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Billet de blog 26 novembre 2024

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Trace 12 - Toucher terre 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Au Japon …l’esthétique et la philosophie sont en totale adéquation. Même la pierre est esprit … » Bruno Taut.

Sur cette terre, nous les vivants sommes tous locataires…les japonais, eux,  ne l’ont pas oublié.

Comme le raconte Augustin Berque dans « Le sauvage et l’artifice – Les japonais devant la nature » (1986) : « …si la construction d’un grand immeuble oblige à déloger le kami tutélaire, on reconstruira son autel au sommet de l’immeuble. Mieux vaut en effet ne pas s’aliéner l’esprit du lieu. »

Dès lors, il est logique de s’intéresser aux modes de construction, entre autres, employés par cette culture. J’y suis allé, j’y ai rencontré les charpentiers, vu leurs réalisations.

Voir les détails d’appui sur pierres, vieux de plus de 1300 ans, comme à Nara, qui seraient aujourd’hui rejetés comme précaires, dans un monde où les bétons n’atteignent pas mon âge, donne à penser.

Nous aideront ces lectures:

“The japanese house – A tradition for contemporary architecture”, Heinrich Engel (1964) : HE

« Vocabulaire de la spatialité japonaise », Collectif (2014) :SJ

« La maison japonaise et ses habitants », Bruno Taut (2014, pour la traduction) : BT

 La cérémonie d’apaisement, qui se pratique encore, est décrite ainsi : « Le jichinsai est le rituel d’installation sur le terrain d’une future construction : il s’agit de demander à la divinité du sol l’autorisation d’y édifier un bâtiment, d’habiter là, de s’installer.

Le rituel  connaît des formes diverses selon les régions, mais son sens profond demeure le même pour l’essentiel : d’abord une purification du terrain. Ensuite l’apaisement des divinités pour demander le démarrage du chantier. Enfin un sacrifice pour apaiser les âmes en espérant la sécurité des travaux.

Dans le coin nord-est du terrain on ménagera ainsi un petit carré où le sol est laissé naturel, à nu et recouvert de gravier blanc. »SJ

Bruno Taut la voyait ainsi en 1934 : « On érige un petit autel shintô…le prêtre principal émet un long bourdonnement sans paroles, qui signifie la venue du dieu tutélaire de l’architecture.

…il gagne ensuite les coins du terrain, où ils jettent dans les quatre directions cardinales du riz et des petits morceaux de papier blanc… ainsi ils purifient symboliquement la parcelle… »BT

 La terre battue est une constante de la construction au Japon : « Le doma est ainsi ce vaste espace de terre battue abrité sous le large toit yane, occupant l’extrémité du bâtiment sur toute sa largeur parfois…présente dans toutes les maisons populaires minka./…/ C’est le lieu de l’eau et du feu, le siège de kami protecteurs, que l’on vénère et dont on prend soin de l’autel.

Cette structure (terre battue, sol planchéié, tatamis de paille) condense en raccourci… les phases historiques par lesquelles est passée la maturation de l’architecture de l’habitation populaire, depuis la maison néolithique à foyer central, semi-enterrée. » SJ

On peut voir la terre battue, que ce soit dans l’atelier de Shoji Hamada à Mashiko, ou intelligemment utilisée pour réguler l’hygrométrie dans le Musée des gens de mer de Toba , de l’architecte Hiroshi Naito, ainsi bien sûr que dans tous les halls d’entrée des maisons des différents musées de maisons paysannes de Shirakawago, ou Takamatsu.

Bruno Taut lui aussi notait l’avantage de ce choix pour le confort thermique d’été : « Nous pénétrions dans le hall bien frais de la maison, au sol de terre battue ; la partie habitable de la maison, avec son plancher recouvert de nattes, s’ouvrait entièrement sur l’un des côtés de ce hall. » BT

Mais le plus souvent la construction est surélevée sur pilotis. D’abord plantés, les poteaux d’appui sont maintenant posés sur des pierres, selon les détails du livre de Heinrich Engel, qui est un trésor de réflexions sur comment une architecture contemporaine peut tirer parti des leçons de l’architecture vernaculaire du Japon.

Il est patent que les traditions animistes, quel qu’elles soient, véhiculent un grand nombre de savoirs et savoir-faire :« A partir de 1980, quelques organisations et savants, liés au shintô, …ont employé la notion de chinju no mori pour redéfinir le « shintô » comme une ancienne tradition animiste, dont les ressources intellectuelles et pratiques peuvent être utilisées pour résoudre les crises environnementales. »SJ

 Le charpentier Tanaka San, dont la conférence à Paris en 1987 m’avait impressionné, m’a fait l’honneur de m’inclure en disant : « Nous, charpentiers, nous savons voir l’invisible. » L’invisible, dont il parlait, était-ce les kamis ?

«Ce sont des forces invisibles qui possèdent à la fois un esprit de violence et un esprit de douceur et dépassent l’homme, la compréhension ordinaire et suscitent vénération et crainte.

Présents sur tout le territoire du Japon, dans le milieu naturel ou humanisé, les kami partagent avec les hommes et la nature les mêmes forces vitales, que les rites viennent régénérer. »SJ

Ou bien, plus simplement, de l’invisible de la matière, de sa vie ? : « Pour le constructeur japonais, le matériau qu’il utilise, qu’il s’agisse du bois ou d’un minéral, est vivant. »BT

Sous la maison en chantier que nous a fait visiter Tanaka San, le sol est recouvert de charbon de bois, pour diminuer l’humidité en sous-face de la maison.

On peut voir chez les fournisseurs de matériau un choix de pierres de granit, plates, pour y appuyer les poteaux, comme ce qui fut fait à l’Horyu-ji, près de Nara, qui date de l’an 706…

Que de choses inconnues ici ! Pourquoi ?

 Au-delà de notions techniques, le Japon a aussi une leçon plus large, plus philosophique à notre égard : Un concept, « wa », l’harmonie, peut le résumer : « …wa prend le sens de conclure un pacte… et décrit autant une situation relative aux hommes, aux dieux, à l’être humain, qu’à la nature.

Ainsi, wa s’avère une problématique de la relation et non de l’essence, de la relation d’hommes à hommes, et des hommes avec la nature. »SJ

L’application de cette notion va nous entraîner dès maintenant à nous intéresser aux migrations, en cours, et à venir : l’hypothèse d’une Europe forteresse, comme le fut le Japon pendant des siècles, n’est pas tenable.

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