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Billet de blog 20 novembre 2024

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Trace 7 , Eau 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Oui, pas de vie sans eau. Et le manque menace. Cette question me paraît la plus dramatique de toutes, et ce depuis longtemps, ce qui explique mon ancienne qualification d’ingénieur en hydraulique et mécanique des fluides, un diplôme de 1976 …un diplôme tout neuf, car bien peu utilisé.

Les déficits hydriques se multiplient, (voir cartes 2020) ainsi que les pluies violentes mettant à mal les systèmes d’évacuation des eaux, noyant aussi dans des inondations des milliers, voire des millions de personnes (Chine 1931).

Le changement climatique  aggravera donc les questions d’approvisionnement d’un côté, de l’autre nous interdira, sous peine d’aggravation, de recourir pour les résoudre aux solutions lourdes des derniers siècles, à coup de béton, de fonte, d’acier, …et de grenades , comme à Sivens.(mort de Rémi Fraisse le 26 octobre 2014).

Le sujet, immense, mérite de s’y attarder à de nombreuses reprises, pour s’imprégner de multiples expériences.

Comme un préalable à un autre usage de l’eau, un autre rapport est nécessaire. Car l’eau est sacrée, dans les puits sacrés de Sardaigne, mais partout ailleurs aussi.

Sans passéisme, il nous faudra aussi tirer les leçons des techniques antérieures à la révolution industrielle : nous irons en Mésopotamie, en Inde, en Egypte: ces civilisations se sont affrontées avec la rareté de la ressource, et ont développé depuis 7000 ans des systèmes d’adduction, et d’assainissement qui sont encore malheureusement inaccessibles à une infinité de gens :

29% de la population mondiale n’ont pas d’eau potable à domicile, ce qui cause 2.6 millions de morts par an.

69 % ne disposent pas d’installation d’assainissement, ce qui cause de plus de 400 000 morts par an.

En Andalousie, comme à Sienne, les réseaux d’adduction sont comme les systèmes sanguins des villes, si l’on admet que les rapports humains en sont plutôt les systèmes nerveux…

La nécessité de réguler ces apports irréguliers, par stockage de toutes échelles, qui va s’imposer, a déjà suscité des inventions remarquables : au Rajasthan, mais plus près d’ici, dans les Pouilles, par exemple…

Dans la Bourgogne du Moyen-âge, les ordres religieux qui ont fait procéder aux déforestations ont aussi installé des réseaux hydrauliques.

Un long voyage nous attend …

Parmi les « Villes invisibles », Italo Calvino distingue :

Isaura : « Isaura, la ville aux mille puits, s’est élevée présume-t-on sur un profond lac souterrain./../Deux sortes de religion ont lieu à Isaura. Les dieux de la ville, selon les uns, habitent dans les profondeurs, dans le lac noir qui nourrit les sources souterraines. Selon les autres, les dieux demeurent dans les seaux…dans les poulies,…dans les cabestans des norias …. »

Rentrer dans l’un des  « puits sacrés » de Sardaigne est une expérience mystique.

Celui qui se trouve non loin de la gare de Golfo Aranci, par exemple :

http://www.sardegnacultura.it/j/v/253?v=2&c=2488&t=1&s=22232

L’entrée ne paye pas de mine : le puits est partiellement détruit par la construction des voies de chemin de fer.

Pourtant, y rentrer, descendre, dans un après-midi d’été éblouissant, ces marches qui vont vers le noir, sous les dalles monolithiques, voir l’eau luire faiblement au fond tandis que se rapprochent les murs, a quelque chose d’étreignant : il semble avoir accès à un mystère essentiel. Retrouver ensuite le jour blanc, les voies, la mer donne le vertige de parcourir des millénaires en vingt marches. Croisant alors deux italiens à la recherche du puits, mal indiqué, j’y suis retourné avec eux, pour goûter leur recueillement, et me recueillir avec eux…

Dominique Fernandez, dans «Mère Méditerranée»(1965) l’évoque ainsi : « le scintillement mystérieux, bien plus semblable au tranchant poli d’un métal qu’au mol sourire d’une fontaine ! …l’eau qui brillait au fond du puits était une eau antérieure à toutes les émotions douces qu’elle procure aux peuples plus civilisés, une eau liée au corps maternel de la terre, une eau-corps sans fraîcheur bucolique et presque sans liquidité. » Pardonnez-lui le « plus civilisés », il est de l’Académie française….

Le culte de l’eau : http://pierluigimontalbano.blogspot.com/2015/03/archeologia-il-culto-dellacqua-nella.html

« En effet, la signification conceptuelle de l’eau demeure ambigüe et fuyante, cette eau qui est à la base des plus spectaculaires manifestations de la  civilisation nuragique. Dans une île comme la Sardaigne, caractérisée par un climat méditerranéen, sans glaciers, avec des fleuves au régime torrentiel et des précipitations inconstantes et peu sûres, une île séparée du reste du monde et facilement dépendantes de la moindre sécheresse, l’eau de la nappe, qui surgit de la roche constitue une garantie de survie pour les êtres humains, et les animaux. Ainsi, dans de telles conditions écologiques, l’eau se prête à être vue comme élément, facteur, ou même principe vital ; mais seulement dans la Sardaigne nuragique ces concepts sont venus à être exaltés, au point de devenir un vrai culte national, pour lequel la valeur de l’eau oscillait entre le plan d’une essence divine, celui d’un moyen de passage entre naturel et supranaturel, enfin celui d’un instrument rituel. L’usage d’une eau parfaitement limpide et potable, ou bien riche de sels minéraux et effervescente, médicamenteuses, et jusqu’à des eaux toxiques, suggère les applications les plus variées, que ce soit libations, rites lustraux, ou même ordalies. »Pier Luigi Montalbano – Archéologie : le culte de l’eau.(2015).

Il est permis de rêver un peu au visage qu’aurait la planète si cette tradition d’un culte de l’eau, de l’eau qui sauve, mais aussi de l’eau qui tue, avait prévalu sur les monothéismes : soin apporté à l’utilisation de chaque goutte d’eau, que ce soit pour la consommation domestique ou pour l’usage agricole, attention portée à chaque système d’assainissement , pour ne pas risquer de polluer, ou d’empoisonner sources, rivières, fleuves, mers, … et simplement adoration muette d’une goutte, d’un filet de source, d’un ruisseau, d’un fleuve . Mille lieux se prêtaient au culte : sources, fontaines, cascades,…

Les exigences formulées ici récemment par des élus de la région Auvergne-Rhône-Alpes n’auraient même pas lieu d’être tellement elles seraient alors d’évidence :

 http://aurassemblement-elus.fr/secheresse-2020-leau-enjeu-brulant/?fbclid=IwAR3fLYu-EUvwyE5R99EhHTQAkVXMjCe90UR7Lcn3AG-QluR1Tk6mkl9C3sg

« Des assises régionales des usages de l’eau avec l’ensemble des usagers, citoyens, professionnels et scientifiques.

La réorientation des aides agricoles vers l’accompagnement à la mise en place de cultures diversifiées, peu consommatrices d’eau et destinées à la consommation régionale (agroforesterie, permaculture, agro-écologie…)

Le conditionnement des aides régionales à des programmes d’économies d’eau et d’énergie. »

Mais on les comprend, et on comprend leur urgence.

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