jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

245 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 décembre 2024

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Trace 57-Gratuité 1

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous avons croisé dans cette recherche un certain nombre d’exemples de gratuités :

Celles des ressources procurées par les communs : bois des forêts notamment.(Traces 21)

Celle de l’eau à Sienne où l’eau gratuite y était nécessaire à la vie domestique, mais aussi aux teinturiers, aux tanneurs, aux meuniers, …(Traces 24)

Celle des terrains à bâtir, et aussi à jardiner, que cela soit au moment de  la création des bastides, mais aussi de certaines communes italiennes.(Traces 19)

Et Ivan Illich, dans la thèse de S.M Irribaren appelle de ses vœux : « La ville conviviale : une ville gratuite, ouverte à la surprise, à la liberté d’aller vers son prochain, dans laquelle les actes de gratuité et de don peuvent se manifester libres des blocages mais aussi de la honte que leur impose l’ethos technologique. »SMI . (Traces 49)

Nous parlerons un jour dans cette recherche de Curitiba, et des mandats de Jaime Lerner, durant lequel il fut possible d’avoir accès, pour résorber les favelas, à un terrain viabilisé, et à un « panier municipal », gratuit, de matériaux de construction : portes, fenêtres, … ce qui a permis de développer une forme d’auto-construction tout respectant  certains critères de qualité, et un minimum d’homogénéité urbaine.

Dans tous les exemples cités, il ne s’agit pas ici d’instituer cette gratuité comme une fin en soi, mais comme un moyen : si l’on envisage, comme nous le faisons ici, l’arrivée de réfugiés, n’ayant que leur intelligence et leur énergie comme ressources, trouver comment non pas leur procurer abri,nourriture, … mais leur permettre de se les procurer demande de revenir aux modes de création des villes du moyen-âge, elles aussi bâties dans un moment de forte croissance démographique.

Nous voudrions instituer, sur de telles bases, une liste de biens communs dont la gratuité  devrait être instituée : l’air propre, l’eau pure, un lieu où se poser pour vivre, une terre où semer et planter, une éducation pour tous, à tous âges (à définir, nous y viendrons) , le silence, ou au moins une forme de tranquillité,….liste non exhaustive .

Ce thème de la gratuité flotte dans l’air du temps, porté par des penseurs comme Paul Ariès, notamment. Nous le verrons.

Il s’oppose à celui de revenu universel, qui, plus que d’un moyen pour vivre, relève davantage d’une fin en soi, proche du pays de Cocagne dépeint par Breughel, où les cailles rôties tombent toutes seules dans les bouches ouvertes, et qui suppose pour sa réalisation que se maintienne cette illusion de la croissance continue.

Ainsi, l’on peut entendre ceci :

https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/le-prix-du-gratuit-44-la-gratuite-contre-le-marche

« A quoi pourrait ressembler un modèle économique fondé sur la gratuité de la vie quotidienne, sur la gratuité de biens et de services démarchandisés ? Peut-on construire une société de la gratuité, en partant des expériences concrètes qui fleurissent ici et là et qui ne demandent qu’à faire système ?

Après avoir examiné les différentes facettes de la gratuité, tour à tour instrument de libération et de domination, nous envisageons aujourd’hui le gratuit comme un véritable projet de société. 

Ainsi, pour nos invités, la gratuité peut être pensée non seulement comme un outil de justice sociale, mais aussi comme un dispositif de changement du monde. 

Face à l’imminence de la catastrophe climatique, causée en grande partie par les excès de notre économie de marché, la gratuité constituerait donc un remède face aux errements du capitalisme et nous propose un nouveau pacte social : passer de la jouissance d’avoir au bonheur d’être. »FCult.

Dé-marchandiser, c’est le but de la gratuité telle qu’envisagée ici par Socialter :

https://www.socialter.fr/article/edito-la-gratuite-peut-elle-engendrer-une-societe-plus-egalitaire

« Il est des idées taboues. Des utopies que l'on range au placard. Souvent, sans les avoir éprouvées. Le projet d'une société fondée sur le principe de gratuité en fait partie.

Dans son roman « Nouvelles de nulle part » paru en 1892, William Morris imaginait une société utopique libérée du fardeau de l’argent./…/Du moins cette lecture a-t-elle le mérite de nous replonger dans certaines des utopies concrètes de l’époque : réduction du temps de travail, partage équitable de celui-ci entre les membres de la société, assurance d’une vie digne, loisirs émancipateurs, vie dans un monde de beauté, savoir-faire artisanal plutôt que division des tâches... et abolition de l’argent au profit de la gratuité d’accès aux biens et services.

La gratuité peut effectivement être la source d’une inflation de la consommation de biens et de services, ceux-ci nous paraissant sans coût, sans réalité physique, alors qu’énergie et ressources sont irrémédiablement consommées pour les produire. Elle peut aussi être l’opportunité d’une réflexion sur nos désirs construits par une société trop consumériste, et de les distinguer de nos besoins fondamentaux que l’on pourrait, pourquoi pas, dé-marchandiser, « mettre en commun ».Socialter

Pour citer encore S.M.Irribaren : « Des penseurs comme Paul Ariès (né en 1959), politologue, proclament un objectif : « Agiter l’idée de la gratuité pour bousculer la vie politique ». Pour Ariès, le nouveau paradigme révolutionnaire est celui qui va contre « l’Interdit structurel de l’hyper-capitalisme»,  qui est justement la gratuité. La notion de la gratuité, souligne Ariès, constitue un excellent levier de changement, parce qu’elle est enracinée au plus profond de l’histoire et de la conscience humaine : Marcel Mauss puis l’équipe d’Alain Caillé ont montré en quoi on est intellectuellement et ontologiquement obligé de poser l’idée d’une gratuité initiale pour fonder la société, une donation première qui fait tenir les hommes ensemble. »SMI  

On peut donc  lire « La gratuité, éloge de l’inestimable », numéro 35 de la Revue du MAUSS, mais ici Ariès me paraît plus pertinent. Voici quelques extraits d’un article de lui paru dans le Monde Diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/2018/11/ARIES/59231

Lui aussi privilégie l’idée de sortir de la marchandisation :

« Outre son coût, le revenu universel présente un écueil : la perspective de maintenir, voire d’étendre, le mécanisme de mise en équivalence de tous les aspects de la vie avec une certaine somme d’argent. Proposer de rémunérer les parents pour l’éducation des enfants, les étudiants pour leurs lectures ou les paysans pour les services qu’ils rendent à l’environnement ne participe-t-il pas

finalement de l’approfondissement de la logique de marchandisation ? Une réflexion de ce type avait conduit l’intellectuel André Gorz à abandonner l’idée d’allocation universelle (qu’il avait un temps considérée comme « le meilleur levier pour redistribuer aussi largement que possible à la fois le travail rémunéré et les activités non rémunérées ») au profit de celle de gratuité. »PA

Et Ariès se fait volontiers lyrique en évoquant les avantages de la gratuité :

« Émancipatrice, la gratuité constitue un hymne au « plus à jouir ». On peut formuler mille reproches à la société de consommation ; elle parvient toutefois à séduire en invitant à consommer toujours plus. Rompre avec cette « jouissance de l’avoir » implique de lui en opposer une autre : celle de l’être. »PA

A être lyrique, allons entendre les poètes !

Le prochain texte sera donc centré sur l’écrit commun de poètes et intellectuels antillais, exprimant à leur façon une même préoccupation….

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.