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Billet de blog 26 janvier 2025

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Trace 426-Synthèse 31

« On commet toujours l’erreur d’attendre la catastrophe à l’horizon de l’avenir, et l’on se réveille un beau matin en proie à une sensation d’oppression qui nous écrase la poitrine, on se retourne et découvre que la fin est derrière nous, que la petite apocalypse s’est déjà produite et que nous ne nous en sommes même pas rendu compte. » Antonio Scurati, dans « M. l’enfant du siècle » (2018)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« On commet toujours l’erreur d’attendre la catastrophe à l’horizon de l’avenir, et l’on se réveille un beau matin en proie à une sensation d’oppression qui nous écrase la poitrine, on se retourne et découvre que la fin est derrière nous, que la petite apocalypse s’est déjà produite et que nous ne nous en sommes même pas rendu compte. » Antonio Scurati, dans « M. l’enfant du siècle » (2018)

Catastrophe politique, et catastrophe écologique s’entend, les deux étant désormais étroitement liées.

Qui est M. ?  Musk ? Meloni ? Macron ? ou MAGA, qui fête aujourd’hui sa victoire au Capitole, donnant l’occasion à son ami Elon de faire deux saluts nazis ? Non, Mussolini. Encore que les susnommés, en matière de prise de pouvoir personnel, d’hybris, de danger pour la démocratie comme pour la planète, ne peuvent être jaloux.

Aujourd’hui, les fabricants de roues ferroviaires dites « vertes » sont reconvertis de gré ou de force dans la production d’obus de 155 mm : https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/20/des-roues-vertes-aux-obus-le-virage-inattendu-de-la-relance-de-valdunes-dernier-fabricant-francais-de-roues-ferroviaires_6506315_3234.html

Aujourd’hui, gouvernement et Sénat rivalisent dans la démolition d’institutions comme l’OFB, et l’Agence Bio : https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/20/l-agence-bio-menacee-de-disparition-avec-l-aval-du-gouvernement_6507306_3234.html

« Ce qui caractérise une intelligence de premier ordre, c'est son aptitude à garder simultanément à l'esprit deux idées contradictoires, sans pour autant perdre sa capacité à fonctionner. ON DEVRAIT, PAR EXEMPLE, ETRE CAPABLE DE VOIR QUE LES CHOSES SONT SANS ESPOIR ET POURTANT DETERMINE A LES CHANGER. Cette philosophie était adaptée aux premières années de ma vie d'adulte, alors que sous mes yeux se réalisaient l'improbable, l'invraisemblable et même souvent l'impossible. » Scott Fitzgerald – La fêlure

Sans prétendre à être cette intelligence-là, je m’obstine, et persévère, à vous parler encore de castors, ou à retracer l’histoire des bastides.C’est que, comme le dit Olivier Hamant, ces temps sont « fluctuants ». Ce qui nous paraît le plus assuré peut vaciller demain. « Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne », comme l’on dit à Rome. Je ne  précise pas de quel Capitole l’on parle...

Il y a du boulot : comme dit dans le préambule à tout ça, les civilisations sont mortelles, et, en ce qui concerne la nôtre, heureusement. Il y a donc une civilisation à inventer, des villes à construire, notamment, d’où toutes les recherches sur l’urbanisme, et sur la fondation des villes, qui parsèment ces pages.

 403 FRANÇOISE CHOAY 1 ET 2

Revenir sur cette Trace de novembre dernier, c’est d’abord saluer la mémoire de Françoise Choay, qui nous a laissés le 8 janvier. On peut lire ici l’hommage de Thierry Paquot : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2025/01/20/mort-de-francoise-choay-theoricienne-de-l-architecture-du-patrimoine-et-de-la-ville_6507197_3382.html

Retenons ici quelques points de la brillante introduction à « L’URBANISME, UTOPIES ET REALITES- UNE ANTHOLOGIE » (1965) :

Sa critique, dès 1965 donc, du productivisme : « L’autoritarisme politique de fait, que dissimule dans toutes ces propositions une terminologie démocratique, est lié à l’objectif commun, plus ou moins bien assumé, du RENDEMENT maximum. »

Le fait que toute image a priori fige, depuis More ou Campanella (Traces 17 et 18) : « Dans tous les cas, progressiste ou culturaliste, la ville, au lieu d’être pensée comme processus ou problème, est toujours posée comme une chose, un objet reproductible. Elle est arrachée à sa temporalité concrète et devient, au sens étymologique, utopique, c’est-à-dire de nulle part. »

Avant André Gorz, ou Ivan Illich, Choay remet en question le culte de la voiture présent dans l’urbanisme des années 60 : « L’ordre circulatoire risque d’ailleurs souvent de s’achever en soumission inconditionnée à la puissance de l’automobile… »

Enfin, sur le modèle qu’elle appelle naturaliste, son jugement du projet de Brasdacre de Wright porté, dur, et juste : « Le rapport de Broadacre avec la technique moderne est plus décisif encore que dans le modèle progressiste : ce sont l’automobile, l’avion, le parkway, la télévision, les techniques les plus avancées de transport et de communication qui donnent son sens à ce mode d’établissement dispersé… On se demandera si, au niveau de l’inconscient, une tentative comme celle-là ne satisfait point finalement les tendances de la société à l’autodestruction et si, en bonne orthodoxie freudienne, il ne convient pas d’assimiler ici la libération du principe de plaisir avec celle des instincts de mort. »

 Oui, instincts de mort, qui se réalisent, à leur manière, depuis 60 ans. Le parcours que nous faisons ici n’a rien d’une promenade érudite : il s’agit d’un sauve-qui-peut.

  1. LOIRE ET LEYRE

Ces deux Traces ont été l’occasion de vanter la ripisylve exceptionnelle, et menacée, de la Leyre, ce petit fleuve, cher à mon cœur, qui se jette dans le bassin d’Arcachon, puis d’analyser «  LES AUDITIONS DU PARLEMENT DE LOIRE » (2021), mis en forme par Camille de Toledo.

Pourquoi se lancer dans cette aventure de donner existence légale à un fleuve ? « Le monde est écrit. Les Etats, le capitalisme sont le fruit de la loi, d’une certaine écriture de la loi. ET QUAND LA LOI CHANGE, QUAND UN IMAGINAIRE LEGAL NOUVEAU APPARAIT, C’EST L’ECRITURE, DONC LES TERMES DE NOS HABITATIONS, QUI SONT MODIFIES. »

Ce recueil examine, avec honnêteté tant les avantages que les risques d’écueil : « Une personne, c’est toujours une entité qui a des droits. Voilà le problème tel qu’il se pose : si la Loire accède à la personnalité, elle deviendra un sujet de droit à part entière : elle pourra, en son nom propre, faire valoir ses droits…A QUEL ENDROIT FAUT-IL DECOUPER JURIDIQUEMENT DANS LA MAILLE TRES INTERDEPENDANTE DU VIVANT POUR CREER CES SUJETS DE DROIT ? »

  1. PIERRE CHARBONNIER 1 ET 2

La lecture de « ECOLOGIE DE GUERRE- UNE HISTOIRE ENVIRONNEMENTALE DE LA PAIX » (2024), de Pierre Charbonnier, puis de « ABONDANCE ET LIBERTE- UNE HISTOIRE ENVIRONNEMENTALE DES IDEES POLITIQUES » (2020) s’est avérée ennuyeuse et déprimante. Passons notre chemin.

  1. TULOU 1 ET 2

Les tulous, ces vastes maisons collectives du Sud de la Chine, ayant servi de refuge aux Hakkas, nous intéressent. Comme objet technique, comme expérience de vie collective, enfin, comme support à des tentatives de restauration.

Leur construction montre un ensemble cohérent, où chaque matériau a trouvé sa juste place : « La structure du Tulou est réalisée avec des matériaux de la région. Les murs extérieurs sont faits d'argile, de terre, de chaux et de pierre, et la structure intérieure est en bambou disposé verticalement comme une structure osseuse. De plus, les parties clés sont souvent décorées d'un mélange de riz gluant et de sucre roux pour améliorer l'adhérence. Un soubassement en pierre (souvent en grès) permet à la partie inférieure du large mur extérieur en terre d'avoir jusqu'à 3 m d'épaisseur. La partie supérieure de ce mur est formée selon la même technique mais a une épaisseur réduite à environ 1,50 m. Cela a un double effet. D'une part, isoler le sol des agressions extérieures, et d'autre part, assurer un confort thermique pendant les hivers rigoureux.

En 2008, 46 de ces structures ont été inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, mais des milliers d’autres tulous ont été laissés dans un état d’abandon en raison du développement économique de la région au cours des dernières décennies. Dans un grave état de délabrement, ils sont aujourd’hui le témoignage de l’émigration des campagnes. Les interventions pour redonner vie à ces structures abandonnées sont nombreuses et nécessitent l’engagement social d’un cabinet d’architecture, ainsi que de personnes intéressées par la préservation du patrimoine et les traditions rurales de la province. Xu Tian tian parle de ces interventions comme d’une forme d’acupuncture : refaire circuler les énergies du bâtiment : belle intention.

  1. ROBUSTESSE ET PERFORMANCE

« ANTIDOTE AU CULTE DE LA PERFORMANCE – LA ROBUSTESSE DU VIVANT », d’Olivier Hamant, est l’ouvrage d’un biologiste tentant d’étendre un concept, la robustesse, lié à ses recherches, à une vision globale du monde. Les observations du biologiste montrent une nature qui se trompe, perd du temps, mais qui résiste, plus ou moins aux pires attaques humaines. Partant il généralise sur ce quel doit être notre attitude : « Les progrès récents de la biologie nous donnent aussi une clé importante : la robustesse se construit d’abord sur l’hétérogénéité, la redondance, le gâchis, la lenteur, l’incohérence … bref contre la performance. »

En face, la recherche de la performance fait piètre figure : « Optimiser fragilise. Le dogme de la performance nécessairement positive est un formidable soutien à la pensée réductionniste (qui valorise l’appauvrissement des interactions) contre la pensée systémique (qui se construit au contraire sur l’abondance des interactions). »

Le darwinisme est ainsi revu et corrigé : « Finalement, les êtres vivants ne sont pas sélectionnés sur leur niveau de robustesse, c’est-à-dire la capacité à se maintenir stable (sur le court terme) et viable (sur le long terme) malgré les fluctuations. »

Hamant se laisse aller à rêver d’un monde robuste, et lent : « Dans ce monde-là, l’abondance matérielle court-termiste a laissé la place à l’abondance des interactions sur le temps long. On n’utilise plus la matière pour gagner du temps, on utilise le temps pour préserver la matière. »

  1. CASPERIA 1 A 3

La Sabine, où je vis, est un territoire parsemé de villages perchés, créés vers l’an mille, au cours d’un processus dit d’ »incastellamento », ayant regroupé les paysans autour du château du seigneur, qui prétend les protéger. La lecture de Pierre Toubert : « LES STRUCTURES DU LATIUM MEDIEVAL - LE LATIUM MERIDIONAL ET LA SABINE DU IXE SIECLE A LA FIN DU XIIE SIECLE » (1973) s’est concentré sur trois thèmes : l’eau, la subsistance alimentaire, et l’urbanisme, trois thèmes centraux dans notre recherche.

Le sol est ici un artefact : «Les seuls sols vraiment riches du Latium médiéval, ceux des petits terroirs de polyculture vivrière, n’entrent dans aucune catégorie pédologique précise. Il s’agit de sols artificiels nés de la concentration séculaire des capacités de fumure, d’irrigation et de travail à l’outil manuel. Ces « anthroposols » ont été créés par la proximité de l’habitat groupé plus qu’ils n’en ont déterminé la fixation. »

J’aime l’appréciation de Toubert : « En premier lieu, L’AGRICULTURE TRADITIONNELLE A ETE CONDAMNEE A ETRE SAVANTE. Le relief tourmenté, la diversité des expositions et des microclimats, la mosaïque des sols et les caprices d’une hydrographie de type karstique ont introduit un morcellement et une variété quasi infinis dans les types de terroirs utiles. En phase de forte poussée démographique, comme c’est le cas entre le X° siècle et le XIII° siècle, chaque village, chaque exploitation rurale ont dû chercher leur équilibre productif dans une adaptation de plus en plus étroite à cette gamme étendue d’aptitudes naturelles. »

On retrouve ici une forme d’agroforesterie (Traces 118, 119,  172, 173) bien oubliée :

« Sous l’étage de l’arboriculture irriguée où ont prédominé jusqu’au XIVe siècle le cerisier, le pommier et le poirier, le paysan-jardinier récoltait les oignons, les fèves, les pois chiches, les haricots, les choux, la moutarde et le coriandre, à côté des herbes potagères ou aromatiques et des représentants de la famille nombreuse des cucurbitacées: citrouilles, courges, melons, pastèques, concombres et autres coloquintes. »

Un jardin « précolombien » riche : « Nous voici éloignés de l’extrême pauvreté en espèces cultivées que l’on prête d’ordinaire au jardinage médiéval. La variété des légumineuses riches en hydrates de carbone compensait la pauvreté des herbes potagères réduites à un rôle d’appoint dans une cuisine où, à côté du pain et des bouillies, les légumes secs composaient des « minestre ». »

A l’époque on pressentait les dangers d’une monoculture stricte : « On semait fréquemment à grains mêlés, sous le nom de mestura, plusieurs espèces de blés d’hiver (froment plus seigle, ou épeautre plus seigle) dont les qualités différentes se conjuguaient pour renforcer la robustesse de l’ensemble et éviter la verse des tiges pendant l’époque cruciale qui va de la formation des épis à la moisson. »

Tous les mélanges décrits contribuent à donner une sécurité alimentaire : « Le pommier, le poirier, le cerisier, le pêcher, s’y trouvaient le plus souvent mêlés. Noyer, amandier, mûrier, olivier, apparaissent à l’occasion. Plus qu’un bariolage anarchique, il faut voir dans ces combinaisons si variées le résultat d’une politique paysanne d’assurance contre les risques météorologiques grâce au mélange d’espèces dont la floraison et la fructification étaient échelonnées dans le temps. Au niveau de la céréaliculture sèche, l’arbre intégré était surtout porteur de fruits oléagineux (olivier, noyer) ou riches en hydrates de carbone (châtaignier, chêne à feuilles caduques).»

Pour revenir à l’urbanisme, Casperia avec ses rues concentriques représente un exemple parfait du premier type : « Les villages de butte sont les plus étroitement adaptés au relief: à partir d’un noyau castral, le développement de l’habitat ancien s’est effectué vers le bas par une série d’anneaux concentriques épousant assez régulièrement les courbes de niveau. Souvent, les maisons jointives du dernier anneau de croissance, tournant vers l’extérieur un revers percé de rares ouvertures en meurtrière, ont joué le rôle provisoire d’enceinte défensive, en attendant d’être débordées vers le bas par une nouvelle extension de l’habitat. »

Ainsi, pour être fortement liées à un contexte précis, ces études historiques délivrent un message d’une large portée.

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