« Plurivers - Un dictionnaire du post-développement » Collectif (2022), tient plus de l’encyclopédie que du dictionnaire. Une encyclopédie universelle : Les propositions dont regorge l’ouvrage nous viennent d’Afrique, d’Amériques du Sud et du Nord, d’Asie, d’Océanie : tant mieux, nous voulions échapper à l’eurocentrisme.
En exergue, cette citation : « LE MONDE QUE NOUS VOULONS EST UN MONDE OU IL Y A DE LA PLACE POUR BEAUCOUP DE MONDES. » Armée zapatiste de libération nationale.
Et cette dédicace : « Ce livre est dédié à toutes celles et ceux qui luttent pour le plurivers, qui résistent à l’injustice et qui cherchent des voies pour vivre en harmonie avec la nature. »
L’avant-propos de Wolfgang Sachs réveille le souvenir d’Ivan Illich, qui est un des inspirateurs de l’ensemble. Le sous-titre en finit avec la notion factice de développement : « La géopolitique du développement, selon laquelle les nations industrielles seraient l’exemple à suivre pour les pays les plus pauvres, a été mise au rebut. »
Dès lors : « On peut identifier trois récits qui répondent à la peur de l’avenir : les récits de la « forteresse », du « mondialisme », et de la « solidarité »… La pensée de la forteresse s’exprime à travers le néonationalisme… Dans le mondialisme, un monde de libre-échange censé apporter la richesse et le bien-être aux entreprises et aux consommateurs et consommatrices du monde entier… Le récit de la solidarité est différent. La peur de l’avenir appelle à la résistance contre les puissants. »WS
La préface définit l’objectif du livre : « Ce qui manquait, c’est une vaste compilation transculturelle de concepts concrets, de visions du monde et de pratiques provenant des quatre coins de la planète, qui remettent en question l’idéologie moderniste de l’universalisme en faveur d’une multiplicité de mondes possibles. »
Le cœur du livre est l’exposé d’une centaine de propositions alternatives : « Les visions et les pratiques présentées dans ce dictionnaire ne consistent pas en l’application d’un ensemble de politiques, d’instruments et de critères pour sortir du « mal-développement». Il s’agit plutôt de reconnaître la diversité des points de vue sur le bien-être planétaire et des compétences que nous pouvons déployer en ce sens. Ces visions et pratiques cherchent à inscrire les activités humaines dans les rythmes et les cadres de la nature, en respectant l’interconnexion de tout ce qui vit. Ce savoir indispensable doit être préservé en tant que bien commun, et non privatisé ou vendu comme une marchandise. »
L’universalisme fait partie du lot à rejeter : « Les pratiques culturelles de la modernité reposent sur la croyance en l’individu conçu comme indépendant du collectif, mais aussi sur la propriété privée, le marché libre, le libéralisme politique, la laïcité et la démocratie représentative. Un autre élément clé de la modernité est l’ « universalisme », cette idée selon laquelle nous vivons toutes et tous dans un monde unique et désormais globalisé, et surtout selon laquelle la science est la seule source de vérité ou de « progrès ».»
La COP27 a donné la preuve que « Les cadres institutionnels existants ne suffisent pas à faire face à la crise globale. La crise en question est historique, structurelle, et sa résolution exigera un réveil culturel et une réorganisation profonde des relations à l’intérieur de nos sociétés et entre les sociétés du monde, ainsi qu’entre les humains et le reste de ce que l’on appelle la « nature ».
Exemple de la faillite institutionnelle : « Les ODD, objectifs du développement durable, présentent des failles : L’absence d’analyse de la façon dont la pauvreté, la non-soutenabilité et la violence multidimensionnelle s‘enracinent dans le pouvoir étatique. Une attention insuffisante portée à la mise en place d’une gouvernance démocratique directe. Une priorisation continue de la croissance économique. Un asservissement continu au capital privé. La science et la technologie tenues pour des panacées sur le plan social. Notre objectif est plutôt de souligner qu’en l’absence fondamentale de transformations socio-culturelles, les innovations techniques et gestionnaires ne suffiront pas à résoudre la crise. »
Il nous faut renoncer à l’espoir d’une gouvernance qui nous sauverait : « Bien qu’il existe une synergie entre les différents éléments du plurivers, ceux-ci ne peuvent être réduits à une politique globale, qui serait administrée par l’ONU ou un autre régime de gouvernance, mondial, régional ou étatique. »
La proposition est la suivante : « NOUS IMAGINONS UNE CONVERGENCE MONDIALE D’ALTERNATIVES qui favorisent des stratégies de transition, y compris dans la vie quotidienne, et tendent vers une grande transformation. »
Le livre comporte trois parts inégales :
- LE DEVELOPPEMENT ET SES CRISES : EXPERIENCES MONDIALES
- UNIVERSALISER LA TERRE : SOLUTIONS REFORMISTES
- PLURIVERS DES PEUPLES : INITIATIVES TRANSFORMATRICES
Cette dernière partie est la plus étoffée. Parmi la centaine d’entrées, nous en avons choisi une trentaine, résumées ici très succinctement :
AGDALS : terme d’origine tamazight, qui fait référence à un type de gestion communautaire des ressources, qui inclut une restriction temporaire de l’utilisation des ressources naturelles … dans l’intention de maximiser leur disponibilité en période de besoin critique.
AUTONOMIE ZAPATISTE : voir Trace 204
BONHEUR NATIONAL BRUT AU BHOUTAN : Le BNB n’est pas seulement un nouvel indicateur, mais aussi une philosophie d’épanouissement social qui intègre les besoins extérieurs et intérieurs.
BUEN VIVIR : La catégorie du buen vivir renvoie à un ensemble de perspectives sud-américaines qui partagent une remise en question radicale du développement et d’autres composantes essentielles de la modernité.
COMMUNS : Trois éléments de base interconnectés : un ensemble de ressources détenues en commun, une communauté, la pratique enfin du faire en commun. Et non pas seulement des ressources partagées.
CONVIVIALITE : Aujourd’hui la convivialité a beaucoup de chances de voir le jour que lorsqu’Illich a formulé sa vision pour la première fois.
DECROISSANCE : Une société de décroissance serait différente à tous points de vue : au niveau des activités, des types d’énergie et de leurs usages, des relations sociales, des rapports de genre, du temps consacré au travail payé et non payé…
DEMOCRATIE DIRECTE : C’est une forme d’autogouvernement populaire, où les citoyens et citoyennes participent directement et continuellement aux tâches de gouvernement.
ECO-ANARCHISME : Seules des communautés à petite échelle, autosuffisantes et autogérées, …peuvent réduire suffisamment la consommation de ressources par habitant, tout en permettant une bonne qualité de vie.
ECOLOGIE PROFONDE : L’histoire fossile nous assure que nous pouvons changer … DE ce point de vue, la menace d’extinction apparaît comme une invitation au changement.
ICCA (Indigenous and Comunity Conservation Area) : Trois éléments : un lien fort entre un peuple autochtone et un territoire, le peuple concerné prend les décisions relatives à ce territoire, ces décisions conduisent à la conservation de la nature et de la vie.
KAMETSA ASAIKE : Philosophie du peuple ashaninka de l’Amazonie péruvienne, selon laquelle le bien-être subjectif n’est possible qu’à travers le bien-être collectif, collectif comprenant les humains, les non-humains et la Terre.
KAWSAK SACHA : Nom de la forêt tropicale vivante, espace commun où circule la vie d’un grand nombre d’êtres divers, des mondes animal, végétal, minéral et cosmique.
LOCALISATION OUVERTE : Processus qui transforme les localités existantes en lieux ouverts à la solidarité sociale et politique.
MINOBIMAATISHWIN : Concept introduit par Winona LaDuke, Indienne anichinabée : il impose de vivre dans le respect et la réciprocité avec l’ensemble du vivant. Il s’agit d’un paradigme vieux de plusieurs siècles.
MOUVEMENT SLOW : Voir Traces 29,30, 89, 90,207 et 208 sur la lenteur.
NAYAKRISHI ANDOLON : Mouvement agricole du Bangladesh, qui consiste à assurer la régénération écologique et « biodiverse » de la nature. Il s’agit de vivre « shohoj », c’est à dire joyeusement. A suivre, donc !
POST-ECONOMIE : Exige la démarchandisation de la nature, la reconnaissance des droits de tous les êtres vivants, une production décentralisée, un changement des modes de consommation, une redistribution radicale des richesses et du pouvoir…
PROJETS DE VIE : Concept emprunté aux Indiens Yshiros du Paraguay, et visant à sauvegarder l’hétérogénéité des conceptions d’une « vie bonne ».
TRANSITIONS CIVILISATIONNELLES : Aller du modèle dit « globalisé » vers la coexistence pacifique, bien que tendue, d’une multiplicité de modèles, un « monde qui intègre une pluralité de mondes », un plurivers.
UBUNTU : Véhicule l’idée que l’on ne peut pas se réaliser ou s’exprimer en exploitant, en trompant ou en agissant de manière injuste envers les autres. »
Pour finir, une invitation, que je retransmets ici : « La tapisserie mondiale des alternatives est une initiative qui vise à créer des réseaux de solidarité et une alliance stratégique entre toutes les alternatives aux niveaux local, régional et mondial. » Voir www.globaltapestryofalternatives.org
En matière de conclusion, ce Dictionnaire pourra servir d’ouvrage de référence et nous ne manquerons pas de revenir vers les thématiques effleurées ici. On peut déplorer que seuls de grands principes y sont évoqués, sans le poids du concret. Concret que nous toucherons à travers, encore, la question de l’eau, avant de retrouver avec Descola et Pignocchi « Des mondes à venir ».