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Billet de blog 22 janvier 2025

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Trace 425-Aldo Leopold 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« LA TERRE COMME COMMUNAUTE » (2021), recueil de textes d’Aldo Leopold, nous permettra à la fois de mieux connaître l’œuvre de l’auteur, tout en revenant sur le thème des rivières.

Les incendies de Los Angeles ont mis en relief l’extrême dépendance de la métropole envers le Colorado, qui lui fournit plus de 50% de son eau.

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/22/aux-etats-unis-un-accord-pour-preserver-le-fleuve-colorado-de-la-secheresse_6174398_3210.html

« Le fleuve approvisionne environ 40 millions de personnes en eau et irrigue des millions d’hectares de terres arables, mais ces dernières années, son débit a baissé d’environ un tiers. » Le Monde

https://reporterre.net/Asseche-pendant-des-decennies-le-fleuve-Colorado-reprend-vie#:~:text=Le%20c%C3%A9l%C3%A8bre%20fleuve%20est%20encore,lois%20colonialistes%20encore%20en%20vigueur.

« Dans le sud-ouest étasunien, plusieurs dizaines de barrages hydroélectriques et de lacs artificiels détournent également le cours naturel du Colorado pour irriguer les pelouses privées ou les terrains de golf de mégalopoles comme Las Vegas, Phoenix ou Los Angeles. » Reporterre.

On comprend l’intérêt de relire dans ce contexte le texte d’Aldo Leopold : « PRINCIPES ELEMENTAIRES DE LA PROTECTION DE LA NATURE DANS LE SUD-OUEST DES ETATS-UNIS », datant de 1923

Leopold énonce : « Le futur développement du Sud –Ouest dépendra en grande partie des ressources suivantes : Minérales : principalement le cuivre et le charbon ; Organiques : les fermes, les pâturages, les forêts, l’eau et l’énergie hydraulique ; Climatiques ; Historiques ; Géographiques. »

Et dénonce : « Nous n’avons pas plus de 8 millions d’hectares de terres productives en eau, alors que nous avons 20 millions d’hectares de terres qui attendent de l’eau, dont la plupart sont cultivables. Mais il faut environ chaque année 1.20 m d’eau pour les cultiver, alors que les montagnes ne reçoivent dans la même période que 60 centimètres … »

On retrouve ici l’incision, mentionnée par Morizot (Trace 423) : « Nous déversons progressivement de plus en plus d’eau sur nos terres irriguées grâce à des retenues d’eau artificielles, mais ces gains se payent par des pertes dues à l’érosion dans les vallées plus petites, où l’eau était auparavant facilement accessible par des actions de dérivation. Il n’y a donc aucun bénéfice véritable. Nous perdons les terres facilement irrigables et nous les « remplaçons » par des terres conquises à grand frais. Mais ce que l’on ne comprend pas, c’est que ce « remplacement » n’en est absolument pas un, et qu’au moment où nous mordons à pleines dents dans une part de notre gâteau, nous laissons pourrir d’autres parts….L’érosion et l’envasement sont eux aussi en train de détériorer notre énergie hydraulique…. »

Le surpâturage condamné ici par Leopold se poursuit aussi en Europe : « Le surpâturage est le principal responsable de l’érosion qui arrache la terre de nos vallées les plus petites pour la déverser dans les retenues d’eau dont dépendent les vallées plus importantes….Lorsque la sécheresse se manifeste, le bétail mange tous les pâturages, dévaste des bassins versants, ruine les éleveurs et les banques, obtient des crédits du trésor des Etats-Unis, et finit par mourir. Et le limon de leur agonie se déverse dans nos retenues d’eau pour un jour assécher les vallées irriguées, la seule chose vivante qui nous reste. »

La déforestation est aussi en cause, nous avons vu cela par exemple avec l’histoire de Venise (Trace 341), ou bien avec la Méditerranée évoquée par  Robert Harrison (Trace 396) : « Woolsey soutient que la décadence a suivi la déforestation en Palestine, en Assyrie, en Arabie, en Grèce, en Tunisie, en Algérie, en Italie, en Espagne, en Perse, en Dalmatie. »

Nous sommes en 1923, rappelons-le : « L’étude de 30 vallées agricoles de montagnes dans les forêts nationales du Sud-Ouest a révélé que 4 d’entre elles étaient ruinées, 8 en partie ruinées, que 15 commençaient à s’éroder, et que seulement 3 étaient en bon état. Dans les 27 vallées abîmées, les dégâts peuvent être attribués au pâturage ou au surpâturage, auxquels s’ajoutent l’abattage des arbres qui peuplent les berges des torrents, le feu ou l’écoulement de l’eau le long des routes et des chemins. »

L’éloge de la ripisylve n’est plus à faire : « Nous avons toujours eu des crues et des inondations, mais tout concourt à penser qu’elles ne causaient pas de gros dégâts tant que nos cours d’eau étaient protégés par une végétation abondante, et les dégâts étaient vite réparés par les racines qui étaient restées dans le sol. »

Apprécions comment Leopold sait s’extirper de considérations purement économiques : « On ne peut pas comprendre la situation du Sud-Ouest si l’on ne prend pas également en compte sa dimension morale. »

Aujourd’hui encore, la traditionnelle bénédiction des animaux à Cantalupo in Sabina, pour la Saint-Antoine, s’adresse surtout à eux dans la mesure où ils sont nos compagnons, nos esclaves : « Il est possible que nous prenions conscience de l’indivisibilité de la terre – de ses sols, ses montagnes, ses rivières, ses forêts, son climat, ses plantes, ses animaux – et que nous respections cette communauté non pas seulement comme une servante utile, mais comme un être vivant, infiniment moins vivant que nous en degré, mais infiniment plus grand que nous dans le temps et dans l’espace. »

Considérant l’histoire de la région, Leopold conclut : « Cinq cultures ont prospéré ici. Et on peut dire sans mentir que nos quatre prédécesseurs ont laissé la terre en vie, intacte. »

PORTRAIT DU FERMIER EN ECOLOGISTE – 1939

Quand il est devenu presque une habitude d’opposer les agriculteurs aux écologistes, ce titre fait du bien.

Leopold prévient : « Quant aux propriétaires, l’épuisement de la terre en a ruiné autant qu’il en a enrichi. »

Modestement, il poursuit : « Seul celui qui a planté une pinède de ses propres mains, ou construit une terrasse,… peut savoir à quel point il est facile d’échouer… »

Face aux reculs actuels de l’Europe et des gouvernements français, il questionne : « Un agriculteur peut-il se permettre de dédier une partie de ses terres aux bois, aux marécages, aux étangs et aux pare-vent ? D’un point de vue économique, ce ne sont pas de véritables usages de la terre ils ont certes une utilité, mais ils fournissent aussi des bénéfices non économiques… Un agriculteur peut-il se permettre de maintenir sur ses terres des haies pour les oiseaux ?.... »

La réponse est : « Pourtant la protection de la nature implique toutes ces actions, ou au moins certaines d’entre elles. »

Malheureusement encore aujourd’hui : « Nous avons fait le choix de remettre entre les mains du gouvernement le soin de protéger la nature… La protection de la nature n’exige-t-elle pas de maintenir un peu partout la variété des différents usages de la terre ? Le gouvernement peut-il vraiment être le seul à assumer cette tâche ? Je ne pense pas. »

Leopold imagine un fermier écologiste : « Le paysage de n’importe quelle ferme est le portrait de son propriétaire. »

Et se promène dans sa ferme : « Commençons par le ruisseau : il le laisserait s’écouler librement. Le futur agriculteur ne mutilerait pas plus son ruisseau que son propre visage… Les berges du ruisseau sont boisées et elles ne sont pas pâturées… On attend beaucoup de choses de ce ruisseau et de ces berges boisées. »

L’eau est un bien communautaire (voir notamment Traces 65 et 66) : « Pendant les sécheresses des années 1930, quand les puits s’asséchèrent, tout le monde comprit que l’eau, comme les routes et les écoles, était un bien communautaire. On ne peut pas accélérer le débit de l’eau dans un ruisseau sans causer des dégâts au ruisseau, à ses propres terres et à celles des voisins. »

LA CONSCIENCE ECOLOGIQUE – 1947

Dans le dernier texte que nous commentons aujourd’hui, le dernier en date, Leopold n’est guère optimiste. Toutes les mesures que dicte à nos gouvernements la FNSEA lui donnent raison.

« Il ne peut être juste, au sens écologique du terme, qu’un agriculteur draine le dernier marais, fasse pâturer les dernières forêts ou sacrifie le dernier bosquet de sa communauté, parce que, ce faisant, il détruit la faune, la flore, et un paysage dont l’appartenance à la communauté est plus ancienne que la sienne, et mérite le respect autant que lui.

Il ne peut être juste, au sens écologique du terme, qu’un agriculteur canalise ses torrents et fasse pâturer ses pentes raides, parce que, ce faisant, il provoque des problèmes d’inondation chez ses voisins en aval… »

Pour reprendre ses paroles, il ne peut être juste de créer des méga-bassines. Et pourtant…

Patience : « Je ne me fais pas d’illusions sur la rapidité avec laquelle une conscience écologique peut porter ses fruits. Il a fallu dix-neuf siècles pour définir un code éthique à même de régir la conduite des hommes entre eux, et rien n’est encore parfait. »

Conclut l’ouvrage le texte : « L’ESTHETIQUE DE LA TERRE » (1987) de J.Baird Callicott : « Il est regrettable de constater à quel point la philosophie occidentale s’est peu intéressée à l’esthétique de la nature. »

Nous lirons un jour « Ethique de la Terre » de Callicott. Mais c’est l’heure de la synthèse.

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