Retour enfin à la matérialité, avec deux textes sur les textiles.
Nous examinerons comment nous vêtir, pour résister au chaud des étés comme au froid des hivers sans chauffage, ou presque. Premier temps : quels textiles utiliser, pour ne pas continuer à ravager la planète ? Second temps : quelques conseils de coupe et couture, venus du Sahara et du Japon.
Puisqu’il s’agit d’aller de l’avant, plus que de gémir, on s’économisera le procès des fibres synthétiques. Issues du pétrole, et finissant, avant même leur usure, en particules de plastique dans les rivières et les océans, elles ne sont pas la solution pour se vêtir, n’étant ni bonnes ni belles.
Restent laine et coton, lin et chanvre, viscose et soie, …
Mais le coton est produit, dans des conditions sociales (esclavage) et écologiques (coton OGM en Inde) désastreuses si bien qu’il faudrait pouvoir l’oublier. « Voyage aux pays du coton » (2006) d’Erik Orsenna, peut nous renseigner, si nécessaire, sur les « dures coulisses » de la douceur cotonneuse. Douceurs du coton et du sucre masquent dégâts sociaux, sanitaires et écologiques. On compte 445000 ha de betterave gavés de néonicotinoïdes en France, 141800 ha de lin, 16400 ha de chanvre : des proportions à inverser ?
Restent laine, lin et chanvre, viscose et soie. Si on allait faire un tour dans l’armoire ?
Là une veste, comme en portaient les paysans ariégeois jusque dans les années 80, encore en parfait état 30 ans après : à l’époque ni « fast fashion », ni obsolescence programmée.
Et celle-ci en coton, fait au Portugal en 2010 : comme neuve.
Là une autre, de vives couleurs, cousue sur mesure par Lisa Coinus, couturière d’Arles qui ne coud que des tissus recyclés : vêtements, jeans, … tout y passe, avec chaque fois un nouveau modèle, une nouvelle merveille : https://loalis.book.fr/
On pourrait citer aussi, parmi tant d’autres exemples de réutilisation, celui des Ateliers Textile :
« Selon les chiffres de la plateforme de mode durable Sloweare, environ 140 milliards de vêtements sont produits chaque année », soit 20 vêtements par personne et par an, en moyenne. Si chaque vêtement a une durée moyenne de 5 à 10 ans, nos armoires sont pleines. N’avons-nous pas déjà produit assez pour quelques années ? N’est-il pas temps d’échanger, de répartir, de recoudre, au lieu de produire encore ? Mais s’il faut produire, partons du local : les « simples » tee-shirts ou jeans qui font trois fois le tour du monde n’ont plus de raison d’être.
SOIE
La région de Lucques où j’habite était connue de l’Europe entière à la fin du moyen-âge pour la qualité de ses soieries. Mal payés, les plus habiles des tisserands s’enfuirent ensuite à Venise. En 1872, l’Italie produisait encore des quantités considérables de soie : « France 640 t. Italie. 2964 t, Espagne 200 t,…»
Au début des années 40, la production mondiale de soie grège était d'environ 62 000 t, dont 47 000 t produits par le Japon, 3 446 t en Italie et 2 000 en Corée. Aujourd’hui, plus aucun pays européen parmi les 20 producteurs importants : https://www.planetoscope.com/matieres-premieres/1731-production-mondiale-de-soie.html
On trouve ici, çà et là, quelques mûriers dans les collines, ainsi que les outils qui ont pu servir pour la sériciculture. On peut être partagé sur la cruauté du traitement infligé aux cocons, mais reconnaître que renouer avec la production de soie locale serait techniquement possible.
Pourquoi le faire ? Parce que c’est frais l’été, chaud l’hiver, et surtout c’est beau, et nous avons, plus que jamais, besoin de beauté.
Mais aussi parce que c’est l’économie de zones de piémont et de moyenne montagne qui pourrait en bénéficier. Dans la famille de René, mon ami ardéchois (voir T55), les femmes travaillaient, durement, il faut le dire, à la magnanerie voisine…
Rien n’empêche par ailleurs de penser le mûrier comme un élément de l’agroforesterie, comme le prévoit ce projet en Inde:
CHANVRE :
Trouver dans une maison voisine, dans les collines autour de Lucques, les outils pour teiller et tisser le chanvre n’est pas surprenant : le chanvre était cultivé jusqu’il y a peu, dans beaucoup de fermes, pour permettre la production de cordages, mais aussi de drap, pour les lits, les chemises, et le linge de maison. Les outils, très low-tech, figurent dans l’Encyclopédie de Diderot (T174).
Aujourd’hui, la France reste un important producteur de chanvre, preuve qu’il est possible de le cultiver sous nos latitudes. Comme le lin, il est résistant en cas de sécheresse, ce qui est précieux aujourd’hui.
Selon : https://linetchanvrebio.org/index.php/le-chanvre-bio/ :
« Le chanvre (Cannabis Sativa) est une culture ancestrale.
Comme toutes les cultures de printemps, il permet une rupture dans les assolements à base de cultures d’automne et limite la reproduction des adventices.
En bio comme en conventionnel, le chanvre est peu sensible aux maladies et aux insectes. Il n’a besoin d’aucun fongicide ou insecticide. Si la levée se passe dans de bonnes conditions, c’est une plante étouffante qui ne nécessite aucun désherbage (ni chimique, ni mécanique).
Le chanvre peut trouver facilement sa place dans une rotation et c’est une très bonne tête de rotation en agriculture biologique. Sa racine pivot laisse une structure de sol excellente pour la culture suivante.
Résistant à la sécheresse, il ne nécessite pas d’irrigation et n’est pas sensible à la verse.
Le chanvre permet de réduire l’IFT (indicateur de fréquence des traitements phytosanitaire) de l’exploitation et de favoriser ainsi le développement et l’action de la microflore et de la microfaune du sol, gage de son bon fonctionnement.
En Europe, le chanvre est principalement cultivé pour sa graine et pour la filière des agromatériaux qui utilisent la fibre et la chènevotte pour le bâtiment, les matériaux composites, les géotextiles, les paillages et la papeterie.
Plusieurs acteurs travaillent activement à la renaissance d’une filière chanvre textile selon différents procédés: fibres longues, fibres semi-longues, fibres courtes cotonisées et fibres cellulosiques de chanvre. L’itinéraire technique est très différent pour chaque procédé.
La résistance. Sans même avoir besoin d’être tissée, la fibre de chanvre est très résistante. Ce n’est pas pour rien qu’elle est utilisée depuis des milliers d’années pour la fabrication de tissus très divers. [Serait-ce une des raisons de sa faible commercialisation aujourd’hui ?]
Le maintien. Avec des taux d’élongation extrêmement faible, la fibre du chanvre textile génère des tissus qui ne bougent pas.
La douceur. Fini, le temps du chanvre qui gratte [j’en témoigne]. Les textiles en chanvre ont aujourd’hui acquis une douceur extrême.
Les vêtements en chanvre respirent car les fibres absorbent l’humidité libérée par le corps et laisse celui-ci au sec, quelle que soit la température. Vous restez frais, mais vous diminuez aussi le risque d’odeurs, car la surface régulière et les propriétés chimiques des fibres de chanvre font de lui un antibactérien et un antifongique naturel.
La protection contre les rayonnements. La densité de ses fibres fait du chanvre textile un rempart contre les UV et les autres types de rayonnement» Site mentionné
Avis aux amateurs : Il faut signaler que ce chanvre cultivé a un taux de THC inférieur à 0,2% (seuil légal).
LIN
La fleur de lin ne dure qu’un jour, certes, mais que c’est beau un champ de lin !
« C’est au XVIIème siècle que l'utilisation du lin a atteint son apogée. Il entrait alors dans la fabrication des toiles fines de Cambrai, des toiles dites « Bretagne superfine », des dentelles comme celles du point d’Alençon, des blouses, des chemises, des mouchoirs. Les surfaces cultivées ont atteint 300 000 ha, avec un rendement de 600 kg de fibres par hectare. Louis XIV, par l'abolition de l'édit de Nantes, entraîne l'exil de nombreux huguenots qui ont emporté avec eux leur savoir-faire de la liniculture. L'importation de grands volumes de coton a vu cette fibre remplacer progressivement le lin au cours du XVIIème siècle (à la fin de ce siècle, 18 % des fibres textiles étaient en lin, 78 % en laine » Wikipédia
« Les effets bénéfiques du lin sur les autres cultures : dans l’assolement, le lin peut avoir des effets bénéfiques sur les autres cultures en structurant les terres et en réduisant certaines pressions exercées par les bio-agresseurs. Son introduction dans les rotations permet :
-d’allonger le délai de retour des autres cultures et de limiter ainsi les maladies et les ravageurs qui se conservent dans le sol,
-de rompre le cycle de certaines adventices,
-de contrôler celles qui sont difficiles à détruire dans d’autres cultures,
-d’alterner les matières actives utilisées dans une même parcelle, généralement, un étalement du temps de travail lors des périodes de semis et de récolte.
L’effet bénéfique du lin fibre sur la structure du sol se traduit le plus souvent par une hausse moyenne de rendement de 5 % de la culture suivante. » Wikipedia
C’est comme d’habitude, un survol rapide et partiel d’un problème immense, rapide : nous reviendrons un jour à nos moutons, et à leur laine. Mais il est temps de parler modèles