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Billet de blog 23 décembre 2024

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Trace 61-Migrations 3

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A quoi bon aligner encore des paroles, des thèses, des livres, quand les quelques cartes du Monde Diplomatique sont si claires, sur la création de la Forteresse Europe, et les conséquences tragiques d’un tel choix ? Sur l’abolition des frontières, ou sur la libre circulation à travers des frontières conservées (pourquoi, et pourquoi pas ?), nous ne comptons ni sur les Etats nations, dont, on l’a vu, cela reste l’unique et dérisoire prérogative, ni sur les institutions internationales, qui reflètent les contradictions entre pays dits du Sud, et pays dits du Nord, et la domination de ces derniers, les riches, pour tout dire.

 Nous irons à la rencontre de spécialistes :

François Héran, démographe, et Catherine Wihtol de Wenden, juriste, Antoine Pécoud, anthropologue, et enfin Eléa Giraud, philosophe, dont le mémoire est riche d’indications.

Les Traces 73 et 74, dans le prolongement de Traces 14,  porteront plus précisément sur les exilés climatiques, ces millions, bientôt ces centaines de millions de personnes qui n’existent pour aucune réglementation internationale…ce tache aveugle, ce trou noir de l’histoire du siècle, où sont broyées des vies humaines.

Dans la leçon inaugurale de la Chaire Migrations et sociétés au Collège de France, François Héran pose les faits :

« Nous n’avons pas à être pour ou contre l’immigration, pas plus qu’à nous prononcer pour ou contre le vieillissement, pour ou contre l’accélération des échanges. Qu’on le veuille ou non, nous devons faire avec l’immigration, tant elle est ancrée dans nos sociétés. »FH

Et met en garde contre une politique (la nôtre, faut-il le dire ?) qui suit une opinion mal informée :

« La politique d’opinion, dont il faut toujours rappeler qu’elle n’est pas synonyme de démocratie, car elle saute l’étape cruciale de la délibération, laquelle doit être dûment informée. »FH

Rappelant Jean Jacques Rousseau : « La domination même est servile quand elle tient à l’opinion ; car tu dépends des préjugés de ceux que tu gouvernes par les préjugés ». (L’Emile)

Mais sur le fait d’ouvrir les frontières,  Héran (est-ce du fait de sa charge ?) émet des réserves sur les positions, telles que défendues par Antoine Pécoud, dans « Migrations sans frontières » Ed. UNESCO (2009), ou dans « Penser l’ouverture des frontières » (2015), coécrit par Antoine Pécoud et Paul de Guchteneire, dont voici les conclusions : « Il peut sembler naïf de penser que le scénario MSF (c’est-à-dire Migrations sans Frontières ) peut apporter des réponses aux problèmes qui se posent. Mais il est tout aussi naïf de penser que des ajustements mineurs du système migratoire en place offriront des réponses à long terme. Le scénario MSF a l’avantage d’être moralement défendable et de compléter utilement le droit de l’homme à l’émigration par un droit symétrique à l’immigration. Dans un monde globalisé, la circulation des personnes est un processus normal intégré dans les structures socio-économiques et dans les vies et les identités transnationales des migrants. .. »APPdG

Eux aussi, tout en plaidant pour la nécessité d’une telle approche, mettent en garde sur les difficultés de mise en œuvre :

« Les conséquences sociales et économiques du scénario MSF restent néanmoins extrêmement complexes et la présente étude a mis en évidence les nombreuses incertitudes qui l’entourent. Il est donc nécessaire d’examiner à la fois les points forts et les points faibles de ce scénario et de garder à l’esprit que si la liberté de circulation peut être une option souhaitable, elle est aussi un objectif complexe qui requiert une réflexion approfondie. Le scénario MSF n’est ni une recette miracle, ni une utopie irréaliste. IL s’agit d’une vision pour l’avenir des migrations et d’une source précieuse d’idées pour imaginer des politiques migratoires plus justes. »APPdG

Catherine Wihtol de Wenden  (déjà cité Trace 14) sera plus affirmative, au travers de ses nombreux essais ou interventions, dont « Migrations – une nouvelle donne » (2016) :

Elle situe enfin à sa vraie place le problème des réfugiés climatiques :

« Si le terme (réfugié climatique) est nouveau, le problème l’est moins : beaucoup de vagues migratoires du passé furent engendrées par des crises écologiques. Manque d’eau, sols moins riches, abandons de territoires suite à des catastrophes naturelles : maladie  de la pomme de terre en Irlande, de la vigne en France et en Grèce –phylloxera- au XIX° siècle ; vagues de poussière –le dust bowl- aux Etats Unis et au Canada dans les années 1930 déplaçant 500 000 fermiers vers l’ouest. Dès les années 1950, le lien entre l’activité humaine et le changement climatique avait été démontré, sans beaucoup d’écho. L’ampleur de ce changement, mis en valeur par le GIEC en 1990, par le protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2002, par le programme des Nations Unies pour l’environnement de 2007 (PNUE) et par la COP de 2015, semble être aujourd’hui sans pécédent. Il affecte surtout les pauvres, plus touchés par les dangers naturels, les femmes aussi et les peuples indigènes, pourtant les pays les plus vulnérables ne sont pas les plus responsables des gaz à effet de serre./…/ L’initiative Nansen, entreprise à Genève en 2011, n’a pas débouché sur l’élaboration d’un statut mondial pour cette catégorie de migrants. »CWdW

 Elle rappelle au passage aux européens leur histoire :

« Soixante millions d’Européens embarquèrent pour les Amériques entre 1820 et 1914, dont 14 millions de 1900 à 1914 pour des raisons multiples : révolutions, calamités naturelles, surpeuplement des campagnes,… »CWdW

Et signale l’importance du problème, en nombre, et vis-à-vis d’institutions défaillantes :

« Les sans-papiers se comptent par millions, notamment aux Etats Unis, en Europe, et dans les pays du Sud, devenus parfois pays de transit, tandis que les déplacés environnementaux, estimés entre 150 et 200 millions à la fin de ce siècle, n’ont pas l’espoir de voir reconnaître leur statut. Effectivement, ils ne sont pas éligibles au statut de réfugié de la convention de Genève, qui place au centre de ses critères la persécution individuelle ou la crainte fondée de celle-ci. »CWdW

Nous faisons nôtre la citation de Kofi Annan qui figure dans l’ouvrage :

« Kofi Annan au Parlement européen en janvier 2004 « Les migrants sont une partie de la solution, et non une partie du problème ».CWdW

En conclusion, Wihtol de Wenden rappelle encore une fois l’urgence à réagir :

« Le réchauffement climatique, pour lequel les experts du climat prévoient des flux aussi nombreux que l’ensemble des migrations internationales actuelles à la fin de ce siècle, pourrait être de nature à introduire une nouvelle donne dans la mesure où il souligne l’inégalité de droits entre les populations mobiles et les populations sédentaires./…/Le décalage se creuse entre la réalité des migrations et les politiques qui les gèrent, qui accusent un retard croissant par rapport à la mobilité des hommes et fournissent souvent des réponses inadéquates. » CWdW

Le prochain texte, donnant plutôt la vision de la philosophie politique, que celles ici du démographe, de l’anthropologue et de la juriste, les complètera utilement.

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