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Billet de blog 23 décembre 2024

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Trace 62-Migrations 4

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur les migrations encore, la lecture du travail d’Eléa Giraud permet d’avoir, depuis le Québec, une vision du dehors sur la politique européenne à l’égard de ceux qu’elle nomme, indistinctement, les réfugiés. « Contrôler les frontières : souveraineté et « crise » des réfugiés en Europe » (2018)  d’Eléa Giraud, donc, se propose de répondre autant que possible à la demande de Giorgio Agamben : « Sur les horreurs commises dans les camps, la bonne question ne consiste pas à se demander hypocritement comment des crimes si atroces ont pu être commis contre des êtres humains : il serait beaucoup plus honnête, mais surtout plus utile, de chercher par quelles procédures juridiques et par quels dispositifs politiques des êtres humains ont pu être si totalement privés de leurs droits et de leurs prérogatives, au point que tout acte commis à leur encontre a cessé d'apparaître délictueux- alors, en effet, tout était vraiment devenu possible » Agamben, (1997), en l’actualisant, et en l’appliquant aux drames d’aujourd’hui : en voici quelques extraits :

  « Il n'y a pas véritablement de réflexion de fond sur les mécanismes, les « procédures juridiques » et les « dispositifs politiques », pour reprendre les termes d'Agamben, qui placent des millions d'individus hors du droit et des organisations politiques traditionnelles, dans une situation de réclusion et de grande vulnérabilité. »EG

« Le but de ce travail est d'analyser les mécanismes politiques et légaux qui entérinent la situation d'exclusion des réfugiés vis-à-vis de notre système d'États-nations actuel. »EG

 « En outre, les défis immenses et questions soulevées par ces mouvements de population sont abordés de manière avant tout économique, technocratique, gestionnaire, pour cesser de devenir un problème politique de souveraineté territoriale, de lacune de statut légal à un niveau international, ou d'absence d'organisation concertée entre États pour faire face à un phénomène de migrations forcées qui promet pourtant d'être l'un des enjeux majeurs du XXIème siècle. »EG

 Car la tendance des Etats est de se défausser le plus possible sur les organisations humanitaires, ce qui permet d’évacuer le problème politique que les réfugiés représentent, en étant d’une part victimes des Etats-nations, mais aussi, par leur simple déplacement, de représenter une mise en cause de ces Etats, et de l’institution Etat nation, qui n’est qu’un moment de l’histoire des peuples.

« Néanmoins, ce qui apparaît problématique et que nous allons développer, c'est que l'approche des besoins qui est celle de l'humanitaire a tendance à être présentée non pas comme un complément à l'approche déontologique, dans l'idée de pallier une urgence en attendant de trouver une solution plus politique et durable, mais de plus en plus comme un substitut/…/ Cette emprise grandissante de l'humanitaire possède ainsi deux impacts majeurs qu'il faut impérativement prendre en compte dans une réflexion sur les réfugiés. Elle participe d'une dévaluation du régime des droits au profit du régime des besoins, de l'urgence, de l'exception, affectant par cela la capacité d'agent moral et politique des personnes secourues, considérées uniquement comme des objets passifs, des ayants-droits clientisés et contrôlés. »EG

 Citant Danièle Lochak, Giraud en vient aux effets sur la société entière du consentement à une telle attitude des pouvoirs qui nous représentent : « Dis-moi qui tu exclus, je te dirai qui tu es » : si une société se juge à la façon dont elle traite ses minorités, ses marginaux, ses déviants, elle dévoile encore plus d'elle-même en désignant qui elle met hors-jeu. L'étranger, l'exclu par excellence puisque exclu par essence, est donc plus qu'un symbole: un symptôme, le signe révélateur de la vraie nature d'une société. »D. Lochak “Étrangers, de quel droit ? », (1985) .

 Elle analyse, et démonte la logique des discours de rejet, en exposant les postulats erronés, les incohérences et les contradictions ; et surtout les menaces contre la démocratie :

« En premier lieu, une démocratie se définit par une pratique du pouvoir fondée sur la participation, les relations de confiance, l'inclusion et les débats de ses citoyens, afin de définir également une appartenance politique commune. Nous verrons que du fait d'un climat de peur et de menace qui dépasse la réalité de l'enjeu de l’accueil des réfugiés, les conditions propices à l'émergence de telles dynamiques sont altérées. Enfin, les confusions et incohérences à l'intérieur de ces discours vis-à-vis de leurs présupposés et fondements démocratiques légitiment in fine l'usage de discrétion et de coercition pour exclure des éléments considérés indésirables, en accordant davantage de licence au pouvoir souverain de l'État. Cela contrevient alors au deuxième trait fondateur d'un gouvernement démocratique: un régime supposé être imputable et responsable devant ses citoyens, ne recourant pas à des mesures autoritaires. »EG

 Et Giraud de dénoncer l’hypocrisie fondamentale : « Il est de plus d'une mauvaise foi certaine que de fermer ses portes et instrumentaliser les peurs liées aux réfugiés, tout en participant pleinement à des modes d'échanges et de conquêtes économiques visant à toujours plus de croissance et de spéculation, et qui constituent la principale cause de ces mouvements de population. »EG

 Ce qui conduit à un enfermement dans un véritable cercle vicieux : « Nous pouvons ainsi avancer que dans un processus de cercle vicieux, plus le nombre de réfugiés augmente, plus les démocraties se fermant sur elles-mêmes sont en contradiction avec les fondements et idées séminales de ce modèle politique, dans un mouvement de repli dont les justifications sont logiquement erronées. »EG

 Processus que, dans d’autres circonstances, avait analysé Hannah Arendt, et qui conduisent à la création d’un Etat de police, bien loin de l’Etat de droit, dont l’actualité française fournit tant d’exemples éclairants :

« Or, pour Arendt, une fois que ce principe est mis à mal, on se retrouve dans une situation de pente glissante, où les États ont de plus en plus recours à l'arbitraire policier et au gouvernement par décret pour encadrer la population sur leur territoire, la communauté se divisant alors en des castes arbitraires d'individus sur-privilégiés et d'autres sous-privilégiés par ce régime. Mais avant tout, et c'est cela notre point principal, chacun est concerné dans le sens où la structure et la substance mêmes du droit sont atteintes dans leurs garanties de protection et de possibilité de défense de l'individu contre le pouvoir. En d'autres termes, si les citoyens d'une démocratie européenne autorisent de manière plus ou moins consciente ces pratiques sous prétexte qu'elles concernent des étrangers, rien ne dit qu'à terme, ce régime d'exception ne pourrait pas les concerner eux aussi, sur le modèle de la pente glissante, quelque sorte «habitué» aux bénéfices qu'il tire de cet ordre juridique parallèle, déjà mis en place pour d'autres individus.» EG

 Il nous appartient de sortir de ce cercle vicieux, en prenant conscience également qu’à force de fabriquer une Europe où l’on ne peut entrer, elle va finir par ressembler à ces lieux d’où l’on ne peut sortir : une prison.

Le temps presse : " L'échelle et la portée des défis que nous affrontons sont sans précédent ", prévenait, il y a 12 ans déjà, le rapport  rendu public, mercredi 10 juin 2009 par l'Institut pour l'environnement et la sécurité humaine de l'université des Nations unies : « La communauté internationale doit entamer de sérieuses discussions sur la façon dont elle compte faire face à ses devoirs. » Il y a en effet urgence. Les éco-réfugiés seraient déjà entre 25 et 50 millions selon les estimations, fuyant sécheresses, ouragans ou inondations. Et des Maldives aux Kiribati ou en passant par les îles Carteret, la fuite des hommes face à la montée des océans a déjà commencé. » Le Monde

 Comme l’a montré Eléa Giraud, les institutions forgées au lendemain de la seconde guerre mondiale,

en réaction notamment à l’Holocauste des juifs, et en tout premier lieu le statut de réfugié défini par la Convention de Genève de 1951, sont en peine  de prendre en compte la situation des exilés climatiques. Dont nous reparlerons spécifiquement dans Traces 73 et 74.

 L’architecte toscan Giovanni Michelucci a écrit de beaux textes, dont l’un justement parle des italiens émigrants, et nous le suivrons dans le prochain texte : il y sera question de villes, avec lui, puis avec Giancarlo De Carlo. Ce qui est logique puisque nous avons à plusieurs reprises dans cette étude eu l’occasion de voir le rapport entre pression démographique (prévisible) et construction des villes.

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