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Billet de blog 19 février 2025

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Trace 159-Lieux communs 2

Il y a d’autres moyens pour refaire place, ne serait-ce que pour un soir : la venue d’un cirque. Avec le Cirque Besson, en 1983, nous balayions le cercle de la piste, sur la place concédée pour un soir, et vidée des voitures qui l’ornent d’habitude. En partant, dans la nuit, nous laissions  ce rond clair, témoin de ce qui fut, trompette, trapéziste et funambule, chapiteau et lumières …

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Une place : de l’ombre, de l’eau, des sièges. Quoi de plus ? Du silence, pour mieux y entendre les rires. Cherchons encore comment, de toutes manières imaginables, faire place commune.

Giovanni Michelucci, déjà rencontré maintes fois ici, va nous aider à préciser la définition d’un espace public.

« La ville est née de l’enfance : C’est là une chose vraie, plus que vraie : chez moi, la ville est née de l’enfance ! Moi, dans ma ville de Pistoia, je me souviens quand nous nous poursuivions place du Duomo, à la sortie de l’école, quand nous nous disputions, quand nous nous tirions les cartables… Ces moments, je les ai encore inscrits en moi ; ils ont fait naître en moi, sans que j’en sois conscient, le sens de la ville : les enfants qui se poursuivent,  se disputent, se tirent les cartables, et de ce contact avec les espaces de la ville commencent à en goûter le sens.

Mais en même temps le sens de la ville gît dans ce puits au milieu de la place, dans ces emmarchements, dans cette église, dans ce palais de justice …

Tous objets  qui ont un sens capable de communiquer aux enfants un état d’âme de peur ou de bonheur. 

Lumières de la ville : Quand j’étais à peine plus qu’un petit garçon, le Baptistère de Pistoia était le point de rendez-vous des pauvres, des anciens, des gens  qui n’avaient personne. Le samedi, quand le marché se tenait sur la place, c’est justement cet étrange rassemblement qui contribuait à créer une relation entre le Baptistère, cette superbe construction close sur elle-même, et la foule animée de la place du marché. Ces deux réalités par ailleurs sans communication possible, l’espace sacré et le monde des marchands, avaient des points de contact en la personne de ces pauvres. … Selon moi, c’est cette dimension qui définit la qualité urbaine, à savoir la faculté qu’ont les citoyens d’utiliser d’une façon apparemment impropre les espaces qui ne leur sont pas directement destinés, car cet usage est le seul capable de mettre en relation entre eux des espaces et des situations créés pour d’autres fins.

Les balustrades de la Piazza Navona : Il y a à Rome, Piazza Navona, des fontaines, entourées de balustrades,  faites d’une étrange manière. Nous avons l’habitude de concevoir les balustrades comme quelque chose qui sépare l’objet de valeur de la population, comme une nette division entre l’objet et les gens pour éviter un contact périlleux. Autour des fontaines de la Piazza Navona, au contraire, la balustrade est constituée de deux fers larges et espacés, qui permettent de s’asseoir, spécialement de s’asseoir à cheval.

Alors non seulement il n’y a plus séparation entre l’objet et la population, mais il y a invitation à rester. Cela ne semble rien, pourtant cela est profondément pensé. » GM

Il faut préciser que ce texte a maintenant 30 ans ou plus et qu’il est dorénavant interdit de s’asseoir sur ces pourtours des fontaines …

Comment refaire de la ville, en refaisant des places, là où règnent  les voitures ? Difficile ! Un récent concours nous a mis, FORALL architectes mandataires, et nous, NAO, devant ce dilemme : construire un marché couvert sans toucher à une place du parking existant … nous avons répondu de notre mieux, tout en doutant de la pérennité des voitures dans le futur, et le faisant savoir : perdu !

Il y a d’autres moyens pour refaire place, ne serait-ce que pour un soir : la venue d’un cirque. Avec le Cirque Besson, en 1983, nous balayions le cercle de la piste, sur la place concédée pour un soir, et vidée des voitures qui l’ornent d’habitude. En partant, dans la nuit, nous laissions  ce rond clair, témoin de ce qui fut, trompette, trapéziste et funambule, chapiteau et lumières …

Faire places, se promenant cette fois dans Rome :

Piazza Testaccio : la fontaine au centre commémore les amphores dont les tessons accumulés ont élevé le Mont Testaccio. Les platanes ombragent les grand-mères. Les enfants jouent jusqu’à minuit.

Piazza Mattei : la fontaine des Tortues, et ses quatre éphèbes, un bistrot.

Piazza Farnese : toute entière dévolue à magnifier le Palazzo Farnese, qui domine aujourd’hui comme alors, orgueilleusement.

Campo dei Fiori : dans ce royaume d’un désordre savant, la sombre silhouette de Giordano Bruno, supplicié pour avoir écrit notamment : « « Nous affirmons qu'il existe une infinité de terres, une infinité de soleils et un éther infini » Une infinité de fruits aussi.

Piazza Navona : évoquée plus haut. Il fit bon y être. Il fait bon y revenir, sans cesse.

Piazza San Pancrazio : le dessin de la place résulte des concavités des six bâtiments qui la bordent. Les ombres y courent, dessinant sans cesse de nouveaux contours. Cette place est un théâtre baroque.

Et comment faire ville, à partir d’une place ?

« Sur la place où tout est tranquille / Une fille s'est mise à chanter
Et son chant plane sur la ville / Hymne d'amour et de bonté
Mais sur la ville il fait trop chaud /Et, pour ne point entendre son chant
Les hommes ferment les carreaux / Comme une porte entre morts et vivants » Jacques Brel

Faire ville à partir de rien ? A partir de la nécessité de se mettre à l’abri de l’injustice ? Tournons-nous maintenant vers  les lakous.

https://www.caue-martinique.com/le-lakou-un-type-dhabitat-disparu/?fbclid=IwAR17d9IYSBLakyNJDy9AQt97nvPLUbTFADMq6XlVPmLYLtdfDqC-fRoxY6E

« Les lakous en Haïti : En Haïti, le lakou désigne l’espace commun à plusieurs maisons voisines dans lesquelles résident les membres d’une même famille, regroupés autour de la maison du patriarche. Le lakou désigne également le groupe familial étendu. Les familles élargies s’organisaient en effet en grappes de maisons entourant une cour centrale dans les régions rurales.

Haïti, en sortant de l’esclavage, a adopté le lakou comme un moyen de se protéger contre le retour de la plantation, en devenant une opposition de base à toute action de l’Etat tendant à rétablir l’ordre de la plantation. Le lakou était un « système égalitaire sans Etat » comme l’appelait l’écrivain Gérard Barthélémy.
La montée du Vaudou a été un facteur important pour le développement du lakou. Après l’indépendance de Haïti en 1804, l’absence de l’Eglise catholique au tout début des années 1800 a permis à d’autres traditions de l’Afrique de l’Ouest, telles que le complexe familial, de se développer. Ce dernier, intimement lié à la pratique du vaudou, est devenu la base du système lakou.
Le lakou constitue l’unité de base de l’habitat populaire rural et urbain, et il peut prendre des formes différentes selon que l’on se trouve dans une zone rurale très isolée ou à proximité d’une ville.
En zone rurale, il est assimilable au jardin-case des Petites Antilles, tandis qu’en milieu urbain, il caractérise un ensemble de cases ayant une cour commune.
Aujourd’hui, le lakou traditionnel tend à disparaître du fait de l’éclatement familial et du morcellement des terres, laissant la place à de petites parcelles sur laquelle est édifiée une seule maison individuelle.

Les lakous, qu’ils soient martiniquais, guadeloupéens ou haïtiens, ont constitué – sinon constituent encore à Haïti par exemple – une composante importante en termes d’occupation du territoire, qu’il soit urbain ou rural. Ils ont joué un rôle important à plusieurs niveaux notamment :
En structurant le tissu urbain de nombreux bourgs et villes des Antilles ;
En permettant dans les campagnes de « protéger » les terres de petite taille, pendant la période post-esclavagiste, en faisant en sorte qu’elles ne soient pas morcelées ;
En assurant une sorte de transition à l’urbanité pour les populations qui laissaient les campagnes pour essayer de mieux vivre dans les villes, tout en y préservant une certaine culture rurale ;
En pérennisant des valeurs d’entraide et de solidarité.

Malheureusement, ils se caractérisaient par des conditions de vie précaires, voire insalubres, qui ont fait qu’aujourd’hui ils ont disparu à la suite d’opérations de résorption de l’habitat insalubre ou de rénovation urbaine, et par le départ de leurs habitants vers des cieux et des conditions de vie meilleurs. Quant aux lakous qui existent encore, nombre d’entre eux sont en voie de disparition. »CAUE Martinique.

Une cour, mais qui fait place commune. Ce noyau, entre quatre ou cinq  maisons, cette modestie des débuts, nous ramène aussi à une origine possible de la place : l’aire de battage, ronde, où tournent les ânes, avant que l’on y fête, dansant en rond. Les places de Catalogne où on décèle souvent le cercle destiné à accueillir les sardanes, ne nous racontent-elles pas cette histoire ?

Ce qui fait place ? L’arrivée le soir dans une banlieue, et non loin de là grondent les autos, du camion pizza : une lumière dans la nuit, à l’heure où tout est clos. Trois ou quatre personnes qui attendent, devisant entre eux dans un cercle de lumière. La relation fait la place.

Revenant à l’Agora des débuts, les diverses constructions, théâtre compris, y étaient faits de bois. Nous retournons bientôt vers le bois, tel qu’il fut utilisé, au Japon, et dans les Alpes.

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