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Billet de blog 21 novembre 2024

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Trace 9 - Animaux 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Oui, il s’agit toujours de préparer demain, même si nous étions, avec l’eau, aux débuts du néolithique. L’un des buts, recherché, est bien, toujours selon Philippe Descola : « … mieux habiter la terre et y accommoder, avec plus de justice que dans le système capitaliste actuel, les occupants humains et non humains de notre maison commune. ».  Qu’avons-nous fait des animaux non-humains ? Que s’est-il passé pour qu’ils soient aujourd’hui aussi mal considérés, aussi menacés, et détruits ? Comment retrouver un autre rapport avec eux ? C’est un long parcours, passant par l’observation directe, bien sûr, l’écoute aussi, des non-humains, les expériences en cours comme à Notre Dame des Landes, mais aussi par les lectures de Baptiste Morizot, de Paul Shepard, d’Alessandro Pignocchi, de Vinciane Despret, de Philippe Descola, d’Elisabeth de Fontenay, de Michel Montaigne aussi….Mais avant les philosophes, les anthropologues, écoutons d’abord un poète : Jean Rouaud, qui explore, à travers l’examen des peintures rupestres, tout au long du paléolithique, depuis la grotte Chauvet (-35000), à Lascaux (-17000), Etiolles(-11000) et enfin le Mas d’Azil (-10000) , comment évolue la représentation des animaux et singulièrement du cheval : c’est « La splendeur escamotée de frère Cheval, ou le secret des grottes ornées » (2018).

L’idée, même si l’écrivain écrit avec « l’intérêt bienveillant » de Boris Valentin, professeur d’histoire de l’art et d’archéologie, est bien de renouer avec les armes de la poésie : « C’est par cette forme de pensée, poétique, qui elle n’a pas varié depuis que nous partageons les mêmes cerveaux, que nous pouvons communiquer avec nos devanciers illustres du paléolithique qui ne nous ont laissé d’autres traces que quelques os et des grottes somptueusement parées. »JR

Le basculement s’opère à la suite d’un réchauffement climatique violent, qui fait accomplir à l’homme des changements profonds de tous ordres. (Nous pouvons espérer qu’à conditions semblables, nous saurons être nous aussi à la hauteur).

« L’épisode se situe après le réchauffement climatique qui mit fin au paléolithique. A la suite de quoi la terre se couvrit de forêts et de halliers. Ce qui entraîna, ce changement du paysage et des conditions de vie, un remplacement pièce à pièce du vieux système de représentation qui court de Chauvet jusqu’à l’azilien» JR.

« L’homme a profité du déclassement de l’animal, de la perte de sa puissance suite à la maladie verte qui, recouvrant la terre de taillis et de forêts, l’a privé des grands espaces où il pouvait se mouvoir, pour lui prélever sur le dos la laine de sa part divine »JR.

 Le cheval, qui était divinisé, comme divinité solaire, a perdu ainsi de son prestige :

Au début, les « mains d’or » de Chauvet, nom donné par Rouaud aux peintres, révèrent le cheval parmi tous les autres animaux : c’est lui que l’on trouve au fin fond de la grotte, dans une sorte d’alcôve :

« Mais pour les mains d’or, rien de mieux à offrir que de s’approcher de ce qu’il y a de plus puissant dans la création, de plus influent, de plus beau, de plus fort, et que représentent à leurs yeux les seigneurs de la terre….bison, mammouth, aurochs, cheval…. »JR

Ces représentations ont, vis-à-vis des croyances humaines connues, une durée extraordinaire :

« Vingt-cinq mille ans à reproduire le même bestiaire, en usant des mêmes procédés figuratifs et, en dépit de quelques nuances, d’un même style, qu’on qualifiera avec nos codes de naturaliste./…/

Ce qui implique une même représentation mentale pérenne face à l’inconnu du monde, un même système de pensée cohérent, recevable, explicatif, face aux phénomènes étranges. » JR

 Puis vient l’heure du changement, sans doute donc provoqué par ce basculement climatique.

Selon Boris Valentin, dans « Histoire mondiale de la France » (2017), chapitre 12000 avant JC : « Se sont alors achevés en France plus de deux cent siècles d’une véritable civilisation du renne… »

 Vient enfin le temps des sacrifices animaux : « … la bascule se fait ici, sur cette ligne de partage entre le sacrifice et l’image. Sacrifier un animal, c’est considérer que le monde cesse d’être cette entité divine, et que l’animal n’en fait plus partie. Il a été éjecté du rang des puissances divines. »JR

« Quand de tous les côtés les sacrificateurs l’emportent sur les imagiers, cela signifie aussi qu’on en profite pour régler leur compte aux anciennes puissances animales qu’on honorait sur les parois. Qu’on se venge sauvagement de cette subordination ancienne, de cette ancienne humiliation  du temps où l’on n’osait pas relever la tête. Le sacrifice animal, c’est une mesure de rétorsion contre les tutelles de jadis, c’est tuer Dieu, du moins l’un de ses avatars anciens. Maintenant que tout est accompli, de dominant le monde devient dominé. L’homme peut en prendre possession./…/ »JR

«… si l’on considère que l’homme totalitaire est, comme tous ceux de son espèce, paranoïaque, obsédé par l’idée que l’on convoite son pouvoir, craignant que ceux qu’il a écartés pour y parvenir ne reviennent lui demander des comptes, alors il faudrait s’interroger sur cette part animale que l’on cherche à éliminer, laquelle renverrait non pas à un symptôme d’arriération, mais à cette part divine que l’animal de jadis portait en lui et qui est à l’homme supérieur comme un reproche vivant, le rappel de son usurpation. »JR

Et à dompter, à asservir :

« Décidément notre vengeance fut terrible. On ne leur pardonnait toujours pas d’avoir ébloui nos premiers pas dans le monde, de les avoir admirés au point de chercher à les dompter pour prélever ce savoir solaire que trahissait leur crinière au vent. »JR

Y-a-t-il dans d’autres cultures d’autres visions des animaux ? C’est ce qu’explore Descola, notamment dans « Par-delà nature et culture »(2005). Nous y viendrons…

Plus près de nous, il semble que les tziganes aient conservé cet autre rapport, avec le cheval en particulier. C’est la chanson : « Nié bouditié » : «… donne la liberté au cheval gris, il nous donnera joie et félicité »

https://www.youtube.com/watch?v=jx_11UA4acA

Est mort la semaine dernière, à l’âge de 95 ans, Raymond Gurême, un des derniers survivants de l’enfermement des nomades en France de 1940 à 1946, soit déjà avant la guerre, et encore un an après, déporté, évadé, résistant : dans ce film :

https://vimeo.com/80358019?fbclid=IwAR2fsNan3-njwNFsLT9_d1HooVr4T-D28sI9W7O9GpO15SMxG3c4virkc9E

 il raconte comment, alors qu’il était enfant et atteint d’une maladie incurable, le simple contact d’un poulain (voir minute 21) lui a sauvé la vie.

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