Disegno, en italien, peut vouloir dire tout à la fois dessin, et dessein. Les cartes du livre « Cartographie radicale – Explorations » de Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz (2021) s’inscrivent dans ce double but.
Les auteurs font partie des fondateurs du site visionscarto.net
, où l’on peut retrouver quelques unes de leurs préoccupations, qui sont aussi ici les nôtres : Notamment le problème des frontières, et des morts qu’elles engendrent : https://visionscarto.net/border-walls
Aujourd’hui même :
https://www.lemonde.fr/.../a-la-frontiere-avec-la-turquie...
https://www.lemonde.fr/.../etats-unis-au-moins-40-morts...
Le livre, illustré de centaines de cartes, ne peut être entièrement résumé ici , aussi nous bornerons nous à en parler sous l’angle de ces préoccupations communes , allant de carte en carte .
A - REFLEXION SUR LES CARTES :
D’abord , qu’est-ce que la cartographie radicale ? « L’intention de la cartographie radicale se résume très simplement : il s’agit d’amener un changement social. » NZPR
Une carte reflète toujours un point de vue : « Nous postulons que la carte est intrinsèquement subjective puisqu’elle relève d’une interprétation et des choix graphiques des personnes qui la produisent. Assumer sa nature subjective lui permet de s’ouvrir à de nouveaux horizons et d’offrir au responsable du geste cartographique une grande liberté de création, geste délivré de règles contraignantes et de protocoles. » NZPR
« Les conceptrices et concepteurs de la carte choisissent les informations à représenter et les modalités de ce choix ne sont pas ostensibles. Cette opacité rend possibles des formes de manipulation qui légitimeraient n’importe quel discours ou n’importe quelle action./…/ Vela contribue à faire de la carte une arme politique redoutable, qui présente l’apparence du réel alors qu’elle propose – ou impose – une simple image de ce réel. » NZPR
« Plus qu’elle ne le représente – au sens mimétique – la carte, dans les phases anciennes de son histoire, crée le monde à son image, elle lui impose, dans la pensée collective, une forme et un ordre qui sont des projections intellectuelles plus que des observations empiriques. » Christian Jacob
Au-delà , et c’est ce qui nous intéressera ici, c’est l’idée non d’obtenir seulement des photographies du réel, mais bien d’y tracer des perspectives : « Dessiner le monde, c’est l’inventer tel qu’on voudrait qu’il soit, c’est imposer, d’abord par l’image, son point de vue et sa puissance. » NZPR
Tout en se gardant du pouvoir des cartes : « Rien n’est plus faux qu’une carte. Mark Monmonier , dans « How to lie with maps », montre bien que ce sont les techniques cartographiques mêmes qui constituent une manipulation de la réalité . Une carte est un schéma qui distord ses composantes pour donner une image compréhensible du monde. Les simplifications nécessaires à la construction d’une carte lisible, l’encodage de l’information, l’adoption de conventions à des fins de communication, tous ces traitements vont servir l’intelligibilité de la carte tandis qu’ils éloignent sa figure de l’image brute qui s’offrirait (si cela était possible) à nos sens. » NZPR
Car les cartes forgent les frontières : « Penser les lieux d’après la carte, c’est oublier que les frontières ne protègent que les pouvoirs qui les mettent en place./…/ La fable d’une identité nationale est un leurre et un dangereux mensonge. » NZPR
B – LIGNES FRONTIERES :
« La ligne-frontière est une pure construction, les cartes ne montrant pas des limites effectives, mais les instaurant plutôt. » NZPR
« Depuis 2020, la pandémie du coronavirus montre combien les frontières politiques sont caduques. /…/Les virus ne connaissent pas de frontières, décimant à intervalles réguliers une partie de l’humanité, mobile par nature, et ce d’autant plus que la mainmise absolue des humains sur leur environnement naturel n’est pas freinée par la conscience d’une destinée commune. »
On continue à construire des murs ( voir Traces 41) :
« Les trois partages : CARTE 02 : Trois générations de murs – inefficaces- qui n’ont servi à rien d’autre qu’à affirmer une autorité politique territoriale : le limes romain, la Grande Muraille de Chine et le Rideau de fer. » NZPR
« La linéarisation des frontières généralisée par l’état moderne a ainsi transformé les anciennes limites floues en limites nettes. Elles fixent des territoires nationaux où s’exerce la souveraineté d’un état face aux autres états, et où le pouvoir et la violence d’état sur les individus sont à considérer comme légitimes. Cette vision d’un monde divisé en entités administratives politiques est lourde de conséquence car elle suppose l’exclusion des autres groupes, potentiellement ennemis ou concurrents. Elle justifie, par une pirouette tautologique, que ce territoire soit à défendre et défendu et ce sont les institutions de l’état qui veillent à sa sécurité, à défendre « l’intégrité » territoriale. » NZPR
Pour fictives qu’elles sont, ces lignes frontières font des milliers de victimes :
Mourir aux portes de l’Europe : CARTE 03
C – MIGRATIONS CONTRARIEES :
« L’encampement en Europe et autour de la Méditerranée : Cette CARTE 04 montre la diversité – en Europe et autour de l’Europe – des dispositifs administratifs destinés à regrouper les migrantes et les migrants se déplaçant supposément sans titre de séjour régulier. » NZPR
Aux cartes alarmantes communément diffusées :
« La carte proposée par Frontex figurant la situation des circulations migratoires aurait très bien pu avoir pour titre « Europe, la grande invasion », tant la sémiologie employée suggère l’idée de la menace d’un déferlement des populations qu’elle sous-entend être indésirables. »
Les auteurs opposent une vision individualisant les personnes :
Itinéraire de Daniel et Population africaine en Autriche : CARTES 05 et 06
Et concrétisant le prix même de ces voyages :
Circulations régulières et irrégulières : CARTES 07 et 08 comparant les coûts.
Contrairement à l’Atlas de l’Anthropocène , sont ici pointées les migrations climatiques :
Migrations traditionnelles, migrations environnementales : CARTE 09
Et l’iniquité qui règne , facilitant les voyages des uns, bloquant celui des autres :
Le monde des copains, et le monde des autres : CARTE 10
Là aussi, des exemples personnels illustrent la question, non réductible à des « flux » abstraits :
Le désespoir d’une fin de non-recevoir : CARTE 11 de Lucie Bacon : le visuel rassemble les multiples facettes de l’itinéraire de personnes migrantes.
Ceci ressemble fort à une guerre, avec ses morts, toujours civils :
La sanctuarisation du monde : CARTE 12 : ce « mur » mondial est une véritable stratégie de guerre pour contenir une population déclarée « indésirable ».
Deux cartes résument, la situation, et comment en sortir :
L’enfermement du monde : CARTE 13
La réouverture : demain, les populations du monde circuleront à nouveau : CARTE 14 distinguant des zones économiquement très développées, zones « sanctuarisées », zones de développement ultra-prioritaires, zones interdites car en proie à des groupes armés incontrôlés. De nouvelles infrastructures de transport sont prévues, de manière à fluidifier la circulation des migrations pendulaires.
L’exemple des roms nous fournit l’idée d’une nation sans frontière : la leur :
Le peuple européen : CARTE 15 représentant la dispersion géographique du peuple rom en Europe.
Tandis que la cartographie peut servir aussi à assister ceux qui arrivent dans un pays, dans une ville :
Guide de Grenoble à l’intention des nouveaux arrivants : CARTE 16 de Sarah Mekdjian et Anne-Laure Amilhat Szary.
D – EN FRANCE :
Les mouvements de migration vers Paris, depuis cent ans, ont vidé de leurs habitants des territoires entiers, puis les métropoles ont aspiré le reste de vie : ( Voir Trace 123)
Les courants d’émigration en France en 1911 : CARTE 17
La répartition territoriale des systèmes urbains : CARTE 18
E – SUIVONS ELISEE RECLUS :
« Aménager les continents, les mers et l’atmosphère qui nous entourent, « cultiver notre jardin » terrestre, distribuer à nouveau et régler les ambiances pour favoriser chaque vie individuelle de plante, d’animal ou d’homme, prendre définitivement conscience de notre humanité solidaire, faisant corps avec la planète elle-même, embrasser du regard nos origines, notre présent, notre but, rapprocher notre idéal lointain, c’est en cela que consiste le progrès. » ER
Comment habiter la terre qui nous reste ? Déjà en étant conscients de ses limites :
Manuela Prfunder : CARTE 19 : et si chaque être humain disposait de la même proportion de terre : un rectangle de 200x115 m, avec pas mal de désert…
L’idée des cité-jardin a été examinée ici (Traces 93 et 94), on la retrouve :
La ville-jardin d’Ebenezer Howard
Cité-jardin du Plessis-Robinson : CARTE 20
Et laisser finalement les enfants dessiner le futur dont ils rêvent parait le plus sur :
Manon Boisseau, « Neptunia » : CARTE 21
Solène Reverdy : CARTE 22 : « Paris sous les arbres en 2113 »
Pour poursuivre la réflexion : « S’il est un territoire symbolique, voire emblématique des luttes entre les personnes qui y vivent et des groupes qui cherchent à en tirer profit, il s’agit bien de celui de l’espace public des grands centres urbains. »NZPR
Les espaces publics seront le thème des Traces 158 et 159, après que nous aurons tenté une synthèse des dernières 25 Traces .