« Un matériau n’est pas intéressant pour ce qu’il est mais pour ce qu’il peut faire pour la société . » JohnTurner ( VoirTraces 40) . Attribuer un matériau à ce projet, à ce stade, et sans qu’en soit définies les multiples implantations, est chose bien prématurée sans doute. Mais il faut bien toucher terre, atterrir, donner une matérialité sous peine de rester dans la songerie, fût-ce documentée. Cette matière choisie est la terre. Les raisons en sont multiples , et seront développées. Mais retournons à la préhistoire, encore une fois : à la mienne de préhistoire : ce moment où j’éprouve, pour la première fois, une émotion architecturale, je le dois aux maisons traditionnelles de la Haute-Lande.
Dans ce qui est devenu à partir de 1857, par décret de Napoléon III, la première des forêts en monoculture d’Europe, subsistaient auparavant d’autres équilibres, qu’au nom de la mise en valeur, la même qui fit chasser les Amérindiens de leurs terres, on préféra anéantir, avant de remplacer peu à peu cette forêt par une autre monoculture, celle du maïs, à force d’irrigation intensive, et d’engrais sur cette terre ingrate. Et la nouvelle monoculture abusive sera celle de l’énergie photovoltaïque, dirait-on…
Auparavant, le paysage était ainsi :
De loin en loin, les « quartiers », qui sont des rassemblements de maisons, occupant les « airials », des clairières entourées de chênes et de pins. Là vivaient en autarcie des familles, élevant les moutons, et utilisant le fumier pour cultiver un peu de seigle, à la paille longue.
Les maisons, étables, granges, moulins, poulaillers, porcheries,… peuplent ces airials. Les maisons de « maître », amples, pouvaient accueillir jusqu’à 15 personnes. Des pluies océaniques, elles se protègent à l’ouest par un toit semblant glisser jusqu’au sol, et de tous les côtés largement débordant. Sur la façade est, un auvent, « l’emban » reçoit le premier soleil. Une treille y escalade la structure de chêne assemblée, qu’un enduit de chaux dissimule et protège par ailleurs. J’aimerais pour décrire ces maisons avoir la même précision des détails qu’a eue James Agee pour décrire les maisons des fermiers de l’Alabama, dans « Louons maintenant les grands hommes » (1941). Là aussi, sévissait une forme de pauvreté, rendant chaque chose essentielle, qu’il n’y a pas à regretter aujourd’hui. Félix Arnaudin, photographe, et à sa façon ethnologue local, fit dès 1875 des milliers de photos de cette vie, tout en recueillant contes et chansons.(Photos extraites de « Felix Arnaudin, imagier de la grande Lande »Coll. )
Ces maisons abandonnées, quand je les découvris au cours de longues traversées à vélo de la forêt , avaient bien sûr le charme de l’abandon. Mais au-delà, la simplicité absolue, les proportions puissantes, le calme qui émanait de l’ensemble conspiraient à donner une envie de demeurer là, à regarder l’ombre envahir l’auvent.
J’ai habité toutes ces maisons, si habiter signifie goûter le vent, savourer la lumière, caresser les murs, escalader les charpentes des greniers, sentir les odeurs accumulées, ouvrir un volet pour faire danser la poussière dans un rayon ...
Puis est venu l’Ecomusée de Marquèze, décidé en 1970 : certaines maisons y furent regroupées. Je perçus cela comme la trahison d’un secret, mais la façon dont ces structures furent restaurées, et les murs de torchis refaits à neuf, stimula mon intérêt pour la charpente.(voir photos)
Les maçons tressent autour des barreaux, les « esparrons », assemblés sans clous (important !) entre les montants de chêne, les faisceaux de paille de seigle, où vient s’accrocher l’enduit, sur chaque face . Une sablière d’appui, calée sur des pierres, reçoit et rassemble les montants, surélevant au-dessus du sol les parois enduites, puis chaulées.
Je puise dans le catalogue de l’exposition qui eut lieu en 2014 aux Archives départementales des Landes ces éléments concernant la construction elle-même : Comme au Japon, ce sont les artisans qui établissaient le projet : « Les artisans sont responsables de la conception de la maison, en tenant compte des volontés du propriétaire, et en premier lieu du choix des matériaux, de leur prélèvement dans l'environnement et éventuellement de leur transformation artisanale »ADL.
Les ressources locales étaient naturellement mises à profit :
« Certaines sources orales (enquêtes auprès de charpentiers traditionnels) rapportent qu'il fallait 85 m3 de bois pour une maison de 150 à 170 m2 au sol avec un toit à trois pentes, ce qui correspondait à 30 m3 de chêne et 55 m3 de pin. Autrement dit, il fallait une dizaine de beaux chênes et cent dix pins de près de 70 ans, presque une petite forêt. » ADL
Et le chantier démarre :
« Le charpentier est l’artisan que l’on sollicite dès la décision de construire et qui établit un premier projet. Il dresse le tableau par catégorie des pièces nécessaires en bois de chêne ou de pin ainsi que les arbres à abattre. Le futur propriétaire fournit les arbres et se rend dans la forêt avec le charpentier et le bûcheron pour abattre les arbres. L’équipe du charpentier procède, quelques mois après l’abattage, à l’écorçage, l’équarrissage, au sciage de long des poutres verticales porteuses et horizontales et au façonnage des lattis en pin. Toutes les pièces nécessaires à l’ossature sont fabriquées sur place. Après le séchage, le maître charpentier établit le numérotage de toutes les pièces de la charpente. Les parois sont ensuite constituées à plat, à même le sol, puis après avoir disposé des grosses pierres taillées par le charpentier, on procède au montage d’un pan en chevillant les assemblages les uns aux autres» ADL
On en vient au remplissage des murs :
« Le remplissage le plus usité jusqu’au XIXe siècle est le torchis, mélange d’argile que l’on trouve sur le bord des cours d’eau, et de gerbes de paille tressées que l’on a ramassées dans les champs, auxquels on peut ajouter des débris de briques et de tuiles que l’on lie avec du mortier de chaux, à base de chaux naturelle souvent extraite des carrières de Roquefort. Dans la Haute Lande, on utilise de la paille de seigle car la tige étant longue, il est plus facile de la tresser ». ADL
Des procédés constructifs nécessitant fort peu d’outils, pour une architecture simple et forte, des savoirs développés et maintenus depuis l’Age du Fer par une population locale, hors des flux, tant les voyageurs redoutaient la traversée des Landes, réputées peuplées de « sauvages », tout cela avait une cohérence, mais qui troublait.
De fait, la religion catholique semblait dans cette région plutôt un vernis cachant mal des croyances plus enracinées :
« Ainsi, les sources et fontaines guérisseuses sont nombreuses dans le département au nord de l’Adour. Probablement plus anciennes que la christianisation de la région, elles portent depuis des noms de saints plus ou moins connus. On peut considérer qu’il y a eu là un syncrétisme religieux entre vieilles croyances et christianisme populaire. De même, on trouve des cultes anciens aux pierres et aux arbres. Avec ces repères, étincelles de sacré, s’élabore une géographie symbolique à laquelle n’échappe pas l’espace de l’habitation. »ADL
J’ai aimé aussi retrouver cette croyance, où construction et croyance confinent :
« La couverture du toit, elle aussi, est un élément important et on rapporte que pour aider un homme à mourir lors d’une longue agonie, son voisin devait enlever les tuiles au-dessus du lit pour permettre à l’âme de connaître une échappée belle. »Pierre Cuzacq, La Naissance, le mariage et le décès, mœurs et coutumes (1902 et 2018)
Et aussi ces photos anciennes, où l’on voit, dans un autre rapport établi entre humains et animaux non-humains, deux bœufs glisser leur encolure par une fenêtre, dans le séjour, échangeant leur chaleur contre le repas du soir….
Pour ma part, c’est plus loin vers l’ouest, proche de l’Ariège, que je finis par rester 15 ans entre les 4 murs de torchis d’un vieux moulin, ce qui m’autorise à en dire ici tout le bien possible.
Dans l’autre volet, consacré donc au torchis, nous explorerons à la fois les raisons de défendre aujourd’hui un tel procédé constructif, et aussi les premières réglementations qui permettent de garantir sa bonne exécution.