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Billet de blog 13 avril 2025

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Trace 204-Nouveau monde 2

« Par leur coup de force de 1994, une entrée en guerre contre l’Etat mexicain et le capitalisme néolibéral, les zapatistes ont ouvert une brèche qu’ils continuent de creuser aujourd’hui : celle de l’autonomie politique, de la reconnaissance des droits collectifs indigènes et de la défense du territoire." Jérôme Baschet

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Puisque sans cette relecture de l’expression  « Nouveau Monde », c’est l’« Ethnographie des mondes à venir » (2022), d’Alessandro Pignocchi et Philippe Descola, qui me tient lieu de bréviaire, nous en sommes à chercher de dépasser le capitalisme, et non plus seulement le naturalisme, à lui lié.

Le capitalisme commence petit, il faut s’en prémunir : Les « caracoles » zapatistes sont cités par Descola : « Dans des communautés alternatives come les zad ou les caracoles zapatistes du Chiapas : Par-delà les mécanismes de solidarité prévenant les disparités de prestige fondées sur la seule accumulation des biens, on s’efforce aussi de prévenir les inégalités issues des asymétries dans les échelles de la grandeur individuelle. » PD

Pignocchi mentionne, lui, que « dans la façon dont différents types de territoires pourraient se coordonner à grande échelle… le territoire qui aujourd’hui explore cette voie de la façon la plus fleurissante est sans doute le Chiapas zapatiste. » AP

Dans la perspective que dessinent les auteurs, celle de communautés autonomes se développant, en « contrepoint » à l’état, sans y attenter dans l’immédiat, un voyage s’impose.

Depuis 1994, et a lecture du livre «¡Ya Basta!» (1994) du Sous-Commandant Marcos, le temps a passé. Guerres et désastres écologiques, épidémies, ont monopolisé l’attention qu’avait su capter le mouvement zapatiste. Pourtant, il importe d’y revenir, tant sont rares les raisons d’espérer, même si les choses ne vont si bien que ça au Chiapas, toujours en proie à des milices cherchant à s’approprier les terres zapatistes :

https://reporterre.net/Au-Chiapas-des-milices-s-approprient-les-terres-des-zapatistes

Les zapatistes ont néanmoins pris l’initiative d’un voyage en Europe :

https://reporterre.net/Les-zapatistes-viennent-en-Europe-raviver-les-braises-de-la-rebellion

« Une délégation d’environ 150 zapatistes va quitter le Chiapas, au Mexique. Direction : l’Europe. Des milliers de personnes s’activent pour les accueillir : zadistes, Gilets jaunes, collectifs féministes ou de sans-papiers, … Objectif du voyage : relier les luttes, partout dans le monde.

Une délégation d’indigènes du Chiapas s’apprête à prendre la mer et à mettre le cap sur l’Europe. Ils emportent avec eux leurs traditions, leurs imaginaires et leur parole révolutionnaire. Depuis le début de l’insurrection, en 1994, les zapatistes n’ont quasiment jamais quitté leur territoire. Cette traversée de l’Atlantique est une première. Avec ironie, ils l’ont baptisé « la conquête inversée ». Cinq cents ans après la fin de l’Empire aztèque, écrasé par l’armée de Cortès, les peuples autochtones envahissent symboliquement les puissances coloniales. Ils viennent mener la bataille au cœur de « l’hydre capitaliste ».

« L’expérience zapatiste est une utopie réelle, dit l’historien Jérôme Baschet à Reporterre. Elle est une source d’inspiration indéniable. Sa dimension artistique, l’importance qu’elle accorde aux rites et sa manière de lier culture, créativité et révolte sont très originales. Elle peut nous apporter de la force et nous faire réfléchir à nos manières d’agir ici en Europe. »

Les zapatistes se sont toutefois gardés de l’idée de venir comme des donneurs de leçons. Après avoir invité des militants occidentaux pendant de nombreuses années pour leur faire découvrir leur lutte, les indigènes souhaitent désormais inverser les rôles et partager leur réalité. « On entre dans une forme de réciprocité, souligne Élise, militante francilienne, qui organise avec d’autres leur venue en France. Cela créé un rapport d’égal à d’égal et permet l’émergence d’un vrai dialogue. Les zapatistes ne regardent pas les gens d’en bas, ils gardent leur dignité. » Reporterre

Jérôme Baschet, historien, vit et travaille au Chiapas. Ses témoignages à la revue «Lundi matin» complèteront cette page, bien trop brève pour un mouvement aussi important : il faudra y revenir…

AU CHIAPAS, LES PEUPLES ORGANISÉS FACE À L’OFFENSIVE PARAMILITAIRE, paru le 19 octobre 2020

« Par leur coup de force de 1994, une entrée en guerre contre l’Etat mexicain et le capitalisme néolibéral, les zapatistes ont ouvert une brèche qu’ils continuent de creuser aujourd’hui : celle de l’autonomie politique, de la reconnaissance des droits collectifs indigènes et de la défense du territoire.

Comme le résume François Cusset, « l’histoire du zapatisme au Chiapas tient ainsi en trois mots, qui résument les modalités de son rapport avec l’Etat : contre (pendant douze jours de guerre), avec (neuf ans de tentatives d’accord) et sans (depuis 2003).

Après cette rupture, l’heure est donc à la sécession et à la construction d’une autonomie par le fait, matériellement ancrée dans les territoires indigènes et dans tous les pans de la vie sociale : les zapatistes construisent leur système autonome de justice, de santé, d’éducation, de production agricole... En 2003, les zapatistes annoncent d’ailleurs la création de 5 caracoles, centres régionaux de l’autonomie, qui viennent consolider leur système politique.

Ce système est organisé́ autour de trois échelons : les communautés ou villages rebelles, les communes autonomes (municipios) et les caracoles. Les communes autonomes représentent l’échelon de base, au sein duquel on prend collectivement les décisions du quotidien. Elles regroupent parfois plusieurs dizaines de villages. Les caracoles, sur une échelle plus régionale, naissent pour donner une nouvelle dimension à l’autogouvernement. Au travers des Conseils de bon gouvernement (Juntas de buen gobierno), les caracoles coordonnent les communes autonomes et l’ensemble du processus d’autonomie. Ils tranchent aussi les litiges entre habitants, entre communautés, et se chargent des relations avec l’extérieur (alliés, institutions etc.).

A rebours des guérillas guévaristes d’Amérique Latine, les zapatistes s’emploient à changer le monde sans prendre le pouvoir, pour reprendre les mots de John Holloway. Sans prendre le pouvoir, et sans en reproduire ses travers intrinsèques.

En réaction au développement d’un système parallèle à ses propres institutions, le pouvoir mexicain poursuit de son côté́ sa guerre de basse intensité́ pour détruire le tissu social et les processus d’autogouvernement. Cette dernière articule une double stratégie, un double visage : « balle de sucre et balle de plomb ».

La résistance au chantage économique et au clientélisme passe dès lors par la construction, lente et fastidieuse, d’une autonomie populaire à tous les niveaux, seule à même d’améliorer collectivement les conditions de vie. Le système éducatif et sanitaire par exemple, dont l’esprit rappelle ô combien la pensée d’Ivan Illich, est source d’un progrès humain indéniable dans les territoires libérés. » JB

« Le territoire chiapanèque s’étend sur une superficie non négligeable, équivalente à la Belgique ou à la Bretagne ; la guerre menée par le pouvoir ne se limite pas aux montagnes des Altos. Le chemin est escarpé pour les peuples organisés du CNI et de l’EZLN. Face à ces offensives, et dans une configuration pandémique inédite, l’EZLN revendique « continuer à nettoyer les fusils », selon les mots du Sous Commandant Insurgé Moïses. Selon son rapport pragmatique à la violence politique, la guérilla ne s’interdit pas par principe de refaire usage des armes si la situation tactique l’impose. Pourtant, la stratégie actuelle refuse l’affrontement direct et l’emploi des armes, même défensif. Militairement, l’EZLN veut éviter de tomber dans le piège d’un pouvoir qui n’attend qu’un prétexte pour lancer son armée fédérale dans une nouvelle guerre ouverte, à l’instar des 12 premiers jours de 1994.

Politiquement, le mouvement fait le pari que la meilleure réponse aux offensives du pouvoir passe par la poursuite, la consolidation et l’expansion de l’autonomie par le fait, à tous les niveaux. Une autonomie tissée patiemment, à même les territoires libérés.

En août 2019, les zapatistes, que beaucoup disent acculés, prennent à nouveau tout le monde de court. Dans un communiqué historique, Moïses annonce « briser le siège » que leur impose l’Etat et ses paramilitaires. Il proclame la création de 11 nouveaux caracoles et municipalités autonomes, réorganisant et élargissant considérablement le territoire sous contrôle rebelle. » JB

« Nous sommes là, nous sommes zapatistes. Pour qu’on nous regarde, nous nous sommes couvert le visage ; pour qu’on nous nomme, nous avons nié́ notre nom ; nous avons parié le présent pour avoir un futur, et, POUR VIVRE, NOUS SOMMES MORTS. Nous sommes zapatistes, majoritairement indigènes de racines mayas, nous ne nous vendons pas, nous ne nous rendons pas et nous n’abandonnons pas. Nous sommes rébellion et résistance. Nous sommes une de ces nombreuses masses qui abattront les murs, un de ces nombreux vents qui balayeront la terre, et une de ces nombreuses graines desquelles naîtront d’autres mondes. Nous sommes l’Armée zapatiste de libération nationale. » Sous-Commandant Insurgé Moïses, août 2019.

Témoigner de cela, voilà bien tout ce que nous pouvons faire ici. Aller là-bas ?  Nous lirons un jour « Défaire la tyrannie du présent – Temporalités émergentes et futurs inédits » (2018), du même Jérôme Baschet, ainsi que les « Carnets d’estive – Des Alpes au Chiapas » (2021) de Pierre Madelin, qui a fait lui aussi le voyage vers le Chiapas. C’est son livre « La Terre, les corps, la mort » (2022) qui nous guidera bientôt : nous parlerons de la mort : « Existe-t-il un lien entre notre rapport à la mort, les représentations que nous formons de celle-ci et la destruction des conditions de la vie sur Terre ? » Tel sera notre sujet. « On va, on vient, on trotte, on danse ; de la mort, pas de nouvelles, que tout cela est beau. » Montaigne.

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