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Billet de blog 20 février 2025

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Trace 161-Toucher du bois 4

SAINT-VERAN :« L’usage d’entretenir un grenier d’abondance : Les habitants qui, au printemps, manquaient de grain, venaient à y puiser à la condition de rendre en automne. L’usage de s’entraider mutuellement pour le transport des lauzes, de la chaux .L’usage particulier à certains quartiers de se dédommager mutuellement de la perte des mulets et des vaches, ...

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Saint-Véran (prononcé localement San-Vran) et Shirakawago au Japon ont un point commun : l’énorme engouement qu’ils suscitent, au point que la visite de ces villages devient difficile. A se demander si la fascination qu’ils exercent ne provient pas d’un malentendu, presque égal au mépris dans lequel ils ont traversé les siècles précédents : elle fut vraiment dure, la vie quotidienne dans ces villages isolés. A la recherche de refuges en altitude, ainsi que d’exemples remarquables d’architecture vernaculaire en bois, nous parlerons donc de Saint-Véran, comment il est construit, et comment on y vécut.

Le livre de Claude Arnaud : « Une mémoire de Saint-Véran » (1983), celui d’un natif du lieu, épris de son village et souhaitant lui rendre hommage, nous guidera.

« La plus aouto montagno énté sé mandjo dé pan », ainsi se nomme, orgueilleusement Saint-Véran. Un pain dur, à juger du récit que fait Arnaud : des fournées fin d’automne servait pour un pain conservé tout l’hiver, avant que le retour du printemps autorise une fournée mensuelle.

« L’origine des premiers habitants de ce lieu est mal connue. On croit que ce furent des Druides, venus de différentes régions de la Gaule se réfugier lors de persécutions. » CA

On peut imaginer que l’existence d’une mine de cuivre n’est pas étrangère à la fondation de ce village, bien plus haut en altitude que tous ceux de la région.

LA MAISON : Ce qui frappe le regard, de prime abord, est l’incroyable légèreté des structures de bois portant balcons et toitures, surtout en regard des charges d’une neige très épaisse, à plus de 2000 m d’altitude. Le contraste avec la base de pierre en est d’autant plus fort.

« Les anciennes maisons construites à Saint-Véran étaient d’un genre particulier, avec des rez-de-chaussée en murs très épais, surmontés d’une véritable construction en troncs d’arbres…. Ces parties en bois étaient en général faites avec des arbres de mélèzes, provenant surtout de la forêt de Beauregard qui, avant les guerres des XVI° et XVII° siècles, était une véritable forêt. Elle fournit des bois aux troupes de passage à Saint-Véran vers 1650 et à celles qui y stationnèrent en 1720 pendant la guerre de succession d’Autriche (environ 25000 hommes). On utilisait ces bois, aussi, pour la reconstruction des maisons après les incendies de 1686, 1810, et 1882. Cette montagne de Beauregard est aujourd’hui dénudée et il n’y a plus de traces de bois. Les maisons avaient un toit en planches ou en lauzes (grandes pierres plates provenant des rochers des montagnes de Saint-Véran.) » CA

Animaux humains et non-humains partageaient la même pièce. On imagine la vie commune, surtout durant le long hiver de six mois : « A l’avant de l’écurie, à partir du pilier central, le sol est recouvert d’un plancher et sert de logement à la famille : cuisine, table, chaises, lit. » CA

« Au-dessus du rez-de-chaussée, sont établis plusieurs étages superposés. Ils sont à claire-voie  et fixés, à l’avant,  sur de solides montants de bois allant jusqu’au toit. Ces étages sont très fortement encastrés à l’arrière dans les grosses poutres formant la construction principale en bois de la maison. Ces poutres, très jointes les unes aux autres, sont entrecroisées fortement les unes dans les autres à leurs extrémités, pour former les angles, en un seul bloc solide, représentant la partie supérieure de la maison.

Le toit de la maison, à deux pentes, est en bois, de même que les chéneaux. Le bois utilisé est surtout le mélèze, pour deux raisons : Parce qu’autrefois il y avait de grandes forêts de mélèzes, et parce qu’il peut résister pendant des siècles. » CA

Les inventaires après décès, établis par les notaires, en 1856, sont éloquents, dans toute leur froideur, sur l’état de misère, ou du moins, d’austérité de la vie d’alors :

 « Dans l’écurie de ladite maison, il s’est trouvé : Un mulet, une vache, une autre vache, deux génisses. Un lit de bois blanc clos, garni de deux draps de lit en laine et une couverture aussi en laine, un traversin en laine, un rideau étoffe coton, avec sa tringle en fer, un autre bois de lit clos, aussi en bois blanc, garni aussi de trois couvertures en laine. Une table bois blanc sans tiroir et sept chaises bois de mélèze, un petit baril pour eau cerclé en fer, une auge pour les poules, un seau en bois cerclé en fer, quatre poules.

Dans la cuisine, il s’est trouvé : Quatre chaudrons, une casserole, le tout en cuivre, deux marmites en fer, un petit baquet, deux petites crémaillères, un soufflet et un trépied, un moulin en pierre pour sel, un panier en planches pour écuelles, une poêle à frire et trois petits couteaux de poche. Un pétrin avec son couvercle, une râpe à fromage, trois haches emmanchées, un moule à fromage, un pilon en bois pour sel…. » CA

Ce qui nous rappelle la comparaison que fait (Trace 49) Silvia Grünig Irribaren : « La perte du savoir vernaculaire d’habiter, la surconsommation et la suraccumulation, font qu’un bon nombre de logements modernes, même de haut niveau économique, sont difficiles à vivre. Le monde encombré du développement «illichien» trouve son symbole dans les foyers encombrés du XXI° siècle : des chercheurs ont compté une moyenne de 200 objets dans une maison paysanne du XIXe siècle, tandis que quelque 1500 objets encombrent la chambre d’un nouveau-né dans un appartement moderne. » SGI

ENTRAIDE : Comme à Shirakawago, la difficulté même a suscité des nombreux systèmes d’entraide : notre pari est bien celui-ci, n’en déplaise aux mauvais esprits.

« Autrefois, les deux canaux, ayant deux utilités, arrosage et incendies, étaient mis en état par des corvées communales, réparties en jours et sections… Chaque maison devait fournir un certain nombre de journées de travail. »

Les incendies étaient un danger permanent, et  ont ravagé périodiquement le village :

1686 : 17 maisons, 1758 : un moulin, 1810 : 8 maisons, 1880 : 3 maisons,  1882 : 33 maisons, dont la chapelle, 1901 : 13 maisons, 1903 : 1 maison, 1967 : 3 maisons.

A noter qu’après un incendie désastreux en 1650, le village fut reconstruit en séparant les quartiers d’espaces coupe-feux. Ce thème des coupe-feux sera notre sujet des Traces 170 et 171.

Ces  nombreux incendies  ne sont pas étrangers à la déforestation dramatique de la zone :

« Les arbres des forêts de Saint-Véran sont surtout des mélèzes, pins cembro et pins. … Il existait autrefois beaucoup d’autres forêts, dont il n’y a plus de traces, telles celles de la montagne de Beauregard et des Viallès, qui ont été dévastées autrefois, soit par les troupes de passage, soit par la construction ou reconstruction des maisons après les incendies. » CA

« Les habitants de Saint-Véran ont toujours été charitables pour les malheureux et mendiants, qui ont toujours trouvé gite et nourriture chez eux. L’esprit d’entraide était très pratiqué. En exemple : des corvées étaient faites gratuitement pour venir en aide aux éprouvés, qui étaient en retard dans leurs travaux des champs.

On a vu des groupes de jeunes gens aller moissonner le soir au clair de lune, ou d’autres aller avec leurs mulets pour rentrer les récoltes…

Selon le curé du lieu, qui écrivit au milieu du XIX° siècle :

« L’usage d’entretenir un grenier d’abondance sous la direction des administrateurs de la commune. Les habitants qui, au printemps, manquaient de grain, venaient à y puiser à la condition de rendre en automne.

L’usage de s’entraider mutuellement pour le transport des lauzes, chaux, …

L’usage particulier à certains quartiers de se dédommager mutuellement de la perte des mulets et des vaches, au moyen d’une certaine taxe imposée à chaque animal de ces espèces.

Enfin l’usage de visiter les malades sans distinction et de secourir ceux qui sont dans le besoin. » CA

Donc une sécu avant l’heure.

ARTISANAT : Nous avons eu l’occasion (T153) de défendre l’ornementation. Ici, l’hiver était l’occasion de pratiquer divers artisanats, dont la sculpture sur bois, encore pratiquée intensément dans la région : «  De tout temps, il y eut à Saint-Véran des hommes travaillant le bois. Au XVIIIe siècle, il existait quelques ateliers fabriquant tables, lits, chaises etc., parfois avec leur millésime sculpté. En 1900, il y avait encore des ateliers. Ainsi, chez Etienne Marrou, Antoine Romanet, André Pons, et chez Prieur Blanc, aux Foranes. De cette dernière famille, Jacques installa, en 1935, un atelier avec des machines modernes et, en véritable ébéniste, fabrique des meubles anciens, soit en marqueterie, soit sculptés à la main. » CA

Rejoignant notre préoccupation des métiers liés à la traction animale (T151), ceci : « En 1910, il y avait encore trois bourreliers, pour 539 habitants. » CA. Ce qui, pour 68 millions d’habitants, nécessiterait 378 000 bourreliers …pour qui déplore la perte d’emplois dans l’automobile. Il est temps de sortir du fordisme, non ?

Nous pourrions parler aussi des canaux ou des fontaines en bois, nous rapprochant ainsi du prochain thème : l’eau, encore et toujours.

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