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Billet de blog 25 décembre 2024

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Trace 66-Communs 4

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Même pour l’élection à la mairie de Paris, le mot « commun » a fait florès ! Un moyen d’évacuer son pouvoir de changement, de subversion, même, en ce 150ème anniversaire de la Commune ? Prenons donc un peu garde à l’usage de ce mot.  Le livre « Le retour des communs – La crise de l’idéologie propriétaire. » (2015) Collectif, sous la direction de Benjamin Coriat, nous y aidera. Pour commencer, une définition précise, avec trois conditions nécessaires :

« Comment définir un commun ? Les « communs » résultent de certains attributs de biens et/ou de systèmes de ressources. Les communs se caractérisent par des régimes de propriété particuliers et originaux.L’existence de communs suppose et exige la mise en place de « structures de gouvernance » appropriées, qui sont les garants de leur soutenabilité. »RdC-BC.

Comment y accéder ? Dans le même ouvrage Fabienne Orsi signale l’exemple italien suivant :

« Le cas le plus significatif pour notre propos concerne l’initiative italienne pour la création d’un statut juridique pour les biens communs. En 2007, une commission sur les biens publics présidée par le juriste Stefano Rodotà est chargée par le ministère de la Justice de préparer un projet de loi constitutionnelle portant sur la modification des normes du code civil en matière de biens publics. »RdC-FO

Ce travail s’appuyait sur une disposition de la remarquable Constitution italienne :

« La Constitution italienne contient des dispositions relatives à la fonction sociale de la propriété, qui sont toutefois rarement ou partiellement appliquées et que les rédacteurs du projet de loi entendaient mobiliser pour créer un statut juridique pour les biens communs. »RdC-FO

Hélas, travail non suivi d’effet : comme le soulignait Elinor Ostrom, ni pour lutter contre le réchauffement climatique, ni pour instaurer de véritables communs, mieux vaut ne jamais compter sur des pouvoirs étatiques…

Sur la structure même des communs, on peut lire le chapitre écrit par Olivier Weinstein : « Un véritable commun repose, outre l’importance donnée à un certain degré d’ouverture de l’accès à une ressource, sur deux piliers complémentaires. Le premier est celui sur lequel insiste le plus Elinor Ostrom: un principe d’auto-organisation et d’auto-gouvernement. Le deuxième élément… se situe dans le choix d’un mode de gouvernance ne reposant pas sur un principe hiérarchique,  mais sur une régulation et une direction par une autorité centrale disposant d’une large autonomie.Ce sont précisément ces aspects d’auto-organisation et de gouvernance polycentrique qui, pour Ostrom et beaucoup d’autres, expliqueraient en grande partie les vertus de cette organisation communautaire, que ce soit du point de vue de l’efficacité économique ou de celui de l’égalité sociale. »RdC-OW

Aux critiques qui mettaient l’idée de telles constructions sur le compte d’une certaine naïveté, relativement à la « nature humaine »… Ostrom , qui avait beaucoup voyagé dans son enquête, répondait , suivant son constat majeur, celui de « la capacité des individus insérés dans des communautés locales à résoudre des problèmes d’action collective, en construisant de manière relativement autonome des systèmes de règles,  et des « modes de gouvernance » adaptés aux problèmes auxquels ils sont confrontés.  RdC-OW

Le dernier chapitre, écrit par Michel Bauwen, peut donc être légitimement optimiste : « A l’échelle régionale, et surtout nationale, mais peut-être aussi à l’échelle mondiale, nous proposons de réorganiser la politique autour de l’idée de commun. Une telle « coalition (mondiale) des communs » verrait la création d’alliances entre les mouvements liés aux communs numériques et culturels, et les forces écologistes qui sont naturellement favorables aux communs naturels /…/ De telles coalitions seraient en mesure de soutenir une politique et des politiques publiques qui pourraient permettre de repenser l’organisation sociale, désormais envisagée comme une triarchie fondée sur les communs. »RdC-MB.

Des exemples seront donnés dans « Vers une république des biens communs ? » (2020) Collectif dirigé par Nicole Alix : « Il y est montré notamment comment de grandes cités – Barcelone en l’occurrence – sont engagées dans une transformation de la nature de la relation entre l’autorité publique et les communautés de citoyens constitués en interlocuteurs, les instituant comme acteurs à même de contribuer à l’élaboration de l’action publique dans la ville de demain. En Italie, des réglementations pour «prendre soin » des communs, se fixant comme objet la cogestion des ressources publiques, sont désormais signées dans plus de 120 villes, donnant à la citoyenneté un sens renouvelé. »VRC

Allons plus loin, et plus large aussi, avec un article de « Terrestres », du 6 août 2013, signé Sylvie Gosselin et David Gé Bartoli : « Là où le modèle démocratique moderne institue un espace politique où l’homme se prend pour seule fin du monde, s’opposant à une nature qu’il cherche sans cesse à conquérir et à transformer en l’intégrant dans le système d’une économie globalisée, l’ouverture au commun nous engage [au contraire] à repenser la politique par-delà tout anthropocentrisme, à repenser le rapport de l’humain au monde depuis les choses communes de la nature, d’une nature pensée comme domaine de l’inappropriable. »SG-DGB

Et retournons avec eux, encore une fois, à Rome : « Une disposition tirée du droit romain se trouve dans le Code Civil français de 1804 ; il s’agit de l’article 714 qui tient en deux alinéas : « Il est des  choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir ». SG-DGB

« A partir de cette disposition, des juristes cherchent actuellement à formuler les bases d’un droit de l’environnement. Aussi, comme nous le rappelle le juriste Benoît Jadot, si les « res communes » figuraient dans le droit romain parmi les « res nullius humani juris », c’est-à-dire parmi les choses n’ayant pas de maître mais pouvant faire l’objet d’une appropriation, les « res communes » se distinguaient des « res nullius » en tant qu’elles correspondaient « à ces choses que la nature a produites pour l’usage de tous. Elles sont données au genre humain et présentent des caractéristiques inépuisables : l’air, la lumière du soleil, l’eau courante, la mer et ses rivages, les animaux sauvages ». SG-DGB

« A la différence des biens, les choses communes sont inappropriables. Il en va ainsi pour l’eau, l’air, les animaux sauvages, mais cela pourrait valoir pour l’ensemble des choses du monde. Ainsi que le signale Alain Sériaux : « L’article 714 du Code civil demeure volontairement non limitatif. ”

Dès lors, rien n’interdit au juriste d’imaginer, au chapitre des choses communes, d’autres biens que l’air, l’eau ou le vent. Pourquoi pas la lumière, comme le suggère Demolombe ? Et au-delà les astres, les planètes, la faune, la flore, ou, plus rationnellement, tout ce qui contribue peu ou prou à l’agrément de la vie des hommes sur terre, à ce qu’il est aujourd’hui convenu de nommer l’équilibre écologique de notre planète ? […] A rallonger encore la liste, l’on découvrirait peut-être qu’au fond, tout est commun à tous, car, dans une mesure variable, même les choses que d’aucuns possèdent en propre, ont une dimension collective. N’importe quel lopin de terre ferait banalement l’affaire. Dans nombre de sociétés traditionnelles, celles des chasseurs-cueilleurs notamment, la terre est traitée comme une chose commune. […] L’on perçoit par là la force littéralement explosive de la notion de chose commune. Si tout est commun, comment justifier alors l’appropriation, qu’elle soit privative ou même collective ? »SG-DGB

Selon le juriste Alain Sériaux :…. « … même chez les romains, le maintien hors du droit (et du commerce) des choses communes exprimait l’existence de devoirs élémentaires, ceux consistant à ne pas priver quelqu’un de ce qui est indispensable à la vie. »

« Distinguant l’usage actif de l’usage passif, Alain Sériaux définit ce dernier en ces termes : « on jouit de la présence des choses communes sans avoir pour autant à en dériver définitivement vers soi une parcelle. Se promener en barque sur une rivière, respirer l’air pur des hauteurs, admirer la beauté d’un paysage ou se laisser doucement caresser par les rayons du soleil ». « L’usage » engage ici d’abord une relation sensible au paysage. Or ce qui vaut pour l’usage passif vaut tout autant pour l’usage actif, c’est-à-dire pour l’ensemble des activités transformatrices des choses communes. »SG-DGB.

Où l’on retrouve la rivière de ce cher Elisée Reclus ….dont l’une des formules fut : « L’utopie, c’est la seule réalité ». Prochain voyage, dans des utopies réalisées, au XIIème siècle : des communautés autonomes, fédérées entre elles….

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