peut travailler, il est plus à l’aise, plus heureux qu’un cheval qui est dans le pré et qui ne fait jamais rien. Le travail l’occupe, fait qu’il ne rouille pas. Un homme, un cheval, c’est vivant, c’est équipé et construit pour être physiquement capable de faire quelque chose. Une énergie est présente et si elle ne peut pas être mobilisée ça rend malheureux. » Hugo Sjongers.
« Alors en Suisse dans les établissements d’agronomie il y a des options chevalines, et là-dedans il y a toujours un cours sur la traction animale mais personne n’accroche. C’est beau à regarder, c’est nostalgique, beau chez les autres en somme. » Mikaël Zuercher.
La conclusion de l’étude est un appel à une vision globale : « Il est donc nécessaire que des recherches ex-situ, académiques, s’associent aux travaux initiés par les paysans pour faire évoluer la machinerie en traction animale vers des outils légers, performants, améliorant la vitesse de travail sans en détériorer la qualité. Il s’avère que la question du matériel représente probablement un des enjeux prioritaires en traction animale.
L’agro-écologie et la paysannerie sont des concepts globaux, challengeant souvent dans son intégralité ou presque le paradigme agricole majoritaire actuel. A nouveau, il nous semble que la traction animale aurait tout à gagner à se rattacher à ce genre de courants de pensées et de pratiques. D’autant plus si ses partisans veulent se donner les moyens de leurs ambitions alternatives et globales, ainsi que de représenter les intérêts et implications de l’activité à plus grande échelle. » MB
Jean-François Le Clanche, dans « Redécouverte de la traction animale » (2011), qui rangeait d’abord celle-ci dans une démarche passéiste, se laisse convaincre, et répond aux interrogations de Beurrier, sur la formation, et sur l’évolution des techniques, rendant son actualité à la traction animale.
« D’une manière assez surprenante, le module de formation à la traction animale fait l’objet d’un vif intérêt. Une jeune génération des futurs agriculteurs s’inscrit en masse pour suivre cet enseignement. Il y a rupture avec le passé car le matériel utilisé a radicalement changé. Les matériaux utilisés pour construire cet appareillage sont bien plus légers et font appel aux dernières technologies de pointe au niveau de l’emploi des alliages. Le gain en poids est considérable, l’éventail du choix de l’animal tracteur est plus large et offre plus de flexibilité….En termes de manipulation et de maîtrise de l’animal, de prise de risque et de danger, cela offre des perspectives nouvelles plus souples et moins contraignantes.
Une analyse rapide aurait pu laisser penser que le recours à la traction animale est le fait de quelques marginaux,… déconnectés des préoccupations véritables et légitimes d’un chef d’entreprise : produire en masse pour faire vivre son exploitation et dégager un résultat économique. Certes, ce cas de figure peut se présenter, mais il cache alors une autre réalité : des agriculteurs ont ici redécouvert une technique du passé. Grâce à l’introduction d’une innovation technique dans le matériel utilisé, ils ont inventé des pratiques nouvelles. » JFLC
Le fait est qu’en France, les savoir-faire semblent manquer, et seront longs à reconstituer, alors que 430 millions d’agriculteurs dans le monde utilisent la traction animale ….
Et si avant tout, c’était la beauté de tout cela qui nous attire ? Parlons du beau, c’est l’heure.