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Billet de blog 24 décembre 2024

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Trace 64-Architectes 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il ne s’agira pas ici de tracer un portrait, ni d’examiner l’œuvre complète de Giancarlo De Carlo, mais bien d’examiner en quoi son action guidée par un profond respect pour l’architecture vernaculaire, inspirée par une orientation politique claire, l’anarchisme, et finalement orientée vers la participation des habitants peut nous inspirer aujourd’hui.  Il n’est que de voir combien ses propositions recroisent nos Traces, déjà accumulées ici. Nos sources  pour l’entendre seront : Une interview par Thierry Paquot, en 1997, puis l’essai : « Lieux, biens, liens communs-Emergence d’une grammaire participative en architecture et urbanisme, 1904-1969 » de Judith Le Maire (2014)

Et surtout, le livre d’entretiens « Architecture et liberté » (2000-2003).

L’interview  de T.Paquot permet d’aborder la question du « code génétique » d’une ville, (notion introduite dans Traces 18, à propos des utopies) :« Qu'entendez-vous par le "code génétique" de la ville? G. de C.: En travaillant avec les étudiants de mon laboratoire, Ilaud [International Laboratory of Architecture and Urban Design.], sur Urbino et tous les autres petits villages autour, nous avons imaginé la croissance de ces petits noyaux urbains plutôt que le développement incontrôlable de la plus grande agglomération de la région. Les gens construisent leurs maisons en tenant compte du soleil, mais pas de manière univoque. Ils vont aussi se préoccuper d'une aire pour sécher les produits de la terre, par exemple, ce sera le toit plat des maisons. Les relations entre le soleil, les produits de la terre et la forme du toit constituent l'identité du lieu. Considérer les divers éléments qui décident de la forme, en l'occurrence celle du toit de ces maisons, appartient à cette démarche que je nomme "recherche du code génétique". TP .

Les recherches de Judith Le Maire nous éclairent sur la démarche « participative » de De Carlo, en particulier à Terni : « Les architectes référencés comme « participationnistes » sont évoqués par le biais de certaines expériences emblématiques : Lucien Kroll, Ralph Erskine et Giancarlo De Carlo, John Turner (voir Traces 40). » JLM

« De Carlo tente de transposer à la période actuelle le processus de décision des villes de la Renaissance et du Moyen Age. »JLM (Voir Traces 50) : « De Carlo adopte la figure du co-constructeur ; les habitants se prennent en main et n’attendent plus l’intervention de l’Etat. La maladie du logement correspond à celle de la ville. De plus, cette désintégration de la communauté médiévale vient de la perte de l’homme au profit de l’autorité, de « la subordination des faits concrets aux abstractions (...) l’homme a perdu sa capacité à donner une expression sociale adéquate à sa vie en société ».JLM

L’idée est bien de proposer une alternative à l’ «entreprise urbaine », comme l’appelle Illich (voir Traces 49) : « Les logements « ne sont pas construits pour les besoins humains tels qu’ils sont réellement mais pour l’homme abstrait conçu par l’Etat ». De Carlo voit la solution dans l’activisme puisqu’il est impossible de résoudre le problème du logement par en haut ; c’est un problème « du peuple », insiste-t-il, qui doit résulter de l’action des gens eux-mêmes. »JLM

Il ne dissimule pas la difficulté de l’entreprise : « Il faut beaucoup plus de talent dans l’élaboration participative que pour imposer autoritairement ses propres projets, parce que dans le premier cas il faut être réceptif, perspicace, agile, avoir l’imagination rapide, savoir transformer très promptement un symptôme en un fait, et en faire un point de départ. »GDC

« De Carlo campe la figure du pédagogue co-constructeur, qui joue son rôle dans le processus sans s’effacer : « la participation ne consiste pas du tout à entendre les desiderata des habitants, mais à modifier son architecture afin qu’elle réponde à leurs besoins réels, bien différents de leurs besoins créés. Il y a une dimension pédagogique dans le métier de l’architecte qui ne doit pas être occultée et qui nécessite un peu d’humilité… . »JLM

« Au cours de nombreuses réunions préparatoires avec les ouvriers, De Carlo crée (à Terni)  deux cent cinquante logements (déclinés en cinq types d’appartements) et leurs accès piétonniers. Ce village montre, sur le plan formel, l’apport du savoir de l’architecte, un vocabulaire qui n’évoque pas une tradition constructive et une esthétique qui ne résulte pas d’un amalgame de langages particuliers. »JLM

« La discussion tend à un consensus, les habitants ne savent pas quel logement leur sera destiné, (NB : comme à Marinaleda, voir Traces 6) et discutent de l’ensemble du projet, ils remettent en question la notion de vie commune. Dans les discussions, dont j’ai pu lire des retranscriptions partielles, la beauté, le béton, la qualité spatiale, les sensations, ne sont pas évoquées. La question moderniste d’une architecture « pour le peuple » concerne en définitive plus l’esthétique que la volonté d’intégrer l’usager dans le processus. De Carlo montre ici plutôt une tentative d’atteindre les deux objectifs. »JLM

On voit ici à la fois l’ampleur de la tâche, et la passion qui a animé De Carlo : « Une fois cette nouvelle conception de la maison créée dans l’esprit des futurs habitants » sont entamées six rencontres débats portant sur l’exposition, deux mois de réunions quotidiennes, une le matin et une l’après-midi, auxquelles participent environ 3 000 personnes, ouvriers et employés de Terni, avec leurs familles. De Carlo « traduisait en dessins les idées qui venaient du public » .JLM

Circuler en paix est une condition pour trouver le moyen de communiquer, cette chose fondamentale.

« Pour que les espaces verts soient investis par les habitants, l’architecte ne dépasse pas trois étages afin que le rapport logements − espaces publics soit assez fort pour stimuler l’appropriation. Il sépare aussi radicalement les piétons et les voies carrossables pour que les promeneurs traversent le quartier sans danger. »JLM.

 « Par l’observation, j’avais compris que plus que toute autre chose, il était important pour les habitants de communiquer et que l’architecture devait favoriser, et solliciter cette communication, sans préjugés »GDC. Dans notre tentative de réexaminer les lieux abandonnés, en France, mais surtout en Italie, l’expérience de De Carlo a Colletta, en Ligurie, est précieuse : « Colletta est un village près de la côte ligure, sur une route qui mène au Piémont./…/ Le village a été abandonné par ses habitants voilà une centaine d’années. La cohérence interne qui le gouverne est stupéfiante de naturel. Il suit fidèlement le tracé du sol, il est bien exposé au soleil et à l’air ; il est construit avec les pierres des champs lorsqu’ils sont défrichés, les pièces sont voûtées et leurs dimensions correspondent à la capacité du matériau utilisé, les logements sont reliés en haut et en bas, et souvent à mi-hauteur, à un réseau de parcours qui circulent et s’insinuent entre les volumes. Les toits sont couverts en terrasse pour permettre la dessiccation des produits agricoles et gagner en vue sur le ciel. La dimension des fenêtres est comprise dans une gamme réduite de proportions. Les escaliers s’entrecroisent, se superposent, s’entrelacent et engendrent des figures spatiales complexes et surprenantes.  Pour organiser les nouveaux logements sans dénaturer la configuration, j’ai affronté le crustacé. Au début, je craignais que sa nature de concrétion touffue ne constitue une contrainte rigide, alors qu’elle a été l’exact opposé. Organiser les nouveaux logements, les connecter entre eux et avec le réseau piétons, les inscrire dans une relation équilibrée et suggestive avec les espaces ouverts a été relativement simple, et même agréable. Il était possible de démêler et de relier avec naturel en suivant les lignes directrices implicites dans la nature organique du crustacé ; c’était comme danser dans la joie en traçant de nouveaux espaces tridimensionnels. »GDC. Oui, danser dans la joie …

Nous rejoignons pleinement De Carlo quand il inverse la démarche en redonnant aux habitants l’initiative de la construction de leurs lieux de vie : « Les gens doivent obliger la municipalité à leur donner gratuitement (voir Traces 57, l’expérience de Curitiba)  ou à bas prix des sites et des matériaux de construction. Il abolit la hiérarchie entre l’Etat et les habitants qui doivent se constituer eux-mêmes en associations. »JLM.

Ce qui est en amont de tout, et irrigue chaque décision, c’est l’option politique claire de De Carlo :« Les convictions politiques de G. De Carlo – depuis son adhésion à la cellule antifasciste pendant ses études à Milan, jusqu’à son engagement durant la guerre – l’amènent en 1948 à militer en faveur de la participation dans un journal anarchiste anglais. « Freedom » – fondé en 1886 notamment par Peter Kropotkine – porte l’idéal d’une société d’aide mutuelle dans laquelle l’économie se baserait sur un concept d’échange réciproque des ressources et des bénéfices, dans une coopération volontaire. »JLM

 « Freedom », dans lequel écrivit John Turner (Traces 40)… Nous retrouverons bientôt  (Traces  71) Kropotkine, et ceux qu’il influença, en Angleterre notamment. En attendant, les prochains textes sur les Communs ne nous éloigneront pas des pensées de De Carlo.

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