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Billet de blog 27 décembre 2024

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Trace 70-Décroissance 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« D'une façon différente que par le passé, l'homme devra revenir à l'idée que son existence est un don gratuit du soleil. » Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy Law and the Economic Process

Ainsi s’achève la thèse d’Anthony Horrie : « Analyse de la notion de Décroissance sous l’angle de la théorie d’Économie Générale de Georges Bataille » (2019)

« Comme énoncé en introduction, ce travail aura notamment eu pour objet, au travers de l'interrogation sur la notion de décroissance, de mener une réflexion sur la question de l'économie dans son ensemble. »AH

Un choix crucial entre deux mondes, voilà comme le présente Horrie :

« En effet, pour appréhender la notion de décroissance, il nous aura fallu faire constamment état des deux mondes qui, selon nous, demeureront à jamais irréconciliables. Celui du savoir et celui du non-savoir. Celui de la discontinuité et celui de la continuité. Celui de l'acquisition et celui de la dépense. Celui de l'interdit et celui de la transgression. Celui de la transcendance et celui de l'immanence. Enfin, celui du temps (du primat de l'avenir sur le présent) et celui de l'instant. Tout en ayant eu de cesse de souligner que tout ce qui a trait au premier de ces deux mondes renverrait au profane et que tout ce qui a trait au second renverrait au sacré. En parallèle, le fait d'avoir pu introduire la question de la thermodynamique (du fait de la mise en perspective de l'approche de Bataille (1897-1962) avec celle de Georgescu-Roegen (1906-1994)) nous a permis de rapprocher (et même de faire découler) tout ce qui a trait au profane (qu'il s'agisse de l'acquisition, de l'interdit, du primat de l'avenir sur le présent et, même, en fin de compte, du savoir, de la discontinuité et de la transcendance) de tout ce qui touche à l'emploi utile de l'énergie (et/ou, plus généralement, de la basse entropie). »AH

Et là perce l’auteur de la « Part maudite »  (1949) :

« En ce sens, tout l'enjeu serait donc de savoir ne pas s'en tenir à cette logique de croissance. Soit, d'avoir la « sagesse » à un  moment donné d'y échapper, d'y faire défaut, de s'y soustraire. Cela : au travers de dépenses improductives. À cet égard, on a pu voir que tout ce qui pouvait nous faire passer d'une logique de « production/consommation » à celle – pour le moins alogique – de consumation était la transgression. »AH

Où l’on voit que cette question de décroissance est bien davantage qu’organiser une retraite en bon ordre, pour éviter une déroute, ce que suggérerait par exemple le déclin, pour ne pas dire la chute, du transport aérien depuis un an : il s’agit de choix fondamentaux, pouvant nous conduire vers des solutions « hardies » , comme celles qu’envisageaient Bataille, ou bien Georgescu- Roegen, et qui vont dans le sens de ce que nous recherchons ici, depuis un an :« C'est alors que, sur le plan des questions qui lui incombe, des solutions « hardies » pourraient émerger. En ce sens, c'est sans doute parce que Bataille adopta cette vision générale de l'économie qu'il put, par exemple, en arriver à cette idée que ce soient les excédents de production d'une économie comme celle des États-Unis d'Amérique qui puissent répondre à la pauvreté d'un pays comme celui l'Inde. De son côté, c'est sans doute conformément à sa vision du processus économique que Georgescu-Roegen put, par exemple, en arriver à émettre des idées comme celle de liberté de résidence des citoyens de notre « seule terre » . Suggérer une telle idée pourrait sembler faire preuve d’un certain angélisme. Sauf que cette proposition émane de quelqu'un qui, souscrivant en même temps pleinement à la vision héraclitéenne selon laquelle « Le conflit est bien le père et le roi de toutes choses » , aura notamment bel et bien soutenu l'idée de l'irréductibilité d'un conflit social au niveau des sociétés humaines...

Maintenant, sans présumer du fait que les orientations georgescu-roegeniennes pourraient être rapprochées de celles qu'auraient pu développer Bataille s'il s'y était attaché, ces sortes de solutions « hardies » ne devraient-elles pas néanmoins pouvoir être envisagées comme des exemples concrets de mesures propres à une « économie générale de décroissance » ? Dans tous les cas, on retiendra ceci qui, dans le cadre de ce travail, sera le plus important : La perspective d'une « économie générale de décroissance » représenterait une opportunité, et pour la vie profane, et pour la vie sacrée. » » AH

Cette vision générale, retrouvant le sens véritable du mot économie, confisqué par les économistes, est celle que tente de retrouver un des penseurs de la décroissance : Fabrice Flipo, par ailleurs directeur de la thèse précédente. Dans « Galaxie décroissante », il dresse l’histoire et le bilan  de ce mode de pensée, depuis Georgescu-Roegen jusqu’à aujourd’hui : « Dans les années 1970, cependant, quelques chercheurs hétérodoxes et que la clairvoyance n’effrayait pas (Illich, Georgescu-Roegen, Ellul, Partant, Castoriadis...) se sont dressés contre cette dictature de l’économisme et ont jeté les bases d’une pensée de la décroissance. Pensée dérangeante s’il en est. »FF

Quand le scandale est bien la destruction de la planète, la décroissance est encore le mot tabou, qu’aucun responsable politique ne revendique ouvertement : « La décroissance met les pieds dans le plat, comme le rapport du MIT au Club de Rome avant elle. Alors que la croissance est invoquée partout comme la solution à tous les problèmes, du Nord comme du Sud, un véritable sésame universel, elle affirme une conclusion scandaleuse et pourtant parfaitement fondée, à savoir d’une part que la croissance n’a pas d’avenir puisqu’elle ne résout pas le problème écologique, et d’autre part qu’elle n’a pas l’universalité qu’on lui prête./…/

La gamme, très large, des opposants de gauche à la décroissance donne une idée de l’importance politique et théorique des problèmes que ce terme soulève sur le plan conceptuel et politique. L’idée de décroissance est insupportable à tous ceux et toutes celles qui voient dans la médiation marchande le lien social par excellence, qu’on se fonde sur le contrat ou sur la planification. »FF

Pour y voir plus clair, entre ceux qui se réclament du même concept, mais avec des visées diverses :

« Au-delà de la tempête qui agite les esprits, nous pensons qu’il est possible de caractériser la décroissance comme se situant à la confluence de quatre sources qui se croisent sans être forcément concourantes ni même convergentes.

La première est la source culturaliste. Issue de l’anthropologie, emmenée par Serge Latouche, marxiste reconverti, sa thèse principale est que l’homo oeconomicus est contingent, dépendant de sa représentation du monde et de l’histoire. Si l’on veut ouvrir de nouvelles perspectives, il est nécessaire de réinventer ou de redécouvrir notre nature.

La source démocratique est issue des analyses d’Ivan Illich. Composante majeure de l’approche de Vincent Cheynet, elle s’appuie sur l’effondrement des liens sous le poids de la marchandisation. Dès

lors ce qui compte est de revitaliser les liens, ce qui passe par une relocalisation qui n’est pas un retour au bon vieux temps des villages, dont on sait qu’il n’était pas toujours si bon que ça.

La troisième source est écologiste, elle est attachée aux écosystèmes et au respect du vivant. Pour cette tendance, la décroissance est la conséquence inévitable de toute politique écologique prise au sérieux.

La dernière source peut être dite « bioéconomiste ». C’est une source ancienne, comme les autres du reste, mais quelques auteurs sont considérés comme ayant remis la question à l’ordre du jour. Si l’écologie part du vivant, la bio-économie parle d’organisation humaine ayant à gérer des contraintes telles que les limites des écosystèmes (« capacité de charge ») et le caractère épuisable de certaines ressources.

Les quatre approches conduisent de manière relativement indépendante à la conclusion que la décroissance est l’un des éléments incontournables d’un avenir meilleur. »FF

Nous pouvons retirer de ces lectures, vues comme une première visite de la « galaxie », pour reprendre le terme de Flipo, l’idée que ces choses-là sont trop essentielles pour être confiées, ou encore moins abandonnées à des gouvernements quel qu’ils soient, et que c’est bien sur un refus à la base, sur une « objection » qu’il nous faut désormais compter, et le plus tôt sera le mieux. Il ne s’agit pas de subir, ni même de  moduler des capacités de production, il s’agit de s’opposer à un certain nombre de consommations, pour être encore plus simple…

Ce n’est pas pour rien que l’ouvrage sur Pierre Kropotkine : « Kropotkine et l’économie par l’entraide », de Renaud Garcia est sorti dans la  (très riche  collection « Précurseurs de la décroissance ». Nous ferons un peu plus connaissance avec Kropotkine au prochain numéro !

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