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Billet de blog 18 novembre 2024

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Trace 3 . Forêts 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Résumé de villes 1 et 2 : difficile de loger, nourrir, et offrir une tâche digne à des millions d’arrivants dans les villes actuelles, même si le souci d’améliorer ces villes ne doit pas nous abandonner. Nous reviendrons vers elles. Pour l’heure, tournons nos regards vers les forêts : L’arbre est devenu tellement à la mode que c’en est presque inquiétant, ce contraste entre cet engouement, et l’actuelle destruction, qu’elle s’exerce au Brésil, sous les condamnations quasi unanimes, ou bien en Europe, et précisément en France, de façon bien plus sournoise.  Comme si l’arbre cachait les forêts. Ce phénomène de destruction est décrit par Gaspard d’Allens dans un livre récent : « Main basse sur nos forêts » (2019). Mais avant de s’y plonger, avançons vers la forêt, guidés par Gaston Roupnel, et son « Histoire de la campagne française » (1932). Du contraste naîtra, je l’espère, une vision.

Plus que d’autres ouvrages de compilations, comme « L’arbre et  l’Occident », d’Andrée Corvol (2009), ou « La douceur de l’ombre » d’Alain Corbin (2013), ce livre, très lyrique,  de l’ami de Gaston Bachelard, témoigne d’une réelle sensibilité, mais aussi connaissance du milieu. Au-delà, nous irons demander à Eduardo Kohn « Comment pensent les forêts » (2017)….pour l’heure, plus que d’une compréhension animiste, c’est d’une compréhension géographique, et historique, qu’il est besoin. Pour situer cette question des forêts, signalons, nous y reviendrons, que selon l’inventaire forestier national, il y a en France 16.8 millions d’hectares de forêt, en croissance de 80 000 ha par an.

https://inventaire-forestier.ign.fr/spip.php?rubrique11

Nous avons regagné (voir photo) la surface de forêts qui existait en France à la sortie de la Guerre de Cent ans, et presque autant qu’en l’an mille, avant les grands défrichements des ordres monastiques.

En Italie, la surface des forêts est de 10 millions d’Ha, et croît elle aussi de 100 000 Ha par an :

http://www.fao.org/newsroom/common/ecg/1000127/it/FAO.Le_foreste_in_Italia.pdf

Roupnel nous convie dans son ouvrage à un trajet tout de lenteur qui aborde d’abord la lisière, cette frontière de la forêt : « D’autre part, la forêt a fait de sa lisière une façade naturelle, où elle adapte sa nature au monde de l’air et de la lumière. On sait que la forêt est travaillée de forces intérieures, et qu’elle varie sans cesse ses espèces, transforme incessamment ses essences. C’est surtout sur sa lisière qu’elle exerce cette activité et opère ses sélections. Elle a relégué sur cette frontière les buissons et arbrisseaux qui étoufferaient sous sa masse intérieure. En arrière d’eux, elle a établi les solides et dures espèces, des chênes en général, qui ne craignent point le contact direct de l’air vif et de l’atmosphère ensoleillée, et elle a eu le temps d’en faire une distribution régulière sur tout le front. Ces chênes, ces grands arbres, par leurs dômes puissants appuyés aux masses intérieures, composent une sorte de premier gradin, dessinant une volumineuse moulure qui est comme l’enveloppe épaisse et charnue de la forêt. /…/ Au cours des innombrables siècles, mille frayés, mille blottissements sont venus ainsi sans cesse, donner les intimes façonnements de la vie aux seuils herbeux de nos grands bois. »/…/Et tout cela, qui nous émeut, domine de ses frémissements de feuilles, de ses chants et de ses ailes, de ses ombres et de son mystère, de ses âges et de sa paix, tout cela domine le champ des tâches et des peines humaines.

Puis il nous invite à l’orée : « Aux temps anciens, à l’arrivée du grand chemin (dans la forêt), auprès de la source fraîche, sous l’ombre, le site était lieu de repos et d’accueil, lieu de culte et de vénération. Les dieux antiques ont siégé là. Dieux de vigilance et d’hospitalité, ils ont protégé et accueilli tous ceux de la route, entretenu des fidèles, guéri des maux, inspiré des légendes, les prières et les espérances. »

Forêt accueillante, donc, pour reprendre le titre « Ville accueillante » …

Avant de s’alarmer, dès 1932, alors que la surface de forêts n’était encore que la moitié de celle d’aujourd’hui : « Plus que jamais, sous nos yeux, devant nos regards alarmés, se poursuit à une allure redoutable cette régression de la nature cultivée, cette régression dont bénéficie la forêt, et où nous avons vu le témoignage troublant d’un âge d’infortune./…/ Au terme où nous sommes, la forêt est devant nous plus envahissante qu’entamée, plus respectée qu’inquiétée. »

Comment ces forêts sont devenues des mines de bio-masse, des domaines dévolus à la monoculture, avec toujours moins de biodiversité, un simple placement (quelle tristesse !) ? c’est ce que nous racontera Gaspard d’Allens dans son livre, une prochaine fois.

En attendant, la pluie d’aujourd’hui a cessé. J’ai emprunté le chemin qui monte le long de l’échine contre laquelle, du côté nord, viennent battre comme une mer les vagues de forêts venues des Alpes Apuanes : châtaigniers, chênes, pins, frênes, et en bordure, les acacias, avec leurs grappes blanches, les arbousiers, les lauriers, quelques cyprès antiques, les lauriers, les aubépines et leurs fleurs délicates. Une odeur de champignons, de terre mouillée, avec celle plus forte par moment de l’acacia, montait. Comment être insensible à cela?

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