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Billet de blog 17 janvier 2025

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Trace 112-Attention 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Yves Citton, dans  la postface qu’il fit en 2021 de « Pour une écologie de l’attention » (2014-2021), salue en Matthew Crawford celui qui a su revendiquer pour notre attention le statut de bien commun. Les deux partagent par ailleurs ce constat de l’épuisement de nos ressources attentionnelles, que Citton met en regard des urgences de l’heure, notamment climatiques.

Quand Crawford voit dans l’action, le travail manuel, le contact avec la matière, qui donne le nom à son livre, l’occasion de vaincre cette « crise de l’attention », Citton, plus porté à y voir l’effet d’un « capitalisme attentionnel » confluera plutôt dans le sens de l’expérience esthétique.

Yves Citton nous propose de regarder la planète depuis Saturne : « Au début du troisième millénaire, la surface des zones habitées de la Terre paraît presque totalement recouverte d’un nuage dense et épais de messages, de sons et d’images circulant dans de multiples sens – appelons cela « médiasphère » - au point qu’il devient très difficile de distinguer, au sein de cet enchevêtrement, qui parle et qui écoute, qui produit et qui reçoit, qui travaille attentivement et qui se distrait. » YC

Quel est l’effet premier de ce chaos ?  A qui profite le crime ?/…/ Le seul fait de regarder ensemble les mêmes choses au même moment produit des effets de valorisation commune, indispensables à la relance constante du système productiviste…. » YC, qui cite : « La valeur de notre regard contribue à accroître la valeur de l’image : elle soutient le fétiche » J.Beller

Citton est professeur, et son livre s’organise comme un manuel, avec maximes, majuscules et résumés : « Les médias forment un écosystème fonctionnant comme une chambre d’écho dont les résonances « occupent » nos esprits (au sens militaire du terme)/…/ Les envoûtements médiatiques forment un ECHOSYSTEME, à comprendre comme une infrastructure de résonances conditionnant notre attention à ce qui circule autour de nous comme en nous.

 L’échosystème médiatique est structuré par une CAUSALITE FORMELLE reposant sur la puissance qu’ont les formes circulant entre nous à in-former nos pensées les plus intimes et les plus spontanées. 

 POSTULAT DE RESSOURCE LIMITEE : la quantité totale d’attention disponible parmi les humains à chaque instant est limitée.

 COROLLAIRE DE RIVALITE : la somme d’attention attribuée à un certain phénomène réduit la masse d’attention disponible pour considérer d’autres phénomènes.

 PRINCIPE D’ENVOUTEMENT FORMEL : l’attention humaine tend à se porter vers les objets dont elle reconnaît les formes, sous l’impulsion de la direction prise par les attentions environnantes.

PRINCIPE DE COLLECTIVISATION COLLECTIVE : l’attention assure simultanément une certaine adaptation de nos comportements à notre milieu et une certaine composition collective des désirs individuels.

AXIOME DU CAPITALISME ATTENTIONNEL : l’attention est en passe de devenir la forme hégémonique de capital. 

ONTOLOGIE DE LA VISIBILITE : mesure le degré d’existence d’un être à la quantité et à la qualité des perceptions dont il fait l’objet de la part d’autrui. » YC

Comment résister ? Citton cite Pierre Zaoui, dans « La discrétion. Ou de l’art de disparaître. » (2013) : « Apprendre à quitter l’ordre de la monstration de soi et de la surveillance généralisée, c’est déjà entrer dans une certaine forme de dissidence. Plus généralement, toute résistance sérieuse et modeste a toujours commencé par l’acceptation d’une certaine clandestinité, c’est-à-dire l’art de raser les murs et de ne pas se faire remarquer, l’art de la discrétion. » PZ

« LES NOUVELLES LUTTES DE CLASSES opposent ceux qui apparaissent dans les médias et ceux qui n’y apparaissent pas. 

SURECONOMIE D’ECHELLE : les effets multiplicateurs rendus possibles par les technologies de communication de masse exploitent l’attention vivante du récepteur en la soumettant à l’attention morte des machines.

PRINCIPE DE MARCHANDISATION : Ce qui s’efforce de soumettre les flux attentionnels aux besoins ou aux désirs de maximiser les flux financiers.

Comme l’a bien souligné Arne Naess, l’écologie n’est en effet pas tant une affaire d’environnement que de relations : l’attention est un certain mode de rapport entre ce que je suis, ce qui m’entoure et ce qu’il peut advenir de la relation qui unit ces parties prenantes. » YC

FASCINATION DU SUSPENSE GESTUEL : rien ne titille davantage notre attention que vivre en direct un geste en train de se faire. » YC

Un travail nous fait signe : Olivier Bosson : « L’échelle 1 :1 » (2011)

http://olivierbosson.free.fr/L_echelle_1.html

Et un film, le « Tableau avec chute » de Claudio Pazienza (1997), autour de la Chute d’Icare de Breughel : un homme se noit, et nous regardons ailleurs .

http://www.culture.be/index.php?id=16272

https://www.regard-sur-limage.com/la-chute-d-icare-bruegel-v5.html?lang=fr

« La guerre des écologies  , est le titre du chapitre où Citton oppose :

« Pour l’ECOLOGIE GESTIONNAIRE, les préoccupations environnementales consistent à économiser nos ressources afin de produire de façon plus soutenable les modes de vie qui ont fait notre bonheur depuis le décollement du développement industriel.

Pour l’ ECOLOGIE RADICALE (ou profonde) , en revanche, c’est seulement à partir d’alternatives collectives concrètes que d’autres formes de vie doivent émerger de façon à revaloriser les liens qui nous attachent les uns aux autres ainsi qu’à notre environnement, ce qui implique de combattre nos addictions actuelles aux fétiches de la croissance. » YC

Pour conclure :

 « C’est dans l’articulation dynamique, plutôt que dans l’opposition statique, du gestionnaire et de la radicalité qu’il faut aller chercher une issue possible à nos fourvoiements actuels. » YC

Sur le livre de Nicholas Carr : «Carr pose non pas la question de savoir si Internet nous rend bête, mais si nous saurons aménager notre environnement de façon à y protéger des expériences de profondeur. » YC

Jean-Marie Schaeffer, dans « Petite écologie des études littéraires : comment et pourquoi étudier la littérature » (2011) : « La relation esthétique  est une conduite humaine dont l’enjeu central est l’attention (perceptive, langagière, etc…) elle-même, dans son déroulement : ce qui décide du caractère réussi ou raté d’une expérience esthétique, ce ne sont pas les caractéristiques de l’objet (réel ou représenté) , mais la qualité satisfaisante ou non du processus attentionnel que nous investissons dans cet objet./…/ La dynamique par défaut de l’acte de compréhension verbale se fonde sur un principe d’économie : il s’agit de comprendre le plus rapidement possible, en dépensant le moins d’énergie attentionnelle. En revanche, dans le cadre de la relation esthétique, comme c’est l’attention elle-même, et donc ici la lecture comme acte, qui est le but de la conduite, celle-ci n’obéit plus au principe d’économie, mais maximalise au contraire l’investissement attentionnel. » JMS

 « En soulignant la dimension « méditative » de la lecture profonde ou littéraire, en la faisant émerger de la tradition religieuse médiévale, Nicholas Carr marquait déjà en quoi nos expériences esthétiques tiennent toujours de l’ «oraison ». Prendre le risque de cette épreuve qu’est l’œuvre – qu’on l’instaure comme artiste ou que l’on s’y expose comme spectatrice – ne va jamais sans prier pour que la rencontre, improbable et aléatoire, ait bien lieu. On va au spectacle ou on ouvre un livre dans l’espoir de se connecter momentanément à quelque chose de plus grand que soi… » YC

 « Les adeptes de l’Ordre du Troisième Oiseau illustrent la possibilité d’un ACTIVISME ATTENTIONNEL consistant à faire démonstration ostensible de son attention conjointe de façon à attirer l’attention collective sur un objet injustement négligé./…/Les adeptes se comportent non seulement en infirmiers de l’attention pour les œuvres oubliées auxquelles ils consacrent leurs cérémonies, mais également en aides-soignants de notre attention elle-même, en mal chronique de stabilité au sein de notre univers d’images numériques. » YC

Jacques Rancière, dans « Le spectateur émancipé » (2008) : « L’émancipation commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir …. Quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme  cette distribution des positions. » JR

J’essaie à ma manière, de rejoindre en une pratique quotidienne de l’attention dessinée à un détail du paysage ou d’une œuvre, à leur complexité, tout cela à l’échelle 1 :1, ce mot de Flaubert, dans une de ses lettres : « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps. » G. Flaubert

Citton termine en citant Jean-Yves Leloup : « Un art de l’attention » (2002), faisant une distinction éclairante entre l’idole et l’icône : «  L’idole, c’est ce qui arrête mon regard à ce qu’il voit : mon regard est rempli, bouché, arrêté. L’icône, c’est ce qui n’arrête pas mon regard à ce qui se donne à voir ; là, il y a une présence qui m’ouvre à plus loin. Du visible, je vais vers l’invisible. Je peux alors voir chaque chose, chaque présence visible, entourée, habitée d’invisible. » JYL

Chaque chose, mais surtout chaque personne. Dans les Traces 116 et 117, il sera question d’hospitalité, et Jacques Derrida nous invitera « à donner, plutôt qu’à prêter  notre attention à la singularité de l’autre. » in « Hospitalité- Séminaire 1995-1996 » (2021)

 Les prochains textes, eux,  porteront ce que révèle l’archéologie de l’histoire profonde, et comment ces passés redécouverts nous ouvrent d’autres futurs …

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