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Billet de blog 14 décembre 2024

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Les remparts empêchaient aussi les paysans de rentrer dans les villes, quand la famine, ou la disette, frappait : Voilà un lien avec notre précédent texte : Frontières 1.

A l’heure où l’on évoque donc un possible « exode » des villes vers les campagnes, Covid oblige, il faut se pencher sur la désertification d’une grande partie du pays, en commençant par l’exode qui en fut la cause.

Durant ce qu’on a appelé les « Trente glorieuses », survint un intense exode rural, dont on nous vanta les avantages, sans trop s’appesantir sur les souffrances qu’il représenta aussi pour tant de personnes, et les conséquences dramatiques pour les équilibres naturels, qui s’ensuivirent bientôt, et dont nous reparlerons.

Roupnel nous alertait déjà en 1932 (voir Traces 3).

Jean Ferrat fit en 1965 une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=T0MazQfke8g , qui résume beauté et tragédie.

En 1967, sortit « La fin des paysans », de Henri Mendras. Comme souvent, on confondit le message, et le messager, et on lui reprocha de prophétiser, quand il observait, seulement. Le message, tel que résumé en 2013 par Bruno Hérault, dans le Numéro 54 du Centre d’études et prospective :

« L’auteur y défendait une thèse radicale : la disparition de la civilisation paysanne, déjà bien entamée, ne laissera demain dans les campagnes françaises que des agriculteurs-producteurs obéissant aux règles du marché, de la division du travail et de la technique. »BH

Producteurs ? Voire ! Nous lirons bientôt « Raviver les braises du vivant »(2020) de Baptiste Morizot, qui conteste le terme…

Mendras livrait des réflexions prospectives dont la pertinence demeure saisissante : « Gardienne de la fertilité de la terre grâce à un équilibre vigilant entre les divers élevages et les diverses cultures, la forme paysanne d’exploitation n’est plus imposée par le système agricole. Dès maintenant les techniques agronomiques et comptables tiennent lieu d’expérience et de savoir-faire. Le perfectionnement des engrais permet d’isoler une production: il est possible de cultiver maïs sur maïs sur le même sol, sans aucun assolement et sans bétail. Ainsi le progrès technique qui a poussé au siècle dernier à une intégration raffinée du système de cultures permet aujourd’hui de faire éclater ce système pour bénéficier des avantages de la spécialisation et de la production de masse. […] « La terre n’est plus le fondement nécessaire de toute exploitation agricole. »HM

 Où l’exode ramène l’ «équilibre » : « À long terme, à mesure que les techniques se perfectionneront, la terre perdra son rôle producteur privilégié et redeviendra un sol, une étendue, un milieu de vie et d’habitat : l’agriculture se concentrera sur les meilleurs sols et dans les régions économiquement les mieux placées. Par conséquent, en bonne logique économique, le prix de la terre devrait baisser, spécialement dans les régions où la densité démographique actuelle entretient une compétition anachronique pour le moindre lopin : un exode agricole massif devrait ramener une situation plus équilibrée. »HM

 Où on est amenés  penser en termes de « produits » : « Il ne faudrait plus penser en termes de production agricole, encore moins d’agriculture opposée à l’industrie, mais en termes de produits alimentaires et de branches de production. Chaque branche s’organiserait en une hiérarchie d’institutions depuis le niveau national ou européen, où se fixeraient les objectifs globaux, jusqu’aux ateliers de production d’origine, en passant par des fédérations régionales ou locales d’ateliers de production et de transformation. Ainsi pourrait-on traiter de la production de lait depuis le fourrage jusqu’à la boîte de lait en poudre, la vacherie et la laiterie n’étant que des stades intermédiaires parmi d’autres et dont il est évidemment inutile de se demander s’ils relèvent de l’agriculture ou de l’industrie. »HM

 Vingt ans plus tard, Mendras constate qu’il avait vu juste :  « Les événements m’ont donné raison : en une génération, la France a vu disparaître une civilisation millénaire, constitutive d’elle-même. Pourtant, aujourd’hui encore, beaucoup se refusent à l’évidence, notamment parmi ceux qui ont été les artisans de cette disparition, hauts fonctionnaires, hommes politiques et dirigeants agricoles. Comme s’il était inconvenant de dire à la famille qu’elle est au chevet d’un cadavre : “ Chut ! Il dort ”.HM (1984, réédition)

 Les conséquences de cet exode étaient déjà en prémices dans ce texte de Jean Jacques Rousseau pour l’Encyclopédie (1751) : « C’est donc une des plus importantes affaires du gouvernement, de prévenir l’extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d’en accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux (c’est-à-dire des hospices, note JA) pour les pauvres, mais en garantissant (c’est-à-dire en empêchant, note JA) les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire, & entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent ; les arts d’agrément & de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles & pénibles ; l’agriculture sacrifiée au commerce ; le publicain (le percepteur, note JA) rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l’état ; enfin la vénalité poussée à tel excès, que la considération se compte avec les pistoles, & que les vertus mêmes se vendent à prix d’argent : telles sont les causes les plus sensibles de l’opulence & de la misère, de l’intérêt particulier substitué à l’intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, & de l’affaiblissement de tous les ressorts du gouvernement. »JJR

Jean Giono, dans « Regain » (1930), décrit ainsi Aubignane, quasi déserté de ses habitants : « C’est donc des maisons qu’on a bâties là, juste au bord, comme en équilibre, puis, au moment où cela a commencé à glisser sur la pente, on a planté, au milieu du village le pieu du clocher et c’est resté tout accroché. »JG

Et, plus loin : « Il y a une maison tout ouverte au dedans noir et qui sonne comme une grotte dès qu’on met un pied sur le seuil : c’est la carcasse, pas plus. Quand les yeux sont habitués à l’ombre, on voit au fond comme un arbre en or et en lumière. C’est une grande fente qui a partagé le mur maître depuis la fondation jusqu’aux tuiles. » JG

On sait comment Giono redonne vie dans ce roman au village d’Aubignane…

Lucchio, en Toscane, est de ces villages que l’on dit abandonnés, comme il y en a plus de 6000 en Italie. Nous irons à  Lucchio, de prime abord fort semblable à l’Aubignane de Giono, et en Italie, pour le second volet.

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