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Billet de blog 26 décembre 2024

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Trace 67-Thélèmes 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre problème : Comment organiser géographiquement sur un territoire l’implantation de communautés autonomes, mais fédérées entre elles ? Quelles implantations choisir ? Comment les relier ?

Ce n’est sans doute pas par hasard que Rabelais avait choisi pour son utopie (voir Traces 18) une abbaye, l’abbaye de Thélème : Si l’on considère certaines parentés historiques et géographiques entre XI° et XXI° siècle : une forte croissance démographique, renouvelée demain par l’immigration ; un territoire très boisé, et qui l’est de nouveau, aujourd’hui autant qu’en l’an mille ; des économies à développer sur d’autres bases,…  l’exemple de la création du réseau des couvents bénédictins, et cisterciens, a de quoi nous intéresser comme une utopie qui a, d’une certaine façon, réussi, même si l’appui des puissants fut pour eux facile à acquérir….

Il n’est point besoin de partager ni la foi chrétienne, ni l’appétit de pouvoir, et de prébendes sans doute, qui a régné sur l’ensemble de l’entreprise. Il n’est que de voir l’avalanche de publications d’historiens fascinés par le sujet. Nous puiserons dans cette manne de quoi nourrir notre projet, tâchant d’en prendre de la graine, mais sans sombrer ni dans la copie d’un modèle, ni dans la critique des dérives dudit modèle : Ivan Illich nous a assez instruit sur le fait que de la tension vers le bien, peut dériver presque automatiquement le pire, dès qu’une institution s’établit …  à nous de déjouer, aussi, ce danger.

Parmi les multiples documents consultés, les thèses et articles de :

Philippe Jéhin : Forêts et communautés religieuses en Alsace sous l’ancien régime.

Noël-Yves Tonnerre : La place des abbayes cisterciennes dans l’histoire de l’Anjou.

Céline Roberge : Les abbayes cisterciennes de l'ancien diocèse de Bourges aux XII° et XIII° siècles.

René Locatelli : L'implantation cistercienne en comté de Bourgogne jusqu'au milieu du XIIe siècle.

Gilles Rollier : Implantation et hydraulique monastiques : le cas de Cluny.

Patrick Defontaine : Recherches sur les prieurés des diocèses de Chalon et Mâcon (Xe-XIVe siècles).

Valérie Stauner : Sites cisterciens : la notion de salubrité dans les abbayes du Midi de la France.

Mais aussi Wikipédia, article très documenté sur l’ordre cistercien, hélas un peu hagiographique …

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L’implantation,  qui manifeste des choix géopolitiques, mais aussi géographiques.

Certains des emplacements sont déjà occupés par ce qui fut une villa romaine : une manière de capter l’énergie du lieu ? De suivre les mêmes intuitions ? Ou de remplacer une antique domination ?

« Un certain nombre de sites monastiques situés en bord de rivière sont implantés sur des constructions antiques… Une étude récente sur les prieurés de la Drôme permet de remarquer que pour trente-deux sites, il y aurait eu une continuité de l’occupation entre la villa et le monastère. »GR

Dans le désir d’occuper un territoire, comme au jeu de Go, des pions sont placés, qui susciteront  peu à peu la création de « territoires » conquis : « Il est alors intéressant de regarder de quelle manière se disposent les abbayes cisterciennes sur le terrain. En effet… on constate que ces abbayes délimitent une zone, plus ou moins ovoïde, sur les contours du diocèse. Cette position d'encerclement peut sans doute s'expliquer de plusieurs manières….En effet, quatre abbayes sont d'abord fondées, grossièrement en coïncidence avec les quatre points cardinaux. Deux autres y sont ajoutées, plus ou moins en intermédiaires, et c'est à ce moment que l'on choisit d'implanter une nouvelle abbaye en plein centre du territoire à encadrer. » CR

Que ces territoires puissent s’apparenter à ceux que délimitent les meutes de loups (Voir Traces 10) , le vocabulaire employé même y fait songer : « Quel que soit le rôle dévolu aux abbayes au moment de leur implantation dans le diocèse, dans la deuxième moitié du XIIe siècle, il existe deux cas où l'on est pratiquement sûr que les établissements servent de marqueur territorial. »CR

Nous avons souvent évoqué ici les clairières (Traces 37 et 38), et c’est souvent le cas : « Placés à l'extrémité septentrionale de la forêt de Saint-Palais, les bâtiments abbatiaux semblent construits dans une clairière ménagée dans cette forêt, et aujourd'hui ouverte sur l'extérieur. »CR

Très souvent, pour répondre plus à un souci d’économie qu’à un vœu de solitude, ce sont des terres de peu de valeur qui ont été choisies : « S'implantant dans une région en grande partie occupée, … les Cisterciens ont dû souvent se contenter des terres disponibles, celles qui comprenaient des terrains de parcours, des forêts ou qui par leurs conditions géographiques constituaient alors un obstacle à la mise en valeur. » RL

Par exemple: « … une vallée encaissée aux versants abrupts et boisés, appelée dans la région cirque ou reculée : site sans doute pittoresque mais qui avait rebuté les populations de l'époque qui avaient baptisé ce bout du monde « la vallée des Hiboux » et que les Cisterciens transformèrent …. en Grâce-Dieu. »RL

L’implantation à un confluent semble privilégiée, et tous les auteurs le signalent : « Du panorama rapide qui vient d’être dressé sur les implantations monastiques entre le IVe siècle et la période carolingienne se dégage une tendance à privilégier les sites de bord de rivière, et notamment les sites de confluence. »GR Ou bien : « Nous avons pu définir précédemment que le site de confluence pouvait avoir offert aux moines du haut Moyen Âge un lieu favorable à leur installation. Aux XIIe et XIIIe siècles, les cisterciens ont aussi amplement retenu cette possibilité. …il apparaît possible d’envisager que plus d’un tiers des monastères soient mis en place dans un site de confluence. » GR Ces situations en presqu’île pouvaient fournir une aide pour défendre les sites, et ces visées stratégiques ne sont pas à dédaigner, mais avaient aussi un grand intérêt du point de vue de l’utilisation de la force motrice de l’eau… Ce qui nous amène maintenant à comprendre quel rapport à l’eau a été à l’œuvre lors de tels choix.

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Un rapport à l’eau très présent, dans l’implantation, mais aussi dans les usages et techniques :

« Le choix du site de toute abbaye cistercienne doit tenir compte des possibilités de ravitaillement en eau car « avant même de bâtir un monastère [...], les Cisterciens ont dit aménager les sites de leur implantation pérenne. Leur premier souci fut l’eau.» VS Dans le Sud, cela s’est manifesté par la construction de citernes :

« À Fontfroide, une citerne de 19 mètres sur 5,5 recueille l’eau de pluie tombée sur les 1300 mètres carrés de toiture et sert de réservoir à la « Fons frígida » qui sourd dans cette cavité naturelle. » VS

Dans sa thèse, Gilles Rollier s’est plus particulièrement intéressé à l’hydraulique, prenant l’exemple de Cluny, abbaye richement dotée qui saura utiliser tout un arsenal de techniques hydrauliques, la plupart fort anciennes , ainsi que mettre à son profit la puissance des moulins de la vallée de la Grosne : « Les études cisterciennes mettent en avant une observation simple et essentielle : pour leurs fondations, les cisterciens ont délibérément cherché des lieux suffisamment pourvus en eau qui permettent de satisfaire leurs besoins hydrauliques et proto-industriels.» GR

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La recherche de matériaux de construction locaux :

Exemples : « Pour les monastères cisterciens qui vivent en relative autarcie, l'usage des carreaux d'argile plutôt que de dallages en pierre ou en marbre s'impose. »Wik.

« Une typologie des changements de site montre les qualités que les Cisterciens recherchent au XIIème siècle pour implanter leurs abbayes. Le site « idéal » apparaît tantôt comme le fond d’un vallon plat, entouré de bois, avec une rivière active, tantôt comme le bord d’un ruisseau en lisière de forêt, mais globalement comme un terrain plutôt plat où l’eau courante est présente. » VS

La présence de la forêt dans ce dernier document n’est pas gratuite : le bois était nécessaire, ne serait-ce que pour la construction des premiers logements … : « Cluny est également riche en matériaux de construction. Dans les environs immédiats de l’abbaye se trouvent d’importants bancs de grès et de calcaires…. Certains calcaires sont par leur pureté très bien adaptés à la calcination. La découverte de deux importants fours à chaux pouvant dater de la première moitié du Xe siècle pourrait corroborer cet intérêt de pouvoir construire à une courte distance des lieux d’approvisionnement. Les constructeurs des bâtiments les plus anciens du site abbatial ne semblent pas non plus avoir négligé les calcaires marneux composant une partie des collines de Cluny. Les forêts de la région peuvent fournir facilement du bois d’œuvre. Elles sont signalées très régulièrement dans les chartes. »GR

Le prochain texte abordera donc le rapport à la forêt, celui au travail manuel, celui aux bastides, ainsi bien sûr qu’un bilan des leçons à tirer de cette exploration d’un monde englouti.

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