Aujourd’hui, il s’agit de tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle nous serions trop nombreux sur terre, idée qui, menée à ses extrémités, conduirait à laisser mourir, comme cela se fait déjà, et pourquoi pas, assassiner quelques milliards d’humains, pour se sentir mieux. A condition toutefois de ne pas faire partie des victimes … ce qui n’a rien d’assuré : sur quel critère éliminer ?
Les plus polluants ? Ce seraient les Américains.
Les plus prolifiques ? Ce seraient les Africains.
Les plus égoïstes ? Les européens, alors.
Les plus conquérants ? Ce seraient les Chinois.
Les plus heureux, pour laisser le tour à d’autres ? Les Italiens alors ?
Cette démonstration par l’absurde ne suffit pas.
A l’heure où l’on nous annonce que nous serons bientôt très précisément 8 milliards sur terre, il faut affûter des arguments plus solides, pour démontrer :
Un, qu’il y a de la place en Europe, et notamment en France, contrairement à ce que certains nous veulent faire accroire.
Deux, que nous pourrions nourrir dix milliards d’humains, sans mal.
En parcourant, comme nous l’avons fait dans les Traces 107 et 108, des centaines de kilomètres dans des pays comme la France ou l’Italie, ce que l’on rencontre, c’est une forme de désert. Personne dans les champs, quand il y en a. Des villages morts, aux commerces et aux cafés fermés. Peu de présence des institutions, qui ont déserté : ici, on nous signale que la moitié des maternités ont fermé en 20 ans. N’y naît-on plus ? Nous avons déjà abordé le cas des villages abandonnés, dans les Traces 43 et 44.
Appeler à quitter la capitale, et repeupler un « désert français » rappelle une musique d’un autre temps : Jean-François Gravier, l’auteur de « Paris et le désert français » (1947), écrit son livre, qui a eu une influence évidente jusqu’il y a peu, après avoir prêté sa plume à l’Etat français durant l’Occupation.
Chaque appel au retour à la terre est-il pour autant suspect ?
Selon le sociologue Nicolas Eyguesier : « Soulignons préalablement que la défense d’un enracinement paysan (et ouvrier ou autre) n’est pas l’apanage de l’extrême droite. Simone Weil, résistante, proposait dans « L’Enracinement » de « conserver beaucoup des pensées lancées par la propagande de la Révolution Nationale, mais d’en faire des vérités » pour soutenir la tâche de reconstruction d’une France libre. Georges Canguilhem, dans « Le Fascisme et les paysans », avait quant à lui saisi l’urgence d’adresser à la paysannerie un discours qui prenne en compte ses aspirations, et notamment la défense d’un ensemble de valeurs opposées à la modernité capitaliste contre les gros agriculteurs céréaliers et betteraviers au premier chef. »NE
En revanche, c’est l’abandon même de ces campagnes qui suscite aujourd’hui un vote fasciste :
https://reporterre.net/L-isolement-dans-les-campagnes-terreau-de-l-extreme-droite
« …fermeture des commerces, des bureaux de poste, des centres des impôts, de classes à l’école, moins de trains et de cars pour circuler, des routes moins bien entretenues faute de moyens des collectivités territoriales, un hôpital qui sature faute de personnel, des emplois qui disparaissent ou se précarisent. « Cette distance sociale, économique, est aussi une distance à ceux qui gouvernent », résume le sociologue Willy Pelletier. »
La troisième République, avec cette ferveur dans la construction d ‘écoles, de bureaux de poste, de voies de chemin de fer, ferveur à certains égards colonisatrice, est bien finie.
La troisième République participa à l’éradication des langues régionales, et du loup. Ce dernier, par les chemins qu’il emprunte, par les territoires qu’il fait sien, nous montre les lieux en déprise humaine : les cartes diffusées ici, https://www.loupfrance.fr/suivi-du-loup/situation-du-loup-en-france/ , selon une maille de 10x10 km, sont plus parlantes, en ce sens que c’est telle vallée, ou tel plateau, ou telles pentes enfin, qui sont concernées.
L’exode rural, déjà largement entamé avant les « trente glorieuses » répond à cette répartition. Mais il faut se souvenir qu’il provînt de raisons économiques avant tout.
Pour ne parler que de la Creuse : « … initialement temporaire de mars à novembre (à cause du gel et de la neige, les grands chantiers de construction s'arrêtaient durant l'hiver) l'émigration devint souvent définitive au début du XXème siècle, ce qui favorisa le dépeuplement de la Creuse qui perdit la moitié de sa population entre 1850 et 2000 » Wikipédia
L’état s’est préoccupé, à sa façon, c’est à dire brutalement, de repeuplement :
« Daisy, Anne-Marie et Bénédicta sont, pour reprendre la terminologie officielle, des « Enfants de la Creuse ». Ces jeunes Réunionnais, déclarés pupilles de l’État et exilés vers la métropole entre les années 1960 et 1980 pour être adoptés ou placés dans des pensions. Ils seront 2 015 enfants, selon les décomptes de la commission nationale sur les enfants réunionnais de la Creuse, à être méthodiquement arrachés à leur île, abandonnés ou pas, par leurs familles. Puis dispersés dans plus de soixante-dix départements, de la Creuse au Tarn, du Gers à la Lozère, et tant d’autres, dans le silence coupable et complice de l’État. » Ouest-France
https://fr.wikipedia.org/wiki/Enfants_de_la_Creuse
« Des victimes de ce déplacement considèrent qu'elles ont été victimes d'une déportation. Ainsi en 2005, l'association des Réunionnais de la Creuse décide d'assigner l'État français devant le tribunal administratif de la ville de Limoges, afin que la « déportation » dont ont été victimes les 1 630 enfants soit reconnue juridiquement. Pour Ivan Jablonka, la migration réunionnaise a été accomplie par et pour l'État français ; la migration des pupilles « n'est donc pas un dérapage ; elle est une institution républicaine » Selon Jablonka, toujours, « l'opération s'est déroulée à la limite de la légalité […] Debré a traité l'île comme une colonie. […] L'épisode révèle une configuration postcoloniale dont nous ne sommes toujours pas sortis » Wikipedia
On le voit ici, se mêler de démographie, fut-ce pour « corriger » des aberrations, c’est renouer avec de vieilles pratiques, esclavagistes, colonialistes,… Nous nous garderons bien d’emprunter ces traces.
L’humanité a toujours migré, souvent sans autre contrainte que la faim, et souvent poussée vers un avenir meilleur, ou pensé tel : l’exode rural en est un exemple, on pourrait citer aussi l’héliotropisme qui a poussé des millions de français vers la Méditerranée depuis 60 ans.
Imaginons que nous soyons de gentilles abeilles, ou mésanges, cherchant domicile en France : consulter le site https://solagro.org/nos-domaines-d-intervention/agroecologie/carte-pesticides-adonis nous donnera vite une idée des zones à éviter, c’est à dire les grandes plaines céréalières ou à betteraves, les zones de viticulture comme Bordelais ou Languedoc, ou bien d’arboriculture fruitière comme la vallée de la Garonne, du Rhône.
Restent de belles taches vertes sur la carte : zones montagneuses, ou zones d’élevage extensif : à tenter.
Ou, pourquoi pas se guider, pour choisir un logis, sur la fréquence locale de grenouilles agiles, ou de huppes fasciées ? Voir alors https://www.faune-france.org/index.php?m_id=30352
Imaginons que nous craignons l’été en ville, et que les vagues de chaleur estivales nous épouvantent : il faudrait alors fuir en priorité les villes, celles-là mêmes qui promettent du travail , et rechercher les massifs montagneux. Soit plus ou moins effectuer la migration inverse à celle du XIXème siècle.
Vers quel type d’économie alors ? Nous verrons dès le tout prochain texte que tout un mouvement mondial, d’une violence inouie, va vers un accaparement de toutes terres agricoles, et qu’il concerne aussi la France, tous départements agricoles confondus.
Dans ces conditions, les bases de l’économie depuis cent ans sont caduques, et ce qui a prévalu à l’exode rural engagé depuis la fin du XIXème siècle n’a plus lieu d’être : toute terre agricole devient un trésor.
D’un point de vue individuel, laisser les grandes villes surchauffées, et regagner une vie plus rude, mais dans d’autres conditions plus saines, est un pari avantageux.
Claire Desmares-Poirrier fait, dans « L’exode urbain, Manifeste pour une ruralité positive » (2020), un éloge d’une vie simple à la campagne, bien comme la perçoivent les gens des villes.
Le « Monde Diplomatique » est plus mesuré, parlant d’une misère transportée dans la verdure, mais pas plus facile à vivre pour autant : https://www.monde-diplomatique.fr/2010/08/ELIE/19531
Dans un autre article, https://www.monde-diplomatique.fr/2020/12/BREVILLE/62546, il doute de la qualité écologique d’une vie citadine juste transposée à la campagne, sans que soient remises en question les exigences : « Le « modèle sociétal » qui verrait les « cols blancs » quitter massivement les métropoles pour télétravailler dans leur maison du Perche ou du Vexin produirait pourtant un étalement urbain considérable, avec, à la clé, une dépendance accrue à la voiture et aux géants d’Internet, de Zoom à Amazon. Un « retour à la nature », vraiment ? » MD
Du point de vue d’un pays entier, un rééquilibrage est souhaitable, en une forme d’occupation du territoire, ne serait-ce que pour moins le laisser aux prises avec la financiarisation de chaque m2, et pour retrouver des villes plus équilibrées.
Au niveau mondial, on peut plaider, comme nous le faisons, pour une ouverture globale des frontières, mais, globalement, ne sommes-nous pas, déjà, trop nombreux ? Nous le saurons bientôt.