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Billet de blog 16 décembre 2024

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Trace 47-Interculturalité 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le cours naturel de cette étude amenait naturellement à traiter de l’interculturalité, ce sujet bien difficile. Se mêle à cela une actualité brûlante, liée aux attentats en France.

Réagissant à une mise en cause à ce sujet des chercheurs universitaires par un ministre, la tribune de Jean Louis Laville dans le Monde du 9 novembre semble plus que pertinente :

https://www.lemonde.fr/education/article/2020/11/09/non-la-theorie-decoloniale-ne-constitue-pas-un-repaire-d-islamo-gauchistes_6059050_1473685.html?fbclid=IwAR1NyrhGhDfebyGHEo3YFd6DOZ1b7gXkzmOEF3HSAM9PiGvXte38FJ0Ylik

Laville appelle ici  à : « … une réflexion sur l’interculturalité, envisagée sans naïveté comme une tâche difficile mais prioritaire pour que le monde futur soit habitable. » JLL

Ce qui semble l’évidence même. Et plus loin : « Il ne suffit plus de dénoncer les effets pervers du système économique dominant, il s’agit de valoriser les expériences qui esquissent un autre rapport aux humains et aux non-humains. » JLL.

Que ces arguments sensés suscitent tant  de réactions haineuses des lecteurs, montrent bien à la fois la pertinence de son propos, et la difficulté où nous sommes, dès que l’on parle d’interculturalité.

Et pourtant, comme le rappelle Thierry Paquot, dans la conférence suivante (à 55’18’’), citant Georg Simmel : « Plus un territoire accueille de diversité, plus il est habitable »

https://www.youtube.com/watch?v=FNR_mHJHA8k

Pour en revenir à une expérience personnelle, celle de l’accueil reçu en Toscane, où j’habite, après un voyage assez léger (tant la culture gauloise a profité des apports latins, celle française des bienfaits de la Renaissance, ….) hors de ma propre culture m’a, il me semble, considérablement enrichi . Par ailleurs, à entendre les Lucquois, il n’y a rien de plus éloigné d’eux qu’un Pisan : pire que la différence entre un Inuit et un Malgache !  Ce qui permet de relativiser la notion de différence culturelle. L’objectif est immense, et il faudra revenir 100 fois sur ce thème. Car si l’objet de l’étude reste bien de construire des lieux, avec, et pour gens de tous pays, cette question est centrale.

Pour introduire cette notion d’interculturalité, j’emprunterai à Valentina Crispi, de l’Université de Caen (elle aura fait un voyage inverse du mien…) quelques éléments de sa  réflexion :  https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2015-1-page-17.htm

« Notre modernité se caractérise par la pluralité des formes de socialisation, d’enculturation, d’éducation, par la diversité des langues et des modes de communication. La rencontre entre les cultures et les différences culturelles s’impose dans les faits : l’autre, l’étranger, l’altérité font partie du rapport au monde quotidien. Il en résulte une nouvelle série de questions et de problématiques qui interroge surtout notre capacité à vivre ensemble. Les sociologues, les philosophes et les pédagogues s’accordent sur l’idée que la différence culturelle lance un défi important à la démocratie à l’intérieur d’un processus où nos sociétés doivent s’ouvrir au dialogue entre peuples et cultures. »VC

Un défi, certes, mais de quelle culture pouvons-nous nier les apports, dans un moment aussi difficile pour l’humanité entière ? Le discours du nouveau vice-président de la Bolivie, M.David Choquehuanca,  pourrait éclairer, à partir d’une culture aussi délimitée que la sienne, le monde entier :

https://www.youtube.com/watch?v=xLnTJ7WoI10&feature=youtu.be&fbclid=IwAR0Zp0mM6q44lsg7fag4dylCmEtLf2jB7XZ-xcuP3bQ4jc8B0JS1dB4zYP0

Poursuivons avec Valentina Crispi : « Avec Francesco Susi, ( “Come si è stretto il mondo. L'educazione interculturale in Italia e in Europa.”(2000))  on peut parler d’une « culture des interdépendances » : Nous vivons dans une époque qui interconnecte, qui met en relation toutes les parties de la planète. On répand la conscience que les problèmes humains, partout où ils surviennent et se déroulent, déterminent des effets même dans les régions les plus reculées du globe. Il est possible de parler d’une « culture des interdépendances »VC 

Oui, interdépendances, terme central du « Manières d’être vivant » (2019) de Baptiste Morizot « Nous sommes tissés à tous les vivants… » BM

Et ailleurs : « Le berger soucieux des interdépendances est aussi attentif à la peur que ses brebis ont des loups qu’à la « peur » que la prairie a de ses brebis. »BM

Nous y reviendrons. Mais revenons à nos moutons à nous : « Ce que les anthropologues de la fin du XIX° et du début du XX° siècle avaient décrit sous le concept d’acculturation, à propos de processus observés dans des sociétés « exotiques », est maintenant la règle partout, à la fois dans le processus de métissage qu’ils observaient dans la mise en présence de deux cultures différentes et dans l’inégalité des rapports entre les dominants et les dominés. On assiste, à un évènement nouveau : une sorte d’unification de fait du genre humain, malgré les différences, les distinctions entre des cultures, des religions et des systèmes géopolitiques différents.

Les sociologues et les anthropologues insistent sur l’intrication du local et du global. Ils rappellent que toutes les sociétés contemporaines se trouvent, avec des parcours et des rythmes différents, dans une situation de multiculturalisme, un espace ouvert à tout un ensemble de processus contradictoires : la domination que subissent les cultures assujetties, la résistance des cultures autonomes, la capacité des groupes à s’approprier certains des éléments des cultures qui leur sont étrangères, le refus de reconnaître les minorités ethniques dans toute leur diversité. »VC

Alors que toutes les distances fondent, le multiculturalisme n’est plus un choix, mais plutôt, pour l’Occident, un deuil à faire,  celui d’une présumée identité : « En fait,…, toute la pensée de l’Occident a été traversée et gouvernée par le principe d’identité : "L’identité comme privilège de l’identique (Un, Centre, Norme, Dieu, Ordre, Tradition) est la négation et l’obscurcissement de la différence. Il y a une pensée fondée sur l’identité, une conception d’un sujet qui se veut comme identique, une expérience qui se construit autour de l’identité et une société qui en fait le principe de tout lien en niant le différent (l’étranger, l’enfant ou la femme) et en valorisant les seuls liens fondés sur l’identité. Malgré Erasme, malgré Montaigne ou Comenius, l’Occident n’a pas réussi à se penser dans les formes du pluralisme.» VC

 Montaigne, qui écrivait : « Nous sommes tous de lopins, et d’une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment, faict son jeu. Et se trouve autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à autruy ».ou bien : « Moy à cette heure et moy tantost sommes bien deux »

Mais sans doute, comme l’écrit Sylvia Giocanti : « Peut-on se passer de la notion d’identité ? La contribution de Montaigne. » (2017) : « Si nous continuons à avoir soif d’identité, et nous nous passons difficilement de cette notion, alors même que « nous n’avons aucune communication à l’estre », c’est-à-dire que nous sommes par nature dépourvus d’identité, c’est certainement parce que l’estime de soi repose en majeure partie sur la constitution sociale d’une position stable à laquelle nous nous identifions. Les Essais de Montaigne nous aident à comprendre ce désir obstiné d’identité, mais sans nous dispenser de porter un regard critique, non complaisant, sur les différents usages de cette notion et sur les risques de déshumanisation que le désir d’identité fait encourir à l’individu comme à la collectivité. »SG

Oui, risque de déshumanisation bien réel. Cette question est vaste, la route sera longue …

Nous avons mis dans notre bagage, ce mot d’interdépendances, tenté de laisser sur le bord de la route celui d’identité. Et restons sur cette question, formulée par   dans « L’interculturel, imaginaire social ». « Qu’est-ce qu’une identité interculturelle ? Peut-elle conduire à autre chose qu’une forme de créolisation, c’est-à-dire une nouvelle culture ? » Michel Rautenberg « L’interculturel, une expression de l’imaginaire social de l’altérité »(2008) Notion que nous explorerons avec Edouard Glissant….

Tout cela n’est guère aisé, ni facile à mettre en pratique,...  La musique non plus n’est guère aisée ni facile. Et pourtant, quels meilleurs exemples d’interculturalité que dans la musique. Ce sera l’objet de la seconde page consacrée au sujet, après ces dissertations nécessaires, mais complexes : un autre versant de la même question cependant.

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