Notre propos ici ne sera pas de faire un tour du monde des costumes, mais de voir comment répondre en beauté, beauté plus que jamais nécessaire, aux circonstances climatiques que nous allons traverser, choisissant pour cela deux exemples, sur mille.
ETES :
La nudité, bariolée ou non de tatouages, est une option, mais paraît réservée à des climats chauds et humides en même temps, et de préférence sous l’ombre épaisse des forêts primaires. Nos étés seront secs, secs comme le Sahara, d’où nous viennent régulièrement ces pluies de sable rouge, comme pour rappeler que nous sommes connectés par les airs, avant de l’être par les ondes.
Un tee-shirt, et un short, alors ? Ce n’est guère élégant, et ne procure que fort peu de protection contre le soleil, qui n’est pas un ami, mais plutôt une fusion nucléaire, même lointaine.
Les vêtements couvrants des nomades des régions sahariennes peuvent nous paraître lourds. Des études scientifiques ont pourtant démontré à quel point formes, mais aussi couleurs, jouaient un rôle pour obtenir le meilleur confort thermique possible, et pourquoi les Bédouins sont vêtus de couleur sombre.
Jean-Michel Courty et Edouard Kierlik reprennent ici un article de « Nature », de 1980 : « De la couleur d’une surface dépend la quantité de lumière que celle-ci nous renvoie et, par complémentarité, la quantité de lumière qu’elle absorbe. Plus elle est sombre, plus elle absorbe de lumière, et par là d’énergie lumineuse, qui se transforme en chaleur. Lorsqu’il est haut dans le ciel, le Soleil apporte au voisinage du sol près de 1 000 watts par mètre carré. Un objet de couleur noire absorbera jusqu’à 90 pour cent de cette énergie. À l’inverse, si l’on souhaite réduire l’échauffement solaire, on utilise la couleur blanche. Pour établir le véritable bilan énergétique d’un vêtement, il faut aussi prendre en compte la façon dont il perd de l’énergie par rayonnement. Tout corps rayonne d’autant plus qu’il est chaud. Un vêtement à la température du soleil estival (40 °C) émet par exemple dans l’infrarouge lointain. Or, les bons absorbeurs sont aussi de bons émetteurs. Le noir, qui absorbe beaucoup, émet aussi beaucoup : environ 500 watts par mètre carré pour une surface à température ambiante. Réciproquement, le blanc, qui absorbe moins, émet aussi beaucoup moins que le noir.
Est-ce grâce à la ventilation que les Bédouins ne souffrent pas de la chaleur qui s’accumule sur leurs vêtements noirs ? Oui : examinons ce qu’est un habit confortable au Soleil : comme une tente qui reste toujours à la température ambiante, un tel vêtement aide le corps à maintenir sa température à 37 °C, quelle que soit la température extérieure. Pour cela, il protège le corps de la chaleur extérieure et évacue aussi celle qui est produite en permanence par le métabolisme (même au repos un homme dissipe au moins 100 watts). [Ceci nous servira dans l’exemple japonais suivant]
Cette régulation s’effectue par la transpiration. Pour s’évaporer, la sueur absorbe de la chaleur qu’elle prélève sur la peau. Sous les tropiques, il arrive de perdre plus d’un demi-litre d’eau par heure aux moments les plus chauds. Un vêtement confortable facilite l’évaporation rafraîchissante.
Les vêtements qui se portent près du corps, tels une chemise et un pantalon, sont au contact de la peau. Pour éviter que le tissu ne devienne trop chaud, il est préférable qu’ils soient clairs. Les Bédouins en revanche portent des vêtements flottants, de grandes robes les couvrant de la tête aux pieds pour les protéger du soleil, du vent et du sable. Les hommes enfilent d’abord à même la peau une grande chemise de coton. Cette dernière est ensuite elle-même couverte par un ample vêtement. Le tissu extérieur n’est donc pas au contact de la peau. En outre, l’air circule facilement entre les deux vêtements. L’air chauffé par le tissu extérieur s’élève à l’intérieur et aspire par-dessous la robe de l’air ambiant plus froid. Dans ce mouvement de convection, tout se passe comme si les deux robes jouaient le rôle de soufflets, rejetant l’air chaud à travers le tissu et par l’encolure. En réalité, la température de l’air circulant sous le vêtement, ainsi que la température de la peau ne dépendent pas de la couleur du vêtement extérieur : si la surface de la robe sombre absorbe plus d’énergie que la robe claire, l’échauffement de la surface noire renforce suffisamment les effets bénéfiques de la convection pour compenser cet excès d’énergie. » JMCEK
La science validant la beauté, quoi de plus inattendu ? Pour plus de simplicité, une djellaba convient aussi. La toge romaine avait aussi sa beauté, mais comme elle était peu commode, l’himation grec lui était préféré… Nous avons l’embarras du choix.
HIVERS :
Passons aux hivers, en espérant que notre ami le Gulf Stream coule encore de beaux jours, tempérant les frimas : ce n’est pas si sûr, hélas. Quoiqu’il en soit, il y aura de toute façon une difficulté : s’habituer à chauffer beaucoup moins les maisons. Les Japonais ont conçues les leurs de façon à supporter les étés chauds et moites : pour eux, c’est depuis toujours la saison la plus inconfortable, comme cela commence à l’être pour nous. Les maisons, encore aujourd’hui, y sont construites sans isolation, et avec un chauffage succinct. Dans la maison traditionnelle, il s’agissait d’un foyer ouvert, alimenté au charbon de bois, ce qui a engendré d’innombrables incendies lors des séismes. La stratégie vestimentaire consiste en la création d’un volume chauffé transportable, comme une cloche, utilisant notre émission continue de chaleur. Le sommet du luxe dans ce domaine est le jūnihitoe :
« Celui-ci est un type de kimono très élégant et complexe porté uniquement par les femmes de la cour au Japon. Il apparaît vers le Xème siècle durant la période Heian. Littéralement le nom du vêtement signifie « douze couches ». Les couches de vêtements de soie sont mises l'une sur l'autre. La couche la plus proche du corps est faite de soie blanche et est suivie de dix couches de vêtements portant chacune un nom différent qui sont ensuite fermées par une couche finale ou un manteau. Les combinaisons de couleurs et des couches du junihitoe sont très importantes car elles indiquent le goût et le statut de la femme. Certaines couleurs ont des noms poétiques comme « prunier en fleurs de printemps ». Étant donné le poids du vêtement, il est assez contraignant de bouger avec. En fait, les femmes dormaient souvent avec leur junihitoe, en les utilisant comme une sorte de pyjama. Les différentes couches peuvent être enlevées ou conservées, selon la saison et la température. Au cours de la période Muromachi, cependant, le junihitoe est réduit à cinq couches. » W
Les couches du jūnihitoe sont les suivantes : les sous-vêtements, le kosode, robe courte , le nagabakama , jupe rouge plissée très longue, le hitoe, robe en soie non doublée, le itsutsuginu , série de cinq ou six robes aux couleurs vives, le uchiginu, robe de soie écarlate, le uwagi , robe de soie décorée, le karaginu , veste de style chinois, enfin le mo, jupe traîne blanche : ensemble que les peintres illustrant le « Dit du Genji », de Murasaki Shikibu se sont fait un plaisir de reproduire sur des paravents, des éventails,…
Mais, direz-vous, de la tenue du bédouin à celle des élégantes japonaises, quelle vie pratique possible ? Quelle lenteur obligée ! Ce n’est pas pour rien que nous avons déjà érigé la lenteur comme valeur centrale de cette recherche. (Traces 29, 30, 89 et 90). Par ailleurs, nombre de nos contemporains travaillent assis devant un ordinateur : pourquoi pas dans un chaud jünihitoe ?
Il y a cependant plus commode et plus léger : le hanten.
https://www.ojapon.com/blog/478/le-hanten-v%C3%AAtement-traditionnel-japonais-pour-lhiver/
« Durant l'époque Edo, un vêtement traditionnel avait le vent en poupe et était très utilisé pendant la période hivernale : le Hanten. Au XVIIIème siècle, cette veste molletonnée qu'est le hanten était vraiment populaire. Elle était chaude et permettait de supporter les basses températures, notamment dans la partie nord du Japon. Généralement confectionné dans un tissu de couleur sombre, il a les mêmes caractéristiques que le Kimono si ce n'est qu'il est rembourré d'une épaisse couche de coton et qu'il se porte au-dessus des vêtements. Sa coupe est courte ainsi que la taille de ses manches afin de ne pas entraver la gestuelle de la personne qui le porte. Et voici un vêtement, qui pour une fois n'est pas réservé à l'aristocratie mais, que l'on retrouve chez les classes populaires. Les habitations dans les campagnes étaient plutôt rudimentaires, et le hanten garantissait aux gens du peuple un peu de chaleur. Contrairement à d'autres objets tombés en désuétude, le hanten existe encore de nos jours et continue d'être commercialisé sous sa forme originelle.» Ojapon
Nous verrons bientôt comment il était fabriqué, au cours de prochaines Traces 192, consacrées au Japon.
Prochains voyages : Equateur et Indonésie, pour mieux comprendre avec Eduardo Kohn comment pensent les forêts, et, avec Anna Tsing, comment espérer des forêts en ruines.