Rappel : Le projet, ici n’est pas une tentative de plus pour accommoder, plus ou moins écologiquement, l’Europe à un réchauffement inéluctable et destructeur. Il s’agit de faire de cette Europe une Europe accueillante, pouvant matériellement accueillir les millions de réfugiés climatiques d’ores et déjà prévisibles, et donc, se devant de le faire. Plus que d’aménagement, c’est de déménagements qu’il s’agit, et possiblement massifs.
Comme dans les précédents chapitres, pour débarrasser la couche d’habitudes que le XXème siècle a laissé se déposer sur notre vision, nous remonterons au plus lointain passé : ce sont bien les migrations qui ont peuplé la planète d’hommes.
Luigi Luca Cavalli Sforza, généticien génois, a inventé, avec la géographie génétique, un outil permettant de comprendre et dater les différentes vagues d’émigration qui, à partir de l’Afrique, ont peuplé le monde.
Y font référence aussi bien les publications qui seront citées ici de Brissaud et Chaline : Fractalité et histoire migratoire (2012) que le livre « Atlante delle migrazioni », de Giovanna Ceccarelli.
Nous sommes donc tous des africains émigrés :
« De son origine africaine encore non identifiée localement, l’espèce a proliféré. Selon les anthropologues, les hommes auraient été moins de 80 000 il y a 100 000 ans, pour être quelques millions il y a 10 000 ans et arriver à 7 milliards aujourd’hui, avec une prévision à devenir plus de 9 milliards, vers 2050. » BC
« Le but des travaux de L. Cavalli-Sforza était d’établir, à partir de ces variations qui servent
de traceurs, les migrations des hommes modernes, soit depuis leur zone d’origine à l’intérieur de
l’Afrique, soit depuis leur sortie d’Afrique jusque dans les territoires les plus éloignés du monde. »BC
Selon une première interprétation :
« Il y aurait eu deux grandes vagues de migrations hors d’Afrique complétées par des migrations
entre l’Asie et l’Europe :
- une première migration, effectuée il y a environ –100 000 ans, a gagné la Méditerranée et s’est étendue jusqu’à la Grèce à l’Ouest et jusqu’à l’Inde vers l’Est. Les témoins en sont des fossiles en Israël datés à –92 000 ans (Qafzeh) et jusqu’aux Indes vers –80 000 ans. Le succès de cette
migration semble avoir été relativement limité, puisque aucun autre fossile plus éloigné n’a
encore été identifié. . . ;
- une seconde migration hors d’Afrique se situe il y environ –60 000 ans. Elle a atteint L’Europe et l’Asie du Sud-est. Comme les hommes de l’époque n’avaient aucune connaissance des territoires qu’ils découvraient, ils suivaient en général des points de repères aisés, les rivières, fleuves et bords de côtes, les montagnes. Cette vaste migration a certainement impliqué, vers le Nord, une route suivant le Nil et remontant la Palestine. Vers l’Est, les déplacements de populations ont impliqué, soit une traversée de la Mer Rouge sur les premiers bateaux comme le suggèrent Torben et al. (2008), soit un suivi le long des côtes, prolongée par un passage le long de l’Océan indien jusqu’en Chine, atteinte vers –60 000 ans. Ensuite les hommes ont gagné Bornéo, sans doute avec des bateaux (Niah cave, avant –45 000 ans) pour arriver enfin jusqu’en Australie (Lake Mungo 3 avant –46 000 ans/–40 000 ans) ;
- il y aurait eu, ultérieurement, au moins trois vagues de migrations préhistoriques vers l’Europe.
La première vers – 40 000 ans (Aurignacien), la deuxième vers –22 000 ans (Gravettien).
D’après les données du chromosome Y, 80 % des Européens auraient une origine Paléolithique moyenne et supérieure. Enfin à –9000 ans (Néolithique), une troisième migration provenant du Moyen-Orient serait à l’origine des autres 20 % des Européens. » BC
Et nous sommes, ou devrions être porteurs de la même curiosité pour l’inconnu qui a poussé nos ancêtres à migrer, et qui devrait nous pousser à vouloir connaître le migrant qui vient.
« On s’est interrogé sur les causes de ces migrations. Plusieurs facteurs ont dû intervenir. Tout d’abord il faut avoir en tête que les premiers hommes modernes africains n’avaient pas de cartes. Ils ne savaient pas qu’ils se trouvaient sur un continent que l’on a appelé ensuite l’Afrique. Ils connaissaient un certain environnement, sur une certaine distance, comme celle des chasseurs-cueilleurs traditionnels qui peuvent se déplacer à une centaine de kilomètres autour de leur campement à condition qu’ils aient des repères pour se retrouver.
Ces grands repères, rencontrésdans leurs prospections de chasse, étaient les rivières, les montagnes, des paysages remarquables, et les bords des côtes. La cause des migrations de petites populations (clans ?) peut être multiple.
Il peut s’agir d’un changement climatique local comme la désertification accentuée (par exemple la désertification sahélienne récente, due d’ailleurs en partie à l’homme), ou l’arrivée de catastrophes naturelles comme le débordement d’oueds lors de pluies d’orage intenses. . . Il peut s’agir aussi de la recherche de zones plus riches en gibier pour nourrir le groupe, car son effectif aurait augmenté. C’est cette augmentation démographique qui a sans doute joué un rôle majeur dans les déplacements de populations, mais il faut y ajouter aussi le goût de la découverte de l’inconnu, qui pousse toujours l’homme à vouloir chercher « mieux » ailleurs. »BC
« En somme, l’humanité actuelle appartient à une unique espèce africaine génétiquement homogène et relativement récente, qui jusqu’il y a quelques milliers d’années a vécu ensemble avec d’autres formes humaines, pour finalement les absorber, se mélangeant et se transformant somatiquement , en relation aux contingences et conditions de l’environnement, se diversifiant dans les différentes variétés qui peuplent aujourd’hui la planète, mais sans quitter une appartenance unique à l’espèce, ce qui exclut toute différenciation raciale impossible. Mais à la fin, la condamnation de l’autre, du différent, de l’étranger à une condition d’exclusion perpétuelle est seulement le paravent que nous interposons devant la terreur de nous reconnaître en eux, dans leur marginalisation. De la peur de reconnaître, dans leur déracinement, l’autre face de notre présumée certitude d’appartenance, et la prophétie d’un futur incertain pour tous, privé de tout ce qui pourrait nous rassurer ou nous servir de repère immuable, et exposé à des changements soudains et imprévisibles. » GC
Nous fûmes tous migrants, il y a cent mille ans. Et beaucoup d’entre nous autres, animaux humains, le seront bientôt, ou le sont déjà. L’humanité s’est construite ainsi, dans les voyages. Pour survivre ensemble, il nous faut admettre de nouveau les voyages. C’est aussi le seul moyen de sauvegarder en nous l’humanité, vue cette fois comme capacité à la compassion. Car, pendant que nous regardons ailleurs, les noyades continuent : https://www.sosmediterranee.fr/