jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

245 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 janvier 2025

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Trace 125-Communs 6

jacques anglade

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aujourd’hui, travaux pratiques ! Enfin ! Il est temps, après 124 Traces (sur les 1001 prévues), de préciser nos intentions…

C’est une mauvaise habitude  de penser que le monde vivant est à notre disposition, nous autres animaux humains. Cette objectivation, Alessandro Pignocchi  la dénonce ainsi dans « Mythopoièses » (2020) : « …lorsque l’autre se voit attribuer un statut d’objet, sa valeur à nos yeux dépend des services qu’il peut nous rendre… »

Cela commence par de petites choses : Ces jonquilles sauvages, que je me réjouissais de voir se déplier peu à peu, et qui disparaissent dans le bouquet qui ira décorer une table, quand c’était l’effort d’une plante pour se propager, faire famille. Ces jonquilles, sur un terrain privé, une oliveraie, étaient en elles-mêmes un bien commun, en ce sens que tout passant pouvait profiter de leur vue, en apprécier chaque jour, comme moi, les progrès, s’épanouir avec elles. Qui les a cueillies les a soustraites à la communauté des Lucquois qui viennent là jouir du paysage et des fleurs, les a privatisées, les soustrayant à tous.

L’un s’approprie une fleur, et la détruit, l’autre un pays entier, et le détruit : la logique est la même.

Ma proposition : une ZAD de 4.3 million d’hectares : des milliers de ZAD, plutôt ! Juste pour  commencer.

Nous avons vu dans Trace 124 comment l’état est venu, à la suite de la Révolution française, se substituer au public, au commun. Dès lors, les forêts domaniales, qui étaient les forêts de tous ceux qui vivaient alentour, sont devenues les forêts de l’état : un hold-up !

Comme le disait Gregorio Arena  des communs : « Ce sont des choses qui, enrichies, enrichissent tout le monde, et, lorsqu’elles sont appauvries, appauvrissent tout le monde. » : Or, les forêts domaniales, au grand dam de ceux-là mêmes dont c’est le métier de s’en occuper, les agents de l’ONF, s’appauvrissent, et donc appauvrissent tout le monde.

Les exigences de l’état, rentabiliser à tout prix ces êtres vivants, ne sont pas compatibles avec leur maintien comme bien commun.  Les arbres, leur valeur, cachent la forêt, ce milieu vivant .Gaspard d’Allens dans « Main basse sur nos forêts » (2019) (Traces 4) a déjà décrit les conséquences d’une vision à courte vue, destructrice d’hommes (combien de suicides à l’ONF !) et de paysages. L’enrésinement, qui est dénoncé aujourd’hui par l’Association Canopée,

https://www.canopee-asso.org/canopee-publie-le-bilan-cache-du-plan-de-relance-en-foret/

(A lire absolument : pas de place ici pour le résumer, hélas)

 L’enrésinement, donc,  était déjà combattu dans les années 70 : les objecteurs de conscience, dont j’étais, tenus d’effectuer leur service civil à l’ONF, se sont insoumis par milliers, risquant la prison, pour dénoncer la gestion des forets ...sans succès, dirait-on !

IL EST TEMPS QUE CES FORETS PUBLIQUES SOIENT CONSIDEREES COMME DES ZONES A DEFENDRE.

La presse fait régulièrement état des problèmes que suscite l’abandon des forêts à une logique commerciale à court terme, sans aucun rapport avec le cycle des arbres : voici chronologiquement :

1

Un écrivain russe, pour commencer, Tchékhov , dans « Oncle Vania » en 1897 :

https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/tchekhov-lanceur-d-alerte-pour-sauver-les-forets_6046734_3451060.html

« L’homme a été doué de raison et de force créatrice pour multiplier ce qui lui était donné, mais, jusqu’à présent, il n’a pas créé, il a détruit. Les forêts, il y en a de moins en moins, les rivières tarissent, le gibier a disparu, le climat est détraqué et, chaque jour, la terre devient plus pauvre et laide (…)… peut-être que, pour de bon, c’est des histoires de toqué, mais quand je passe devant les bois des paysans que j’ai sauvés de la hache, ou quand j’entends bruire ma jeune forêt, plantée de mes propres mains, j’ai conscience de ce que le climat, lui, aussi, est un tant soit peu en mon pouvoir et que si, dans mille ans, les hommes sont heureux, eh bien, ce sera aussi, un tant soit peu, ma faute à moi. »

2

Puis un appel d’écologues :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/07/il-est-temps-de-prendre-en-compte-l-absolue-necessite-de-conserver-la-naturalite-des-forets_6069063_3232.html

 « Il apparaît impératif que l’ONF – pris dans les injonctions contradictoires de l’Etat lui assignant à la fois des obligations financières et le respect de la biodiversité – intègre, au-delà de la mission qui lui est assignée de production de bois à des fins commerciales, les exigences de conservation de nos écosystèmes forestiers. » François Ramade et Annik Schnitzler.

3

Une loi bien vaine, une de plus :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/02/les-forets-grandes-absentes-du-projet-de-loi-climat-et-resilience_6071718_3244.html

« Ils ont bien cherché, ils n’ont rien trouvé. Ni le mot forêt, ni les mots arbres et bois ne figurent dans les 69 articles du projet de loi climat et résilience issu des travaux de la convention citoyenne. »

4

Le bois, comme enjeu géopolitique  (nous y voilà) :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/05/26/penurie-et-flambee-des-prix-la-filiere-bois-au-bord-de-la-crise-de-nerfs_6081522_3234.html

« La décision prise par la Russie, le deuxième exportateur mondial de bois, d’interdire, dès 2022, l’exportation de certaines essences de grumes – les troncs bruts –, n’arrange rien au tableau et ne fait qu’accroître la compétition autour d’une ressource mondialement chassée. Un négociant lituanien ambitionne d’acheter les lots d’une des plus grandes ventes annuelles de résineux de l’ONF pour les envoyer en Chine. »

5

La volonté de l’état de saborder l’ONF :

  https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/18/l-office-national-des-forets-va-supprimer-pres-de-500-postes-en-cinq-ans_6084758_3244.html

 « Les annonces qui nous ont été faites sont inacceptables ! », a déclaré la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), selon laquelle une « contribution supplémentaire des collectivités au financement de l’ONF » a été demandée. « Le projet d’augmentation de la contribution des communes s’élèverait à près de 30 millions d’euros », a précisé la FNCOFOR. « Pour faire bon poids, le futur COP Etat-ONF prévoit la suppression de près de 500 emplois à temps plein à l’ONF. Payer plus pour avoir moins ! »

Donc l’état, après avoir soustrait il y a 200 ans les forêts aux communes, leur demande aujourd’hui de participer à l’entretien !

6

Une inefficacité accrue à lutter le réchauffement, mais aussi à s’en prémunir :

 https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/04/construction-bois-bioenergie-neutralite-carbone-la-foret-francaise-sous-pression_6086961_3234.html

« De surcroît, le réchauffement climatique augmente la fréquence des sécheresses, tempêtes, incendies, attaques de rongeurs qui affectent les arbres. En témoignent les ravages causés par les scolytes. Après avoir proliféré dans le Grand-Est, ces insectes xylophages se retrouvent désormais dans la quasi-totalité des forêts d’épicéas françaises. »

La gestion des forêts comme des monocultures aggrave bien sûr ce type de risque…

7

Les techniques de sylviculture en îlots, que j’ai apprises à l’EPFL en 1991, ne sont toujours pas pratiquées 30 ans après :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/10/le-ministre-de-l-agriculture-rallie-le-camp-des-defenseurs-d-une-exploitation-intensive-des-forets_6087840_3244.html

« Au-delà de la question d’exploiter plus ou moins les forêts, qui fait évidemment débat, il y a surtout le comment », souligne Philippe Delacote, directeur de recherche à l’INRAE , « si on coupe plus d’arbres mais que l’on replante des espèces diversifiées, dans une optique multifonctionnelle, ce n’est pas la même chose que si l’on exploite davantage et, qu’en plus, on ne cultive que du résineux sous prétexte que sa croissance est plus rapide et que c’est le bois le plus demandé ».

8

Les appels se multiplient en vain :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/14/on-finit-par-croire-que-la-foret-a-besoin-d-etre-exploitee-pour-etre-en-pleine-sante_6098278_3232.html

 https://www.terrestres.org/2021/08/02/appel-pour-des-forets-vivantes/

« Il n’y a aucune fatalité à la situation actuelle et il ne tient qu’à nous d’en inverser la tendance. Un grand mouvement populaire est en train de naître autour de la défense des arbres. Après avoir été dépossédé.e.s de tout un pan du territoire national, des habitant.e.s, des citoyen.ne.s, des associations, des forestier.e.s ont décidé de se le réapproprier. Nous refusons que les  forêts subissent à leur tour la logique industrielle qui a ravagé et ravage encore  l’agriculture, qui détruit des métiers et des savoir-faire reconnus et appauvrit la biodiversité. » AFV

9

Les agents ONF sont les premiers à protester :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/25/la-foret-est-notre-avenir-face-aux-suppressions-de-postes-les-employes-de-l-onf-reclament-un-vrai-debat-a-l-assemblee_6103591_3244.html

« La forêt peut nous sauver si on la préserve » : des centaines d’employés de l’ONF ont manifesté  pour demander la « renégociation du contrat avec l’Etat » qui prévoit 500 suppressions de postes, et une vision d’avenir pour affronter le changement climatique.

 « On a perdu 5 000 emplois en vingt ans : aujourd’hui, nous ne sommes plus que 8 000 à assurer la gestion des forêts publiques. La baisse des effectifs a conduit à un recentrage sur les activités commerciales au détriment de nos missions de service public », explique Patrice Martin, secrétaire général du Snupfen-Solidaires, premier syndicat du secteur public à l’ONF.

10

Chose que dénonçait déjà Reporterre  en 2019 :

https://reporterre.net/Forets-publiques-l-Etat-reflechit-au-demantelement-de-l-ONF

Ce n’est pas nous qui souhaitons le démantèlement de l’ONF, au contraire : en plus ma maman travaillait aux Eaux et Forêts, l’ancien nom, c’est dire !

Ce qui ressort de toutes ces lectures est qu’à confier à une autorité lointaine, qu’elle soit publique ou privée, la gestion d’êtres vivants, on passe à côté de la vie, et du côté de la mort. Sans parler même de la pression économique. Ce qu’il faut, c’est une fréquentation quotidienne des arbres, fougères, ronces et champignons, pour pouvoir y comprendre quelque chose, et agir, si tant est qu’il faille agir.

DONC OCCUPER LES LIEUX, POUR POUVOIR S’EN PREOCCUPER ETROITEMENT.

Voilà beaucoup de travail, direz-vous ! Justement, le travail sera au centre des prochains textes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.