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Billet de blog 20 décembre 2024

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Trace 55-Forêts 3

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Traces 55, et seulement Forêts 3, quand il n’est question partout que de forêts, depuis celles que veut planter la maire de Paris, aux 50 millions d’arbres du ministre de l’agriculture…

Il va falloir définir les choses plus précisément : une plantation n’est pas une forêt. Une armée en marche n’est pas une bande d’amis : manque les liens, entre autres.

Pour faire le lien avec les Landes, où nous étions dans Traces 53, on peut y trouver une tentative sympathique de « forêt comestible » qu’il faudra suivre, du point de vue de l’agroforesterie :

https://lareleveetlapeste.fr/landes-foret-de-higas-la-creation-dune-des-plus-grandes-forets-comestibles-deurope/?fbclid=IwAR2WLm3rXIqHXk3Y3eXHGF5Juib-71HpQ1FK1ngU6Wxn0toT-e_WCxI0MjU

Les deux textes 55 et 56 feront se confronter deux points de vue, se rejoignant finalement dans la quête d’une forêt vivante.

Celui de Baptiste Morizot, dans « Raviver les braises du vivant »(2020), à la recherche de « l’ajustement des égards » : « L’ajustement des égards est spectaculairement incarné par les personnages fascinants que sont les paysans naturalistes, capables de nommer chaque espèce, de décrypter les dynamiques écologiques qu’ils activent sur le terrain, et de voir l’écosystème du point de vue des interdépendances »BM

L’autre texte, aujourd’hui, sera la thèse de Clément Dodane : « Les nouvelles forêts du Massif Central : enjeux sociétaux et territoriaux. Ces hommes qui plantaient des résineux pour éviter la friche. »(2009). J’y ai retrouvé, par le plus grand des hasards, René, un ami ardéchois, un de ces paysans dont parle Morizot : René est l’un des principaux informateurs de la thèse, et fut aussi le maire d’Ajoux pour qui, il y a  presque vingt ans, j’ai dessiné une passerelle de châtaignier : on le voit ici de dos, portant des planches aux charpentiers.

« J’ai beaucoup appris aux côtés de René, personnage emblématique, maire durant presque 50 ans, syndicaliste agricole, Président des gîtes de France en Ardèche. Nous avons discuté ensemble de longues heures en visitant ses châtaigneraies, ses pins laricio de Corse, en allant couper du bois, en le ramenant en tracteur pour le débiter et le fendre, en rentrant dans son atelier de menuiserie où il travaillait les bois locaux, devant un verre de castagnou, à déguster une rôtie de châtaignes, des charcuteries ardéchoises (caillette et saucisson confectionnés par Monique sa femme) ou quelques produits artisanaux locaux.» CD.

Où l’on voit que la rencontre de René, déjà retraité à l’époque, a contribué à donner un peu de chair et de vie à une thèse par ailleurs très documentée, très fouillée :

« Si les prairies ont été louées à d’autres agriculteurs, les châtaigneraies ont été conservées. Désormais, ce sont ses petits-enfants qui viennent chaque automne, durant les vacances de la Toussaint, ramasser des châtaignes pour se faire un peu d’argent de poche. À trois ou quatre, ils arrivent à ramasser 1 tonne en cinq jours. En retour, ce paysan à la retraite profite de l’aubaine de la présence de ses petits-enfants pour continuer d’exercer son droit d’usage sur le bois sectionnal du hameau, qui couvre une superficie d’une vingtaine d’hectares. Il reste actuellement le seul à profiter de ce droit ancestral que conservent encore les foyers du hameau ; s’acquittant lui-même chaque année de l’impôt foncier afin que ce bois ne tombe pas dans l’escarcelle des Domaines. »CD

Voir au sujet des sections communales Traces 21, Communs 1, avec Sarah Vanuxem.

« Enfin, René possède quelques hectares de taillis de châtaigniers dans lesquels certains bois ont pu déjà bien grossir. Ce sont ces arbres qui ont servi à la construction d’un pont sur l’Auzène. Véritable symbole local, il permet de relier deux communes entre-elles, passant au-dessus d’un impétueux petit cours d’eau. Ce pont a une histoire, comme les bois qui le composent. Les châtaigniers en question ont été abattus selon les pratiques locales (en fonction de la saison et de la lune) afin d’augmenter leur durabilité. Puis une équipe de charpentier assistée d’un architecte spécialisé dans la construction bois a réalisé l’oeuvre. L’événement a depuis fait l’objet de plusieurs articles de journaux pour sa valeur exemplaire. Le châtaignier est pour René l’arbre avec lequel on bâtit et celui que l’on travaille en menuiserie (frêne, noyer, merisier et aulne le sont aussi, mais ils sont plus rares). »CD

« Pour lui, l’Ardéchois, l’arbre de valeur, c’est le châtaignier et non le pin. Il a été capable de porter, au-delà même du simple fait que ce soit lui qui ait fourni les bois, un projet de pont en bois, parce qu’il serait en châtaignier... L’on perçoit quel peut être la force identitaire d’un arbre dans sa capacité à motiver un propriétaire forestier autour d’un objectif déterminé. Pour René, les enjeux actuels sont ceux de la transmission. À près de 70 ans, il attend avec impatience le retour de ses petits enfants lors de périodes de vacances pour aller avec eux couper du bois de chauffage, pour leur apprendre à travailler le bois dans son atelier de menuiserie… »CD

S’il y a donc un arbre, qui cimente une «  identité ardéchoise », quelle que soit l’origine de ses habitants, c’est bien le châtaignier. Et pourtant …

Pour revenir sur l’objet même de la thèse, Dodane y démontre, prenant l’exemple de l’Ardèche, que l’Etat, dans la quête productiviste qui caractérisa les Trente Glorieuses , s’y comporte en incitant à la plantation de résineux les paysans désespérés par l’arrivée de la friche, comme le faisaient les intendants du XVIII° siècle :« Le gouvernement central ne se bornait pas à venir au secours des paysans dans leurs misères ; il prétendait leur enseigner l'art de s'enrichir, les y aider et les y forcer au besoin. Dans ce but il faisait distribuer de temps en temps par ses intendants et ses subdélégués de petits écrits sur l'art agricole, fondait des sociétés d'agriculture, promettait des primes, entretenait à grands frais des pépinières dont il distribuait les produits […]. » Tocqueville cité par CD.

En vain cette fois, pour bien des raisons :

« Passer du constat que chaque année les forêts françaises stockent plusieurs millions de mètres cubes et en tirer comme conclusion que «  la ressource est bien là, dans nos forêts » (PUECH, 2009), est en quelque sorte une erreur d’appréciation qui nous paraît avoir été démontrée dans cette recherche. »CD

Créer en tout premier lieu des dessertes, ce que Roupnel appelait la « charpente » (Traces 35), aurait été plus utile, à l’exploitation, mais aussi à la création d’une forêt vivante, comme cette forêt de l’Ancien Régime que rappelle Dodane : « Les espaces forestiers sont largement appropriés par les sociétés locales, bruissent de la vie besogneuse de toute une nation, dans les limites laissées par une loi royale qui n’a pas toujours les moyens de se faire respecter. »CD

Une forêt dans laquelle on a su, pour son bien, laisser place à d’autres cultures, en une forme d’agroforesterie : « … au lieu d’épuiser le sol sans jamais lui rendre, on fume les châtaigniers, en faisant souvent un peu de culture, seigle ou autre, au pied. Par ces moyens, les propriétaires de Vesseaux arrivent à conserver leurs arbres plus longtemps qu’ailleurs, à les entretenir en meilleur état, et à leur faire produire des récoltes plus abondantes. » CD citant un auteur du XIX°siècle.

Mais cela, et les terrasses créées pour ces cultures, nécessite, on le comprend, une quantité de travail énorme, donc une population importante, au lieu du désert organisé en deux temps par l’exode rural et l’enrésinement qui a suivi, désert que déplore Dodane :

« La présente recherche a permis de montrer l’importance spatiale de la reforestation à l’échelle du Massif Central, transformant cet ensemble en une des terres les plus forestières de France. Le processus devrait d’ailleurs se poursuivre de façon spontanée là où le réservoir des landes et des friches est encore important. C’est le cas en Ardèche où le taux de boisement galopant est le signe d’une situation qui ne s’est pas encore été stabilisée. Les prévisions sont mêmes alarmistes. Certains secteurs d’Ardèche pourraient ne devenir qu’un vaste espace boisé, vides d’hommes ou presque, un véritable désert boisé portant une forêt-friche. »CD

Ne pas intervenir, créer des lieux de libre évolution, ce sera pourtant le point de départ du livre de Baptiste Morizot, dont il sera question dans le prochain texte.

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