L’eau est chez moi une vieille passion, malgré mes études d’hydraulicien. C’est aussi, depuis le début de cette recherche, une préoccupation prioritaire. L’état actuel des rivières et des fleuves, en Italie comme dans une grande partie de la France : https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/14/dans-le-verdon-asseche-on-touche-le-rechauffement-climatique-du-doigt-c-est-brutal_6134779_3244.html , justifie a posteriori, s’il en est besoin, cette préoccupation. Nous aborderons cette fois le sujet de deux manières : d’abord en suivant Emma Haziza, qui est hydrologue, mais avec une vision bien plus large que celle d’une simple spécialiste. Et puis, comme il s’agit ici de faire des propositions, et non juste de se lamenter, nous saisirons la question du robinet par l’autre bout : les sources.
Emma Haziza a donné une interview très riche sur Thinkerview : https://www.youtube.com/watch?v=5ysUySSNW3M
J’ai beaucoup de mal d’habitude à suivre une vidéo de deux heures, comme vous aussi, j’imagine. Mais celle-là en valait la peine, donc en voici une retranscription très condensée, sans commentaires de ma part : CRISE DE L'EAU, PLANETE TERRE INVIVABLE ?
« Tout ce que nous savons est que nous ne savons rien tellement il y a à apprendre en hydrologie. » EH
« On a eu ce biais cognitif de penser que rien ne nous arriverait, dans nos pays tempérés…On était persuadé que seul l’arc méditerranéen serait concerné. Or, l’évolution climatique n’évolue pas en remontant régulièrement. En réalité, il faut parler de déficit de pluie, plus que d’augmentation de température. Le changement climatique révèle les erreurs que nous avons fait, au niveau d’aménagement des sols. En 2019, il y a eu des feux de champs en Picardie » EH
En 2022 aussi : https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/13/la-secheresse-provoque-des-feux-dans-les-champs-de-ble-de-l-oise_6134560_3244.html
« Cela se passe partout, pas seulement au Sud. Les méditerranéens, eux, ont déjà adapté corps et architecture à la chaleur. Les choses vont arriver selon un rythme qui dépasse notre entendement.
On s’est focalisé sur l’acquisition de maisons, pour lesquelles on s’endette pour 22 ans en moyenne, sans connaître rien d’un futur aussi lointain.
Quand la crise est là, on a beau avoir essayé de planifier, on n’y croit pas, ni à l’échelle d’une cellule de crise, ni encore moins à une échelle plus vaste. » EH
« En 15 jours seulement, tout peut basculer. Si on additionne 4 années de sécheresse historique, tout flambe. Si tu plantes un arbre, cela ne suffit pas. Qu’avons-nous fait durant les 30 glorieuses ? On a développé un système insoutenable, fondé sur l’eau. Il y a 15 ans, l’académie des sciences disait déjà que nous aurions un problème d’eau avec l’industrie nucléaire. Il faut faire des choix. Mais on va hélas plutôt choisir les clim que les poissons … (voir T65)
Il y a une féminisation des poissons qui mangent les œstrogènes … Tout finit dans les cours d’eau, il faut le savoir. »EH
« La vapeur d’eau est un gaz à effet de serre. Les rayons font vibrer les molécules à 3 têtes, CO2. H2O, … et ça réchauffe. L’eau c’est 95% des gaz à effet de serre. En termes d’effet, c’est 60 à 80 %.
Sachons que 70 % de l’eau est sur les pôles. Un pourcentage dérisoire de nos ressources est dans les fleuves En tout, on a 14000 km3 d’eau douce. Depuis un moment, on va taper dans toutes les nappes d’eau fossiles, qui se sont accumulées depuis des millions d’années. On peut imaginer que cette eau rejoint les océans, les surélève et augmente aussi par évaporation l’effet de serre : en un seul geste deux effets pervers.
Bien sûr qu’il faut aussi décarboner, mais le dérèglement du cycle de l’eau pourrait être le premier responsable.
En cause, les villes, et les campagnes, et comment on y vit. Les feux générés ne sont pas contrôlables.
Toutes les solutions que l’on évoque sont très partielles. »EH
« Notre assiette vient du supermarché, et utilise énormément d’eau. Or 62 % de l’eau des français vient des nappes. L’eau est utilisée dans tous les systèmes industriels. Sans eau, plus rien ne marche de ce système.
Désaliniser l’eau de mer ? Il y faut de l’énergie : fonder un système sur un autre crée des dépendances.
En Californie, on puise sans penser au renouvellement. Résultat, on a des sécheresses.
Un dôme de chaleur crée à chaque fois une chute des récoltes. Quand les circuits du blé ne fonctionnent plus, il faudrait s’interroger sur comment faire. La seule chose qui nous reste : produire à petite échelle, se tourner vers l’agroforesterie (voir T170 et 171 à venir), rajouter des haies, de l’ombre.
Le système est dans une inertie totale. On continue et on se met des œillères. Dire, il faudrait changer de métier … ce n’est pas possible. Seulement si on a le sentiment d’avoir un bien commun, on peut espérer. » EH
« A quelques km de là où il y a sécheresse, là où on n’a pas labouré, et détruit les micro-biotes … l’eau est là. Il suffit de peu.
Toutes les études montrent des migrations massives à prévoir. De ce que je vois, on s’oriente vers une forme de tétanisation émotionnelle, et on s’immobilise. D’ici 7, 8 ans, on aura ici en France 50° .
Il y a des formes d’agriculture qu’il nous faut abandonner : le maïs, par exemple
Pourquoi ne pas donner à ceux qui effectivement protègent des m2 de prairie, de forêts, les retombées des taxes carbone ? Cela suppose d’abandonner notre système actuel de production.
On peut proposer un nouveau modèle, le forcer. Mais s’il n’y a pas un désir d’avancer, cela ne marchera pas. » EH
« Sur les bassines : Pour maintenir l’eau, on a des retenues collinaires. Cela peut soutenir des petites agricultures locales, mais cela n’est pas à généraliser. Les bassines, c’est l’eau des nappes, prélevée, pour fournir pendant l’été. Cette eau des nappes, puisée, ne peut plus soutenir le niveau des cours d’eau. Ces prélèvements vont donc assécher plus rapidement les rivières. L’eau en superficie s’évapore rapidement, de 20 à 40 %. Pourquoi ne pas la conserver plutôt dans les nappes ? Juste pour outrepasser ainsi les arrêtés préfectoraux interdisant les prélèvements l’été.
C’est une forme de privatisation d’une ressource commune. Ce système court à sa perte, comme en Californie, comme au Chili. Voilà un énorme mensonge : il faudrait soi-disant prélever pour ne pas donner aux rivières. Il faut commencer par tenir un discours de vérité, que l’on parle de sécheresse, ou d’inondations. Localement, on peut recréer de petits cycles de l’eau.
63 % de nos pluies sont des eaux continentales, il faut en être conscient. » EH
« Que faire ?
Forcer massivement la transformation des territoires, créer des villes-éponges, contrôler le green-washing massif, rendre transparent les flux financiers aidant à ces transformations.
Les pôles chauffent, les anticyclones se déplacent …
Ma thèse de doctorat : comment essayer de sauver des vies dans des situations d’urgence, faisant la jointure entre paramètres humains et paramètres physico-chimiques?
Si aujourd’hui on permet aux paysans de nourrir les populations proches, c’est la seule solution pour fonder notre résilience alimentaire.
Respecter les cycles de renouvellement naturel, tous les cycles.
Créer des écosystèmes.
Certaines innovations peuvent être pertinentes, mais il faudrait surtout ne plus être soumis aux systèmes financiers.
Prendre des terres détruites, recréer de nouveaux systèmes.
Le nucléaire ? En tant qu’hydrologue, s’appuyer sur des cours d’eau, ou se situer en bord de mer, c’est assez dangereux.
Le Portugal a investi dans le solaire, et a bien fait.
Attention : en Mer du Nord il n’y a pas eu de vent l’an dernier. L’éolien offshore peut ne pas tenir ses promesses.
On n’a pas trois ans, comme il se dit, il faut agir dès aujourd’hui.
Arrêter les pesticides, tout de suite, surtout s’ils servent à nourrir du bétail. Cette prétendue souveraineté alimentaire est ruineuse. Aujourd’hui, on en vient à irriguer des vignes, mais les racines remontent, et on crée de la vulnérabilité.
La financiarisation de l’eau, en Californie, est représentative d’un temps où tout est monétarisé. On oublie ainsi la réalité du monde. » EH
« Des guerres de l’eau ? Le pays le plus fort fait pression : l’Egypte intimide l’Ethiopie, par exemple.
En France même, on se confronte entre eau des villes, eau industrielle, eau pour agriculture. Des priorités sont à établir.
Quitter les villes ? Oui, mais pas en déportant nos mêmes modes de vie.
Quatre livres ?
« Le bug humain » de Sébastien Bohler
« L’empreinte eau », de Daniel Zimmer
« L’avenir de l’eau » d’Erik Orsenna
« L’origine du monde » de Marc André Selosse (voir T118) :
Peut-on changer le système de l’intérieur, ou vaut-il mieux déserter ? Il faut changer depuis là où on est.
Conseil pour les jeunes générations ? Que chacun trouve son « pourquoi on se lève ». Lâcher les peurs, les cases, les modèles, …Danser avec le système, sans jamais lui appartenir. » EH
Tout cela coule de source. Nous ferons retour aux sources, bientôt.