« VOUS N’AVEZ AUCUNE CARTE EN MAINS ! » Le 28 février dernier, le monde entier, éberlué, découvre une scène digne d’un saloon du Far-West. Inversant les rôles, une bande de cow-boys encravatés, assène une leçon de poker à un présumé pied-tendre, de fait bien plus aguerri qu’eux. Bienvenue en un monde où priment sur toute autre chose la force brutale, l’égoïsme et la tromperie.
Pour qui, comme moi, s’essaie depuis bientôt cinq ans à imaginer, sans naïveté, mais avec un optimisme forcené, ce qui serait l’unique moyen pour l’humanité de s’en sortir, vis à vis des dégâts provoqués par une minorité privilégiée depuis deux siècles, c’est-à-dire de manière solidaire, cette déclaration de guerre de tous contre tous ne peut pas rester sans effet sur la poursuite du projet.
Dès lors, l’ensemble des Traces écrites à ce jour, et publiées sur Facebook, devenu entretemps une des courroies de transmission du régime (à supposer que cela n’était pas le cas auparavant), cette construction savante, et à moitié réalisée, apparaît comme un château de cartes, qu’une chiquenaude abattrait sans peine.
Il me faut continuer, bien sûr, et plus que jamais, mais essayer de tenir compte de ce contexte fluctuant, comme dirait Olivier Hamant, (Trace 411) mais, au contraire de ses espérances, fluctuant sans cesse vers le pire.
Les hypothèses formulées dans « FASCISME FOSSILE – L’EXTREME DROITE, L’ENERGIE, LE CLIMAT », de Zetkin Collective, (Traces 373 et 374) d’un capitalisme luttant pour sa survie au-delà des limites de la planète en recrutant les formes aigües du fascisme, se vérifient. A cet égard, les actions de Trump, déjà présent dans le livre de 2020, illustrent le propos à merveille : au son du « Drill baby drill ! », reprise des forages et des travaux des oléoducs, se multiplient les attaques aux agences de protection des forêts, les coupes brutales de bois pour atténuer la dépendance aux bois canadiens, la destruction des instituts de recherche sur le changement climatique, les attaques en règle contre les universités, mais aussi contre l’enseignement public : on n’en finirait pas de citer les mesures prises depuis deux mois contre toute protection du vivant. Les déportations programmées et déjà en cours complètent le tableau.
Tout cela éminemment prévisible, mais sur un tempo surprenant, celui des coups d’état.
En France, avalanche de lois, dont la dernière loi sur l’agriculture, qui orientent vers une dévastation accrue des terres, et leur accaparement.
En Italie, le gouvernement fait voter des lois réprimant la moindre protestation écologique plus durement que les politiques corrompus qui le peuplent. L’acharnement judiciaire continue contre Mimmo Lucano (Trace 80), l’héroïque maire de Riace.
En Europe, d’une manière générale, les clairons l’emportent sur les flûtiaux. On se souvient des lectures (Traces 282 et 283) des Géorgiques de Virgile, puis de Claude Simon, où s’opposaient, chez le premier une vision idyllique de la vie paysanne et la vie des centurions ou des patriciens romains, chez le second l’ardeur des guerres napoléoniennes et les évocations de la vie agricole. Il semble que l’Europe ait choisi sciemment d’ignorer l’un des termes.
Les hypothèses de Pierre Charbonnier, d’une prétendue « Ecologie de guerre » (Trace 407), démontrent leur inanité : Depuis février 2022, l’Union a payé 200 milliards d’euros d’hydrocarbures à la Russie. Et les actions des fabricants d’armes atteignent des sommets.
CARTES :
Il y avait dans le titre des Traces une allusion à cette idée que « tout vivant laisse des traces » : « Vivre, c’est être généreux en signes. » (Morizot) et l’ensemble pouvait paraître un jeu de piste, une invite à suivre des traces comme celles d’un animal, celles qu’évoque le même Morizot dans « Sur la piste animale » (Trace 35).
L’idée de Traces renvoie sans cesse au passé, même au passé récent : c’est une invite à être suivi.
Imitant en cela les firmes, qui changent sans cesse de nom, entre autre pour échapper aux poursuites, ou à leur mauvaise réputation, les Traces vont changer de nom.
Vu ce que l’on a pu lire plus haut, l’appeler Tracas serait justifié.
Ce sera CARTES : un très léger anagramme.
Cartes parce que, pour reprendre la violente charge de Trump, je tiens à affirmer que nous avons des cartes en mains.
Un des objets de la suite de l’histoire sera de les explorer, de les valider par l’expérience, d’en faire l’inventaire.
L’autre acception du terme cartes est naturellement celle liée à la cartographie.
Notre compréhension de l’espace est gravement altérée par les aides à la navigation, qui nous décrivent comme le point au centre du jeu, un point qui se déplace sur une ligne, qui ignore les alentours.
Offrir une carte, comme celles que proposent Nephtys Zwer et Philippe Rekacewicz (Trace 155), Agnès Stienne (Trace 303), ou enfin le Kollektiv Orangotango+ (Trace 304), fera partie de la suite du projet.
Enfin, plus largement, pour revenir encore sur Morizot, le titre « Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant » (Trace 10) évoque la notion de «carte ontologique ». Elaborer de nouvelles cartes ontologiques, dans la mesure de nos capacités, sera une autre ambition.
Nous avons, nous aurons donc des cartes en main, des cartographies à dresser, des cartes ontologiques à modifier.
Mais : « Je ne joue pas aux cartes, répondit Zelensky, je suis le président d’un pays en guerre »
Nous aussi, à notre façon, sommes en guerre : pas celle qu’appellent de leurs vœux les marchands d’armes, et heureusement pas de la même violence que celle qui assaille l’Ukraine, ou Gaza.
Celle d’abord qui voit pleuvoir sur quiconque s’oppose aux projets meurtriers, héritiers d’un vingtième siècle destructeur, des grenades de tous genres, quand ce ne sont pas des balles.
Cette guerre a des morts : Chico Mendes, en 1988, tant d’autres depuis, dont Rémi Fraisse en 2014, et, depuis 2014, 1700 autres militants écologistes dans le monde : https://reporterre.net/En-dix-ans-plus-1700-activistes-ecolos-ont-ete-tues-dans-le-monde
Mais il y a aussi cette guerre menée pour fermer les pays riches aux gens en détresse. Pour s’en tenir à l’Europe : 40 000 morts en Méditerranée, dans le même laps de 10 ans depuis 2014.
Nous sommes en guerre enfin contre tous les pouvoirs fascistes ou fascisants, et ils sont nombreux, depuis celui de la Meloni et de son salvini, celui de Macron et ses retailleaux et darmanins, celui de Trump et son boer nazi, celui de Poutine, celui de Milei, celui de Orban, celui de Netanyahou.
Nous sommes en guerre et nous avons des armes : des mots, des outils, et le nombre.
Nos armes, ce sont les mots, et l’imagination.
Les mots : Il n’est que d’écouter Trump pour saisir combien la pauvreté du langage est liée à celle de concevoir un monde autrement que régi par l’argent et le sexe.
Dans « Les Mots qu'il nous faut », sorti il y a juste un an, Jeanne Hénin assemble des mots qui expriment ce que nous vivons, ce que nous refusons, ce que nous pouvons désirer.
L’imagination : C’est le domaine de la fiction, qui permet de voir survenir ce qui échappe à la pesanteur, à ce qui est perçu comme fatalement nécessaire.
Un exemple, « Les villes indivisibles » (2024) qu’ont décrites des membres de l’Oulipo, mettant leurs pas dans ceux d’Italo Calvino.
Nos armes, ce sont nos bras, et les outils qui les prolongent. Les outils, comme la faux ou la doloire, (Traces 375 et 376), mais aussi ceux que construisent, ou aident à construire les membres de l’Atelier Paysan (Trace 222)
Pourquoi de tels outils ? Pour construire l’autonomie dont parle Aurélien Berlan, dans « TERRE ET LIBERTE – LA QUETE D’AUTONOMIE CONTRE LE FANTASME DE DELIVRANCE » (2021).
Berlan est le premier à le dire : « La recherche d’autonomie à petite échelle n’a guère de sens politique si elle n’est pas associée à des tentatives pour s’organiser à plus grande échelle afin de freiner ou de subvertir la dynamique du capitalisme. »
L’autonomie, si elle repose sur l’autonomie alimentaire, et ne peut s’en dispenser, est aussi, étymologiquement, le droit de se gouverner par ses propres lois. Nous en sommes bien loin.
Le nombre :
Le 22 mars 1973, je participai aux premières grandes manifestations depuis 1968, contre la loi Debré.
Aujourd’hui s’élancent des manifestations contre le racisme et le fascisme.
Ailleurs, en Serbie, en Turquie, les rues sont pleines. Les places commencent à se remplir aux Etats-Unis, comme hier à Denver.
Lire, relire sans cesse La Boétie : « Discours de la servitude volontaire » (1548) (Trace 222) : « Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. »
A bientôt.