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Billet de blog 15 janvier 2025

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Trace 107-Barons perchés 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Reprendre la lecture du “Baron perché” d’Italo Calvino, l’histoire de cet homme qui vécut sa vie dans les arbres, sans toucher terre, est, entre autre,  un moyen pour se décentrer et voir autrement une époque et un pays : « … pour bien voir la terre, il faut la regarder d’un peu loin . » Italo Calvino

 Il s’agissait aussi d’imaginer, plus ou moins comme nous le faisons ici, un avenir possible : "Côme avait rédigé et répandu un "Projet de Constitution d'Une Cité Républicaine, avec Déclaration des Droits des Hommes, des Femmes, des Enfants, des Animaux domestiques et sauvages, y compris les Oiseaux, les Poissons, les Insectes et les Plantes, tant Arbres de Haute Futaie que Légumes et que Prés"! C'était un fort bel ouvrage, qui pouvait servir de guide à toute espèce de gouvernants; mais nul ne le prit au sérieux et il resta lettre morte." IC

Nous n’écrivons pas là une utopie, c’est-à-dire ce qui n’est d’aucun lieu, mais bien un projet destiné à atterrir, à s’incarner dans des lieux réels, dont il importe de faire connaissance, scrupuleusement, amoureusement aussi, par tous les moyens possibles : ici le dessin cartographique.

Nous voyagerons donc comme Côme, de révolte en réflexion, et d’arbre en arbre, visitant les forêts qui peuplent les Apennins dans un premier temps, le Massif Central dans un second temps. Une occasion de constater, en détail, que l’on peut aller de Lucca à Roma, mais aussi de Cluny à Minerve, sans pratiquement mettre pied à terre :

« On lit dans les livres qu’au temps jadis, un singe parti de Rome pouvait arriver en Espagne sans toucher terre, rien qu’en sautant d’arbre en arbre. » IC

« Côme comprit qu’au milieu d’une végétation à ce point touffue, il pouvait se déplacer pendant de milles en passant d’un arbre dans l’autre sans avoir jamais besoin de mettre pied à terre. » IC

 Que cette route aérienne recoupe souvent le parcours des loups, cela est bien probable, cette continuité du couvert leur convenant bien. Ce pourrait aussi être l’occasion de rencontrer quelques points d’ « Italia che cambia », ce réseau d’expériences en tout genre, de repeuplement de villages ou de fermes abandonnées, qui laisse augurer de belles choses :

https://www.italiachecambia.org/chi-siamo/

«  ‘Italie qui change’ est un projet qui veut raconter, cartographier, et former un réseau avec cette partie du pays qui, en face  d’un problème, s’active pour changer concrètement les choses sans déléguer, ou attendre que quelqu’un le fasse à sa place. Nous voulons aussi offrir des instruments pour faciliter les processus de transformation positive en acte dans le pays , avec l’objectif de faire émerger les potentialités de ceux qui « veulent changer » , fournissant des exemples, un savoir-faire , et le support du réseau des projets déjà en cours. » ICC

En voici la carte, qui m’enchante (j’aime les cartes ) : https://www.italiachecambia.org/mappa/

Nous recroiserons aussi les doutes de Calvino, tels que le narrateur les exprime : " Que nous apportera ce XIX° siècle? Pour le moment, je n'en sais rien. Il a mal commencé et continue plus mal encore. L'ombre de la Restauration pèse sur l'Europe; tous les novateurs, les bonapartistes comme les jacobins, ont été vaincus; l'absolutisme et les jésuites reprennent le dessus; les idéaux de notre jeunesse, le culte des lumières, la grande espérance du XVIII° ne sont déjà plus que cendres".

 On aura remplacé au passage XIXème par XXIème, XVIIIème par Résistance, pour Calvino, 1968, pour d’autres , 2018 pour d’autres encore …

Grimper sur un arbre, et y rester, en signe de révolte, a, depuis la parution du roman, été beaucoup pratiqué. C’est notamment  le cas de Julia Butterfly Hill, connue pour avoir vécu pendant 738 jours à Redwood en Californie en haut d'un séquoia d'environ 1 000 ans, empêchant que cet arbre et ses voisins ne soient abattus : l’exigence capitaliste de « fluidification » de tout arbre vivant pour le transformer en marchandise, décrite par Baptiste Vidalou (Traces 106), et Anna Tsing (Traces 99 et 100) , ne recule devant rien ni personne.

https://www.dailymotion.com/video/x2bqbdn

https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/citoyennesdelaterre/chapter/julia-butterfly-hill-1974-etats-unis/

« Le 10 décembre 1997, Hill et un autre activiste de l’organisation réussirent à monter en haut du séquoia, malgré les agressions commises par un groupe de bûcherons lors de cette journée. Malheureusement, l’activiste qui accompagnait Julia dut redescendre pour des raisons de santé émotionnelle le 4 janvier 1998. Julia termina son premier séjour de 30 jours et décida d’en entreprendre un second qui l’amena à y rester pendant une durée beaucoup plus longue qu’elle ne l’avait d’abord imaginé. Seule pendant ce périple, elle dut affronter de nombreux obstacles. Endurant des températures extrêmes causant des gelures et mettant en péril sa santé, elle continua toutefois de lutter pour sa cause en restant dans l’arbre. Sa détermination lui permit de persister malgré les nombreuses menaces faites par l’entreprise et leurs moyens de pression. Les tactiques utilisées par la compagnie pour la forcer à descendre furent nombreuses. Il y eut d’abord une intimidation par hélicoptère. Par la suite, la compagnie engagea des gardes pour empêcher les gens de l’organisation de donner du ravitaillement à Julia. Des lumières à forte intensité et des haut-parleurs à haute puissance furent également utilisés pendant la période d’intimidation. Julia persista pendant toutes ces épreuves. Elle a dû combattre la solitude au haut de cet arbre, ainsi que les bruits constants de tronçonneuse. L’arbre ancien est devenu un repère, un ami, une présence, un compagnon pour Julia dans ce long périple. » SEBC

Mais tant d’autres barons perchés aujourd’hui, en Allemagne, en France :

En Allemagne, contre un projet d’autoroute :

https://reporterre.net/En-Allemagne-des-ecologistes-juches-dans-des-arbres-luttent-contre-un-projet-d-autoroute

Ou l’extension d’une mine de lignite :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/09/16/foret-de-hambach-en-allemagne-expulsion-de-militants-ecologistes_5355832_3244.html

En France, à Notre Dames des Landes bien sûr (voir Traces 88), mais aussi  un peu partout :

https://reporterre.net/Partout-en-France-la-bataille-pour-sauver-les-arbres-s-intensifie

https://www.leparisien.fr/environnement/le-defenseur-des-platanes-a-ete-recu-par-elisabeth-borne-mais-continuera-a-grimper-aux-arbres-16-01-2020-8237346.php

Que ce parcours dans les Apennins leur soit dédié, même si son but est avant tout une découverte fine de cette continuité forestière. Un peu de géographie :

« L'Apennin du Nord ou Apennin septentrional, à travers lequel la chaîne se rattache aux Alpes occidentales (col à 459 mètres d'altitude). Cette partie de la chaîne ne contient qu'un massif supérieur à 2 000 mètres d'altitude : l'Apennin tosco-émilien, qui culmine à 2 165 mètres d'altitude (mont Cimone). Les montagnes, plutôt arrondies, y forment une chaîne très effilée, qui décline rapidement vers les collines alentour, et les cols, très souvent empruntés par des routes, se situent entre 700 et 1 000 mètres d'altitude. Cependant, cette partie des Apennins conserve encore DE GRANDES FORETS SAUVAGES, surtout entre la Toscane et l'Émilie-Romagne avec l'Apennin tosco-romagnol. Les Alpes apuanes, malgré leur altitude assez modeste (ce massif culmine à 1 946 mètres au mont Pisanino), contiennent DES PICS ET DES GORGES TOTALEMENT BOISES, ce qui leur confère un aspect semblable aux pains-de-sucre de l'Orient. De plus, ces sommets déclinent brutalement vers la mer Tyrrhénienne, avec de nombreuses falaises impressionnantes.

L'Apennin central, contrairement à celui du nord, décline faiblement vers les deux mers. Il forme cependant un massif très large composé de plusieurs groupes montagneux espacés entre eux par des vallées étroites parallèles aux deux mers. Cette partie des Apennins, qu'englobe en grande partie la région des Abruzzes, s'étend des monts Sibyllins au nord aux monts du Matese au sud. Il y a neuf groupes montagneux dépassant les 2 000 mètres d'altitude : le Gran Sasso, la Majella, le Velino-Sirente, les monts Sibyllins, les monts de la Laga, les monts Marsicani, les monts Reatini, les monts Simbruins et les monts du Matese. Ces massifs sont les plus hauts des Apennins, avec des montagnes souvent pointues, et sont espacés par des cols qui ne se situent jamais en dessous de 1 000 mètres d'altitude. De plus, LES GRANDES FORETS Y ABRITENT UNE FAUNE ET UNE FLORE EXCEPTIONNELLES rares ou rarissimes dans le reste des Apennins. C'est là que se trouve le paysage alpin par excellence. L'Apennin central comprend deux zones : Apennin ombro-marchesan et Apennin abruzzais. » Wikipedia

Cartographier, jour après jour un tel voyage , c’est choisir un mode déplacement lent, (chaque jour une douzaine de kilomètres) qui fait toucher du doigt, celui qui tient le crayon, distances et dénivelés, rapports entre espaces boisés, prairies et champs , en un cheminement où , comme le signalait déjà Illich dans « Energie et équité », les routes deviennent pour nous des obstacles, les obstacles qu’elles sont souvent  pour les hérissons, les lombrics, les escargots ou les scarabées. Convenons que cette approche entre Google Earth et crayons de couleur n’est pas suffisante, et qu’il conviendrait de prêter aux forêts une attention plus précise : nous y viendrons.

Nous voyagerons dans le prochain texte en Gaule, de Vercingétorix aux Camisards…

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