TRACES : INTRODUCTION
L’idée de base :
Il y a deux ans, invité par un ami climatologue, membre du GIEC, à parler dans une conférence de vulgarisation des bénéfices de la construction en bois pour limiter, aussi peu que ce soit, l’effet de serre, celui-ci me confia son désespoir : les prévisions sont chaque jour plus accablantes, et il est d’ores et déjà certain que nous dépasserons, et de beaucoup les objectifs de la COP21 de Paris.
L’épidémie en cours a montré qu’il était criminel de ne pas tirer à temps toutes les conséquences du prévisible. Ce qui va se passer, de manière très prévisible, sera l’exode forcé ou la mort de gens par centaines de millions. Se fermer les yeux devant ceci, c’est donner raison à Walter Benjamin :
« Au temps d’Homère, l’humanité s’offrait en spectacle aux dieux d’Olympe ; c’est à elle-même, aujourd’hui, qu’elle s’offre en spectacle. Elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre. »
L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique,1936.
Politiquement, les choix qui seront fait auront des conséquences désastreuses. Mais, surtout, les choix qui ne sont pas faits aujourd’hui.
Lutter pour ces choix est une chose. Préparer, anticiper, lutter pour des changements politiques, et d’abord des changements de mentalité en est une autre. Y participer reste urgent. Ici, l’objectif est autre.
L’objectif de l’étude :
Il s’agit de mettre à disposition une sorte de boîte à outils, pour permettre la réalisation d’une autre option, celle que résume en ces termes Philippe Descola :
« Ce que j’appelle de mes vœux est assez simple : c’est que surgissent de véritables dynamiques intellectuelles collectives capables de penser l’organisation et la propagation de nouvelles formes de collectifs afin de mieux habiter la terre et d’y accommoder, avec plus de justice que dans le système capitaliste actuel, les occupants humains et non humains de notre maison commune . »
Un sol commun, 2019.
« Penser l’organisation », pour moi qui ai passé ma vie comme charpentier, puis comme ingénieur en structures bois, consiste à se donner des bases pour une faisabilité matérielle de ceci : la venue en Europe, en France, en particulier, mais pas seulement, la venue de millions de personnes.
Ceci au niveau de l’hébergement, de l’alimentation, du travail, de l’éducation, de la démocratie, …et bien sûr dans un contexte que certains décrivent comme un, ou des effondrements : chocs climatiques, épuisement de la bio-diversité, recours limité aux énergies fossiles,…
Il est supposé ici qu’une partie des solutions même viendra des propres cultures des gens déplacés, puisque, souvent, elles auront intégré les difficultés climatiques qui nous attendent : forte chaleur, sécheresse, …
Se donner une sorte de « constitution », avec des principes essentiels, dont voici une première mouture :
Frontières ouvertes. Car les maintenir fermées est à la fois impossible, et criminel.
Air et eau, de bonne qualité, devront être un bien public gratuit.
Le recours à de nouvelles technologies n’est pas attendu, que ce soit en matière d’énergie, de bâtiment, ou encre moins d’intelligence artificielle.
Aucune culture, ou civilisation n’est à privilégier : il s’agit de construire ensemble.
Les notions d’humanisme, d’altruisme sont à dépasser, comme devra l’être l’anthropocentrisme.
Comment se gouverner : c’est le point crucial. Les différentes échelles de prise de décision, avec chacune leurs structures, sont à établir. Le processus de changement, hors de l’étude de ce projet, amènera sans doute des réponses à cette question.
Les notions d’aires linguistiques auront disparu. Toutes les langues seront pratiquées, partout.
Les carburants fossiles ne seront plus utilisés, sauf en cas d’urgences, à définir.
La solidarité ne sera pas décrétée : elle sera dictée par les conditions.
Puis, s’informer, tous les jours, des conditions de réalisations matérielles de réalisation de cette utopie, car c’en est une.
Et construire, comme on construit une maison, mais ici une maison conceptuelle.
Pour que le moment venu, et il n’est pas loin, il ne soit pas possible de seulement baisser les bras, et se lamenter…ou ignorer.
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Un déconfinement
extrait du journal de confinement, jour 56 et dernier.
Ce matin cesse la phase 1 en Italie.
Nous entrons ici dans une phase 2, où, entre autre, les déplacements seront limités à la région, c’est-à-dire, pour moi, à la Toscane : j’aurai désormais le droit d’aller où je veux, mais seulement à pied, ou en vélo, ce qui me paraît une mesure intelligente. La Toscane est par ailleurs en pointe question tests massifs. Et n’est pas trop moche non plus …
Ma muse et traductrice romaine voit son travail reprendre sur le chapeau des roues : chantiers, projets, …et j’en suis enchanté pour elle.
Cette chronique quotidienne s’arrête là. Merci à tous ceux qui l’ont suivi, et à leurs pouces en l’air, leurs commentaires. Reprend, avec le même esprit à la fois d’ouverture au monde, mais aussi au passé, à l’histoire, à la fiction, le projet initial d’utopie plusieurs fois mentionné ici.
Pour faire bref : il s’agit d’un dé-confinement des réflexions, nombreuses, et souvent pertinentes, sur comment affronter les difficultés de demain : réchauffement climatique, perte de la biodiversité,… mais tout ceci vu d’une manière dé-confinée, au sens étymologique, c’est-à-dire sans frontières, sortant de l’européo-centrisme, ou de l’occidentalo-centrisme très présents chez les penseurs des «effondrements».
Donc d’envisager comment répondre ici à toutes les questions qui vont se poser, mais aussi en incluant dans les données de base l’admission des millions de personnes déracinées prochainement par le changement climatique, dans des conditions dignes : logement, nourriture, travail, éducation,…
La pandémie en cours rend ce projet, né il y a un an environ, encore plus difficile à imaginer d’un côté, et de l’autre encore plus nécessaire. D’ailleurs, les frontières, souvent invoquées, n’ont pas arrêté le virus, et elles ont plutôt nui à l’efficacité de la lutte en la rendant à la fois hétérogène et confuse.
L’expérience nationale, en France, européenne, et mondiale de la pandémie a mis à jour ce que l’on pouvait attendre de pire. L’envisager comme une répétition générale pour l’épreuve, déjà en cours, du réchauffement climatique n’est pas rassurant. A cela servent les répétitions générales : à constater que tout va mal ! Faisons mieux. Pensons-y, puisqu’à l’inverse du virus, qui était prévisible mais que nul n’a vu venir, même quand il advint en Chine, ces problèmes sont plus que prévisibles : ils sont déjà là, et tuent déjà, bien plus que le virus, et dans le silence qu’organise ce bruit général.
Depuis longtemps, ce fut mon travail que de construire, de réaliser des rêves, les miens, ceux des maîtres d’ouvrage, ceux des architectes pour qui, ou avec qui j’ai travaillé, jusqu’à l’expérience d’Atelier NAO, qui suit bellement son cours.
Aujourd’hui, c’est un peu de la même chose qu’il s’agit : de faire atterrir un rêve. Non pas en se préoccupant des conditions politiques de sa réalisation : les conditions changent tellement vite que ce qui nous paraissait impossible il y a deux mois : vider les villes des voitures, les voir se remplir d’animaux,… est déjà là. Dès lors tout pouvoir assis peut trembler sur son trône… Il s’agit plutôt de voir comment, matériellement, on peut donner corps à cette utopie, à ce récit, à ces récits plutôt, tant la pluralité semble de mise, même si des principes communs, formant en quelque sorte constitution, semblent souhaitables, comme la trame dans la Commedia dell’arte. Ensuite nous aurons tout loisir d’improviser sur cette trame.
Je n’ai pas oublié le Larzac de 1973, la construction de la bergerie de la Blaquière, et qu’une utopie se construit avec truelles, scies et marteaux, d’un côté, tandis que de l’autre poètes et géographes usent de la plume et du pinceau. De Notre Dame Des Landes à la vallée de la Roya montent des musiques.
Depuis le 18 mars, nous avons choisi ici des thèmes de réflexion : continuités, loups, zizanie, diplomatie, rires, horizon, animaux, vulnérabilité, 5G, joie, histoire, lettres, espérance, enfance, résilience, arbres, mort, ville invisible, pain commun, honte, terre, voyages, lumière, vieillards, mots, ritals, racines, corneilles, silence, frontières, patience, cirque, indiens, masques, travail, pluie, fables, horreur économique, repos, 25 avril, nuits, héros, rêves, baron perché, air, Illich, maisons,… ceci pour suivre la route de l’actualité, mais avec nos propres pensées, pour ne pas nous laisser écraser ou éblouir par les médias, et leur logorrhée.
Ces mots seront comme des pierres, parmi tant d’autres, pour monter des murs, et en démolir d’autres. Et construire la maison commune que suppose le mot écologie :
« …on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être… » Jacques Brel, Ces gens-là.
La phrase souvent citée de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » La Crise de l’esprit (1919) a maintenant 100 ans. A nous de l’interpréter différemment : puisqu’elles sont mortelles, et en effet ça a tout l’air d’être la fin d’une, c’est que comme tout organisme vivant, il y a aussi des naissances. Ceci est un faire-part de naissance, en toute modestie !