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Billet de blog 26 décembre 2024

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Trace 68-Thélèmes 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous poursuivons ici une exploration des ordres monacaux, vus comme utopies :

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Un rapport à la forêt ambigu :

Cet appel, pour bâtir, aux ressources de la forêt, fait surgir la figure du moine défricheur, coupable, ou simplement responsable, de la très forte disparition des forêts primaires de la Gaule, en deux siècles.

Qu’il y ait eu dans cette volonté de défrichage l’idée de s’en prendre aussi à un certain paganisme, c’est possible : « Les prieurés que nous étudions se sont implantés sur un territoire façonné par la période charnière du Haut Moyen Âge (Ve-Xe siècle)….. Ces pasteurs, souvent originaires de nobles familles gallo-romaines partagèrent les préjugés de leur milieu à l’encontre des Barbares silvaticii, au paganisme suspect de liens avec des divinités forestières. »PD

C’est une démographie en plein essor, qui a nécessité, et facilité aussi, cette conquête des espaces forestiers.

Démographie en partie héritée de la loi Gombette, en 501, qui est un tournant majeur dans cette histoire du haut moyen-âge : « Maints auteurs ont souligné la sagesse de la loi Gombette du roi Gondebaud, promulguée en 501 ou 502 et complétée par ses successeurs Sigismond et Godomar III. Ce qu’on a loué à juste titre, c’est la volonté de faire cohabiter pacifiquement des personnes issues de peuples différents, aux coutumes et législations antérieures peu compatibles. »PD .Une façon d’organiser une forme d’interculturalité ?  (Traces 47)

Reste que dans beaucoup de cas, les chartes font état de cession aux monastères de territoires déjà défrichés : « Dans le domaine précis qui nous intéresse dans ce chapitre, il n’est jamais question de saltus, c’est-à-dire de cette nature pleinement sauvage qui n’est exploitable ni par les chasseurs, ni par les boisilleurs. »PD

Et quand ils ont défriché, c’est le plus souvent en exploitant le travail de nombreux serfs :

« On trouve dans 63 chartes la mention de transfert, avec ou sans autre bien, de serfs, et/ou familles de serfs…. Femmes et enfants, qui les accompagnent, font également partie de la force de travail de l’ensemble « moines et familia ». » PD  Une forme d’esclavage organisé donc, au service de fins économiques, où la forêt peut tenir un rôle,  pas forcément central : « Mais défricher n'est pas leur objectif premier, il est un moyen parmi d'autres de s'établir là où il y a encore de la place pour y mener une politique d'autarcie économique. Ils sont ainsi pionniers dans l'élaboration au XIII° siècle de règlements d'exploitation forestière. En effet, la forêt permet de s'approvisionner en bois de chauffage et de construction, en fruits et racines de toutes sortes. Les Cisterciens débroussaillent et rationalisent la coupe et la pousse des espèces. Par exemple, les chênes produisent des glands et permettent de faire paître les cochons » Wik.

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Une organisation du travail très « flexible », de l’éloge du travail manuel à l’esclavagisme.

« …l'ordre cistercien promeut ascétisme, rigueur liturgique et érige, dans une certaine mesure, le travail comme une valeur cardinale, ainsi que le prouve son patrimoine technique, artistique et architectural. » Wik.

 « …cette charte des premiers cisterciens qu'est le Petit Exorde de Cîteaux définit le moine, par opposition à celui qui touche des dîmes, comme celui qui possède des terres et en tire sa subsistance par son propre travail et celui de son bétail. »Wik.

Si la règle d’origine imposait donc aux moines de travailler, exaltant les vertus du travail manuel, très vite les moines cisterciens ont su utiliser la main d’œuvre gratuite, sous forme de serfs, et de leurs familles, que leur attribuaient les chartes. « Naturellement les Cisterciens s'ingénient à améliorer sans cesse le résultat de leur travail, et comme par ailleurs ils jouissent de facilités que n'ont pas toujours les autres paysans de l'époque (main-d'œuvre et capitaux pour réaliser de grands travaux de drainage et d'irrigation, liberté de circulation, possibilité d'avoir des dépôts de vente dans les grandes villes, de construire routes et fortifications, etc.) ils acquièrent assez vite une grande maîtrise technique et technologique, ce qui est pour beaucoup dans leurs succès économiques du XII° siècle » Wik..

« Pour exécuter l’ensemble de ce programme d’aménagement, il fallait aux moines et chanoines des

prérogatives de propriétaires ou seigneurs…. Nous verrons comment les supérieurs des prieurés ont composé avec, ou profité du système féodal dont ils faisaient, nolens, volens, partie intégrante. Plus que jamais cette approche nous éclairera sur la façon dont les frères et confrères ont été « dans le monde », tout en voulant être « hors du monde ».GR

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Une organisation en plan reflétant une ségrégation sociale, et une hiérarchie pyramidale :

La diagonale séparant au Thoronet les activités spirituelles, et les moines, d’un côté, et de l’autre les convers, les tâches domestiques, et les lieux « sales », même si elle est rationnelle, reflète de bien tristes préjugés.

Les plans des diverses abbayes, mono-centriques, et reflétant eux aussi une forme d’organisation fortement hiérarchisée, ont inspiré tous les délires panoptiques, et nous pouvons nous incliner  devant la beauté d’une architecture, sans respecter pour autant les principes humains qui ont gouverné sa création.

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Un rapport avec la création de villages.

Entre construire une abbaye, avec plusieurs centaines de moines, ou construire un village, comme les bastides, il y a une proximité de buts, et aussi de moyens, qui rapproche ces deux entreprises. De fait : « Très souvent, les anciennes fondations monastiques sont à l’origine de la création de bourgs dont le tissu urbain a, par strates successives, masqué la première topographie. »GR

Mais aussi : « … par la densité de population qu’induit la vie en communauté au Moyen Âge, une abbaye s’apparente au tissu urbain avec, en plus, un souci prononcé d’organiser méthodiquement l’espace conventuel en lien avec l’aspect spirituel du lieu. » VS

« Il conviendrait d’élargir cette étude par l’analyse des systèmes d’adduction et d’assainissement des bastides méridionales, qu’elles soient d’origine cistercienne ou non, qui sont contemporaines ou légèrement postérieures à la plupart des fondations d’abbayes cisterciennes : créées de toutes pièces, elles représentent un premier essai d’organisation méthodique de l’espace urbain dans le Midi. Une telle étude montrerait peut-être que la question de la salubrité et de l’assainissement se pose pour une bastide dans les mêmes termes que pour une abbaye et pour les mêmes raisons : un site à choisir, une concentration d’hommes importante, un parcellaire organisé.» VS

La création des granges cisterciennes participe elle aussi à ce mouvement de peuplement et leur structure géographique en réseau est intéressante : « Les Cisterciens n'inventent pas la rotation biennale, l'assolement triennal ou l'outillage agricole, mais savent, en observant les pratiques paysannes, créer de véritables fermes modèles : les granges cisterciennes. Il s'agit de domaines ruraux cohérents avec bâtiments d'exploitation et d'habitation regroupant des équipes de convers spécialisés dans une tâche et dépendants d'une abbaye mère. Les granges ne doivent pas être situées à plus d'une journée de marche de l'abbaye et la distance qui les sépare les unes des autres est d'au moins deux lieues (une dizaine de kilomètres) ».Wik.

« Ces granges, parfois très importantes (des centaines d'hectares de terres, prés, bois), rassemblent près d'un million d'hectares. Ce système d'exploitation connaît aussitôt un succès énorme. Un siècle après la fondation de Cîteaux, l'ordre compte plus de mille abbayes, plus de six mille granges réparties dans toute l'Europe et jusqu'en Palestine. » Wik.

Une multinationale, vous disais-je …

Ce que nous retiendrons de ce voyage dans le passé :

Il est évidemment hors de question de créer quelque ordre monastique que ce soit, ni de revivre comme au XII° siècle... Ce qui a guidé ces lectures : une attention à la stratégie  (au sens fort) d’implantation, aux paysages, aux rivières et aux forêts, l’organisation d’implantations « filles », telles les nouvelles abbayes, accompagnées des « granges cisterciennes », pour obtenir un maillage assez dense, capable de répondre à des temps où de nouveau, les déplacements prendront temps et énergie,…et un vrai retour au travail manuel, cette fois sans esclaves, ni maîtres !

Sans oublier la loi Gombette !

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