La première question qui se pose au moment de toucher terre, de faire atterrir le projet, dans sa phase construction, est bien d’étudier comment par ce geste affecter le moins possible le vivant.
Nous irons chercher à cet égard des réponses à la fois dans les pratiques éloignées dans le temps, ou l’espace, mais aussi dans l’actualité de la construction d’aujourd’hui.
L’origine du néolithique est-elle matérielle, due à un changement climatique, ou bien spirituelle, comme le soutient entre autres Jacques Cauvin ?
Le néolithique répond en tout cas à une époque de réchauffement climatique important qui a vu progresser la surface des forêts, et donc, logiquement, l’usage du bois.
De cette époque datent, pour la seule région péri-alpine, plus de mille sites connus d’habitations palafittiques. Il y a tout lieu de penser que le mode de construction en bois sur pilotis était utilisé communément, que ce soit pour se prémunir contre les bêtes sauvages (serpents,…) ou simplement contre l’humidité. Seules les constructions sur les lacs ont laissé, du fait de la bonne conservation du bois quand il est entièrement immergé, des vestiges observables aujourd’hui, certains concernant de véritables petites villes. La croyance du XIXème siècle, en des habitations uniquement lacustres a évolué vers une vision qui intègre aujourd’hui une mixité : pilotis sur terre, autant que sur l’eau, selon Victory Jaques.
Pour sortir d’une version européo-centrée, précisons que :
« Le Néolithique apparaît en plusieurs régions du monde de manière indépendante, avec des espèces animales et végétales différentes : ce n’est donc pas un phénomène de diffusion à partir d’un point unique. Ces régions sont pour l’essentiel le Proche-Orient (où le Néolithique semble s’amorcer il y a approximativement 12 000 ans, avec la domestication, étalée dans le temps, du mouton, de la chèvre, du boeuf, du porc, du blé et de l’orge) ; la Chine (avec le porc, le chien, le poulet, le millet, le riz et peut-être en deux foyers à l’origine distinct, mais bientôt fusionnés, fleuve Jaune au nord et Yangtsé au sud) ; les Andes et le Mexique (avec le maïs, les courges, les haricots, la pomme de terre, l’avocat, le chien, le cobaye et le lama – mais aussi le coton et le tabac) ; le bassin du Mississippi (avec les courges, le tournesol et l’ansérine) ; la Nouvelle-Guinée (avec le taro et la banane) ; et peut-être le nord de l’Afrique (avec le boeuf, le mil et le sorgho). »Jean Paul Demoule, « La révolution néolithique ».
Selon », les groupements prennent les formes suivantes : villages retranchés par des fossés et des murs, villages ceinturés de palissades en bois, enfin villages péri-lacustres, sans toutefois pouvoir grandir :
« Dans le cadre d’une économie ayant un mode de production domestique foncièrement autarcique
et un système agropastoral basé sur l’abattis-brûlis, c’est l’impossibilité de dépasser le niveau
d’organisation villageoise qui aurait été la cause de la segmentation des communautés au-delà d’un
seuil de quelques centaines de personnes et de l’essaimage de nouvelles communautés dans les
territoires vierges disponibles .»
Des pilotis, une des traces les plus anciennes se trouve dans la région de Rome :
http://www.lagosabatino.com/2013/la-marmotta-anguillara-sabazia/
En Suisse, nombreuses sont les fouilles entreprises, riches d’enseignement sur la vie quotidienne sur, et autour des lacs :
https://neolithiqueblog.wordpress.com/2016/03/23/les-palafittes-temoins-de-la-vie-quotidienne/
En France, les expériences de reconstruction à Chalain, par l’équipe de Pierre Pétrequin, est très intéressante par son exploration de la pratique de chaque technique, de l’abattage aux clayonnages.
On trouvera ici une vision européenne : https://www.palafittes.org/files/Downloads/UNESCO-PATRIMOINE%20MONDIAL_F-2019kl.pdf
Les constructions sur pilotis ont coexisté avec des habitats troglodytes, revêtant un rapport bien autre avec le sol : dans ce dernier cas, en prolongement réel, ou reconstitué avec l’habitat rupestre, on s’enfouit dans la terre. Ce sera le cas en Chine, mais aussi à Matera dans de Sud de l’Italie,
https://www.youtube.com/watch?time_continue=9&v=p5cEF_v-rhg&feature=emb_logo
ou bien en France, sous forme de maisons, mais aussi jusqu’à des églises, dans les premiers temps du christianisme, comme à Saint Emilion.
Dans l’autre cas, qui est parfois complémentaire, de constructions sur pilotis, le rapport avec le sol, la terre même semble, au moment où commencent l’agriculture et l’élevage, à la fois respectueux, et intéressé. A-t-il existé, comme c’est le cas en Chine, ou au Japon, un culte pour un dieu, ou plutôt ici, une déesse, du sol ? « Selon Marija Gimbutas, la constellation de motifs et de symboles liés à la mythologie pré-indo-européenne comprend des motifs tels que la déesse Serpent, la déesse Oiseau, l'Oeuf primordial, le Papillon, les cavernes, les labyrinthes, les graines, les rivières, les toiles, la poterie, les récipients, les cornes, la Vache, la double hache, les tumulus, et, j'ajouterais, les bras levés de la Déesse et le mythologème de la Mère-Fille. Ces symboles se rangent en deux catégories : a) les symboles naturels faisant référence à la terre et à toute espèce vivante sur la planète, y compris la fertilité, la sexualité humaine et les relations sociales; b) les symboles de la culture féminine : le tissage, la cuisine, la poterie, l'agriculture, la guérison, l'art. » Gloria Feman Orenstein, Une vision gynocentrique dans la littérature et l’art féministe contemporains.
Le mode de sépulture de l’époque, dans la terre, en position fœtale, laisse penser à une croyance attribuant à la terre un véritable rôle matriciel…
C’est en tout cas pour manifester notre respect pour le vivant, permettre son maintien, comme pour laisser courir les eaux, que notre projet d’école d’Argelliers, avec AAUN et Atelier NAO, est posé sur des pilotis. Il s’agit ici, pour cause de terrain assez rocheux, de portiques métalliques posés sur des plots béton enterrés.
Mais d’autres techniques plus simples sont possibles, sur des terrains plus accueillants.
Pour les gîtes du Lac de la Plaine, avec les architectes Cartignies&Canonica, nous avons utilisé de simples pieux de robinier, plantés sur un terrain très marécageux : https://www.itinerairesdarchitecture.fr/ficheop.php?id=316
Aujourd’hui, on peut facilement planter des pieux vissés en acier, comme pour la passerelle de Gentilly, avec l’architecte Patrick Bertrand. On peut donc prévoir jusqu’à des ouvrages d’art, simplement appuyés sur pilotis. https://www.charpentes-bois.com/images/17-07/passerelle-a6/passerelle-a6.pdf
Dans les trois cas, le type de construction utilisé permet, sans la prévoir pour autant aujourd’hui, une réversibilité, un démontage de l’ensemble pour Argelliers, un recépage des pieux au Lac de la Plaine, un simple dévissage des pieux vissés à Gentilly.
Un tel démontage a bien concerné le Théâtre des Nations, version allongée et élargie du Théâtre Ephémère de la Comédie Française, posé sur pieux bois à Genève, de 2015 à 2018. https://www.youtube.com/watch?v=o7zay3dpBT8
La différence est essentielle si on se rappelle la phrase attribuée à Saint Exupéry, en fait de l’écrivain écologiste Wendell Berry : « Nous n'héritons pas la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants.»
Certes, il s’agit là d’ouvrages légers, mais n’oublions pas que Venise aussi repose sur un réseau dense de pilotis…