Nous sommes en l’an mille : où en est le monde ?
Au Japon, la richesse et le raffinement de la culture éclatent, à travers « Le dit du Genji » de Murasaki Shikibu, ou les « Notes de chevet » de Sei Shônagon.
En Andalousie, c’est l’apogée de Cordoue : la ville compte sans doute 400 000 habitants, et ses bibliothèques autant de livres.
En France, le paysage est sombre : selon Georges Duby, c’est faim, froid, servage…. : un monde sauvage et terrifiant : https://www.sam-network.org/video/l-europe-de-l-an-mil?curation=0.2
La dynastie capétienne est installée, depuis 987, Hugues Capet a été élu par une assemblée de grands du royaume, et instaure tout de suite une dynastie : « une simple fonction née de l’élection devient une dignité transmise par le sang » « Histoire mondiale de la France » coll. (2017)
Rien de moins démocratique, on le voit…. Aujourd’hui, les grands de la presse élisent un prince et nous font voter pour lui, est-ce mieux ?
N’étant pas historien, mais charpentier, je laisserai ici principalement la parole aux historiens.
En Italie, la situation est différente : d’une part les maçons lombards, créateurs du style roman, essaiment en Bourgogne, et jusqu’en Catalogne : suivront mille merveilles…
Politiquement, c’est le moment des choix : Deux pouvoirs se font face : l’empire, et puis la papauté, qui bénéficie de la ferveur populaire.
Comme aujourd’hui, deux pouvoirs se font face : les états-nations, et puis les multinationales, qui bénéficient de la ferveur populaire : Google, Apple, Facebook, Amazon, Mac Do,…
Les communes, (un adjectif désignant une délibération commune, devenant un nom), en profiteront pour s’immiscer, et inventer une forme de démocratie. Mais commençons par la construction de ces villes que le monde entier envie…
Giovanni Michelucci, dans «Dove s’incontrano gli angeli», sur Sienne:
« ….Et alors il est clair que toutes ces traditions urbanistiques et architecturales, comme on voudra bien les appeler, naissaient dans la mesure où il y avait cette participation, où tout venait d’une pensée tournée vers les autres, celle de permettre aux gens de vivre de la meilleure façon possible.
Ces détails auxquels j’ai fait allusion venaient, en même temps que beaucoup d’autres, de la même impulsion fondamentale, à savoir que tout part du sentiment d’être ensemble, de vivre ensemble, d’œuvrer ensemble. Qu’en dernière analyse, tous les habitants étaient les constructeurs de la ville. C’est l’aspect le plus beau et le plus excitant de Sienne. »
Etienne Hubert dans : « La construction de la ville – Sur l’urbanisation dans l’Italie médiévale » :
« Sans pouvoir encore parler de croissance programmée ou planifiée, l’expansion urbaine médiévale ne suivit pas moins, selon des modalités diverses, plusieurs étapes naturellement imbriquées entre elles mais que l’on peut regrouper par commodité en cinq phases principales : appropriation du sol, lotissement, édification des maisons, urbanisation primaire définie par la construction de nouvelles enceintes et par l’aménagement d’un réseau de voirie encore sommaire, urbanisation secondaire caractérisée par la mise en oeuvre d’une politique de grands travaux d’utilité publique destinés également ou surtout à l’embellissement et au décor urbain (organisation de la voirie à l’échelle de la ville, ouverture d’artères et de grandes places pour le déroulement des manifestations civiques, construction des palais pour les organes de gouvernement, adduction d’eau, etc.). »
L’attribution de droits aux communes est une longue lutte, de plus d’un siècle, le plus souvent pacifique, mais passant aussi par des soulèvements, ou des affrontements armés.
Selon Henri Pirenne « Le città del Medioevo » (1925), le premier consul mentionné dans l’histoire est à Lucca, en 1080. Mais un siècle nous sépare de la paix de Constance….
Selon Pierre Racine, dans « Communes, libertés, franchises urbaines : le problème des origines ; l'exemple italien » (1985) : « Frédéric Barberousse en vient à la paix de Constance (suite notamment aux épidémies qui ravagent l’armée impériale en 1167) à reconnaître le droit de légiférer aux villes de la Ligue lombarde : /…/Il était dès lors clair que les gouvernements communaux disposaient de tous les pouvoirs, qui leur étaient reconnus par le souverain, même si des restrictions y étaient apportées de manière à voiler la défaite de l'Empereur. C'est seulement avec la paix de Constance (1186) que les cités du royaume d'Italie parviennent au plein exercice de toutes les libertés urbaines, qu'elles peuvent véritablement apparaître comme de véritables états urbains au sein du royaume. » PR
En conclusion : Mario Ascheri – « La cité-état italienne du moyen-âge. Culture et liberté » :
« Les villes n'ont pas laissé seulement de beaux monuments ou des fresques ; les cités-États surtout ont laissé des idées ; des idées qui ont illuminé certains tournants très délicats de l'histoire occidentale : après les jugements de Brunetto Latini et de Bartolo de Sassoferrato, la synthèse de Machiavel ne valait pas seulement pour Florence, mais devait inspirer, en accord avec le souvenir de la Rome antique, tous les mouvements républicains de la période moderne, des Pays-Bas à l'Angleterre révolutionnaire du XVIIe siècle, jusqu'aux grandes révolutions américaine et française. Les Romains avaient beaucoup parlé de liberté naturelle des hommes, les villes populaires italiennes proclamèrent la liberté et l'égalité pour la population urbaine, et les Révolutions des XVIIIe-XIXe siècles les étendirent à tous les hommes. Il y a une certaine continuité. Pour cette raison aussi, il est juste de ne pas oublier aujourd'hui ces institutions de liberté. »
Il est satisfaisant pour l’esprit, que de penser que ce régime des communes est celui qui a régné pendant la construction de ces villes admirables, et ainsi, que d’une certaine manière le beau ait pu coïncider, tant soit peu, avec le juste…tandis qu’est bien laide la Tyrannie figurée par Lorenzetti à Sienne.
Que la forme prise puisse en quelque manière refléter le fond d’une société, qui fut multiple, qui fut aussi relativement apaisée, ayant su trouver des équilibres, même précaires…comme Patrick Boucheron le décrit dans « Conjurer la peur,1338 – essai sur la force politique des images » (2013) , cela rassure, si ce n’est que dans le livre menace la tyrannie : « Les citoyens siennois sont fiers de leur république, mais celle-ci est en danger. » Nous y reviendrons.
Retenons (comme à l’école) :
- Sienne en 1326 fait 165 ha intramuros, pour 52 000 habitants. (Etienne Hubert, op.cité, (2004)).Cent Sienne, c’est 5 200 000 habitants, dans 16500 ha, soit 1% environ des surfaces, bien mal gérées hélas, par l’ONF….
- « la concession emphytéotique de terrains non bâtis, à charge pour le preneur de construire la maison à ses frais, généralement dans l’année ou les deux années suivant la conclusion du contrat, forme le mode d’accès au logement le plus souvent attesté dans la documentation conservée. » Etienne Hubert – op. cité
- La beauté n’est pas interdite.
Et allons en Andalousie, où une commune au moins a de quoi redouter la tyrannie.