Elle est plus que jamais actuelle, cette recherche : bâtir une Europe accueillante et décarbonée, dans un monde en plein changement climatique, et destruction du vivant : guerre et rapport du GIEC nous en rappellent l’ardente nécessité. Ce n’est pas le moment de renoncer à appliquer les résolutions des COP 21 à 26 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/03/25/la-guerre-en-ukraine-risque-t-elle-de-freiner-la-lutte-contre-le-dereglement-climatique_6119051_3244.html
La forme prise ici est celle d’un puzzle transdisciplinaire. Assembler les premières pièces de ce puzzle de 1000 pièces, prenant conscience des liens qui se nouent entre les 128 premières, les regroupant, faisant apercevoir un coquelicot dans le vert du pré, un cumulus dans l’azur du ciel … avant que se dessine le paysage dans son entier , voilà le but des deux prochaines synthèses. Nous espérons qu’à travers tant de thématiques se dessine une forme de cohérence, même si chacun reste libre d’associer les pièces du puzzle à son gré…faisant de ce tas une construction.
- Forêts 5
Habiter les forêts, comme seul moyen de les sauver ? L’exemple des Pygmées de la Trace 85, des Indiens de la Trace 86 est probant. Les ermites du livre de Peskov : « Ermites dans la taïga ». (1992) sont un exemple extrême, mais montrant une capacité extraordinaire de survie basée sur une vraie intimité avec la vie végétale et animale de la taïga : « La taïga ne leur rend pas la vie douce. Cependant, exception faite du sel, elle a su leur donner tout ce que la survie requiert. »VP
- Forêts 6
Lectures liées à celle d’Anna Tsing des Traces 99 et 100, que celles de Jean Baptiste Vidalou : « Etre forêts- Habiter des territoires en lutte » (2017), déjà rencontré Trace 95 : « Nous tâchons d’être forêts. Comme une force qui grandit, tige par tige, racine par racine, feuille par feuille. Jusqu’aux cimes, débordantes, entre ciel et terre, devenir ingouvernables. » BV
- Barons perchés
Il s’agit d’une exploration d’arbre en arbre de la continuité du couvert sur tout l’Apennin, de Lucca à Roma… rendant hommage au passage à ceux qui, en grimpant eux-aussi à des arbres, se sont dressés contre l’exigence de « fluidification » de la ressource forestière, décrite par Baptiste Vidalou (Traces 106), et Anna Tsing (Traces 99 et 100). Dans les régions visitées abondent les villages abandonnés, dont il fut question Trace 44. L’homogénéité des paysages traversés rappelle également les bio-régions chères à Alberto Magnaghi (Trace 46).
- Barons perchés
Un parcours perché, cette fois de Cluny à Minerve, passant des riches pâturages bordés de haies vers les forêts du Beaujolais vert, puis après Saint Etienne, vers celles du col de la République, et l’Ardèche. Là dominent les châtaigniers, sur les terrasses évoquées Trace 95, quand ne les ont pas supplantés les plantations de résineux, douglas notamment (Trace 55). Passant à Tarare nous nous sommes souvenu des textes de Kropotkine (Trace 71) sur une économie mixte entre agriculture et industrie.
- Transports 1
Une fois intégrée la nécessité de la lenteur (Traces 29,30, 89 et 90), se déplacer reste cependant une difficulté dans un monde supposé sans carburant fossile, et où la voiture électrique ne sera pas la solution attendue. Si les bio-régions, évoquées Traces 45 et 46, ont atteint d’ici là une forme d’autonomie, cela devrait permettre une nette diminution des transports de biens, et aussi des personnes. Dès lors, les autoroutes, les parkings, les supermarchés, deviennent des lieux à réaffecter différemment, des sols à retrouver, et à faire revivre.
- Transports 2
L’organisation des chaînes d’approvisionnement a été évoquée Trace 100, avec Anna Tsing. Ces chaînes engendrent aujourd’hui des dégâts monumentaux, environnementaux, mais aussi humains, dissimulant aux consommateurs l’exploitation en état d’esclavage, de ceux qui fabriquent au loin ce que nous utilisons tous les jours. Réduire ces flux, les envisager avec des navires à voiles, non comme autrefois, mais bénéficiant, comme les navigateurs des régates transocéaniques, de prévisions météorologiques précises, paraît possible. De même pour les transports aériens, qui, réduits au minimum nécessaire, pourraient être assumés par des avions fonctionnant à l’énergie solaire. Rêvons un peu…
- Attention 1
Nous retrouvons Matthew Crawford, déjà vu Traces 15, qui nous invite ici à une véritable mystique de l’attention, comme celle qu’évoque Simone Weil, que nous reverrons Trace 126 : « Il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chair ne répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que la chair. C’est pourquoi, toutes les fois qu’on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi. » SW
« Contre la tentation de transformer le monde en une entité idéale, la nature érotique de l’attention suggère que nous pouvons nous orienter sélectivement en aimant le monde tel qu’il est et communier avec lui. » MBC
- Attention 2
Yves Citton, dans « Pour une écologie de l’attention » (2014-2021) distingue :
« Pour l’ECOLOGIE GESTIONNAIRE, les préoccupations environnementales consistent à économiser nos ressources afin de produire de façon plus soutenable les modes de vie qui ont fait notre bonheur depuis le décollement du développement industriel.
Pour l’ECOLOGIE RADICALE, c’est seulement à partir d’alternatives collectives concrètes que d’autres formes de vie doivent émerger de façon à revaloriser les liens qui nous attachent les uns aux autres ainsi qu’à notre environnement, ce qui implique de combattre nos addictions actuelles aux fétiches de la croissance. » YC
Nous y sommes.
- Histoire profonde 1
Le blé, sa relation avec le pouvoir étatique, tel est le thème de « Homo domesticus – Une histoire profonde des premiers états » (2019), de J.C. Scott. Le blé, redevenu depuis un mois un objet de spéculation, suite à la guerre entre Russie et Ukraine, deux pays à l’origine de 30% du total exporté. Scott, quant à lui, conclut : « Je souhaite contester le préjugé rarement analysé selon lequel la concentration de la population au cœur des centres étatiques constituerait une grande conquête de la civilisation, tandis que la décentralisation à travers des unités politiques de taille inférieure traduirait une rupture ou un échec politique. »JCS
114 et 115. Histoire profonde 2
Revoir tous les présupposés, comme déjà fait Trace 42 avec Vinciane Despret, Traces 55, 65 et 66 avec Elinor Ostrom, et Trace 21 avec Sarah Vanuxem , c’est ce que font David Graeber et David Wengrow dans « Au commencement était… » (2021). Ils s’appuient sur le jugement des intellectuels indiens sur notre propre société : « Le chapitre XXXI des Essais de Montaigne semble être le premier témoignage d’un intérêt pour le point de vue des indigènes américains. On y voit des visiteurs tupinambas remettre en question l’arbitraire de l’autorité royale et se demander pourquoi les sans-logis n’incendient pas les châteaux des riches. » DGDW
Pour remettre en question la propriété privée elle-même : « Souligner ce parallèle entre propriété privée et sacré, tous deux prioritairement des structures d’exclusion, permet de mieux comprendre ce que la pensée sociale européenne a d’étrange du point de vue historique : contrairement aux sociétés libres, nous avons fait de la qualité absolue, sacrée, de la propriété privée le paradigme de l’ensemble des droits et libertés humains. » DGDW
La civilisation n’est pas une, n’est pas née en un endroit, mais dans tant de lieux divers, dont l’Ukraine , vers -4500 av JC : « Beaucoup d’habitations –plus de mille – à Taljanky. Il s’agit de maisons rectangulaires en clayonnage et torchis, sur une charpente en bois et des fondations en pierre, avec un jardin attenant./…/ Les mégasites semblent avoir laissé une empreinte écologique étonnamment faible. » DGDW
Nous avons donc beaucoup à apprendre, y compris sur l’hospitalité où l’on retrouve le discours d’Elea Giraud (Trace 62).
- Hospitalité 1
Jacques Derrida cite Emanuel Kant : « Vers la paix perpétuelle » (1795) : « La communauté, s’étant de manière générale répandue parmi les peuples de la terre, est arrivée à un point tel que l’atteinte au droit en un seul lieu de la terre est ressentie en tous…Le droit à l’hospitalité est la condition absolue de la paix perpétuelle, dont il faut se rapprocher constamment. » EK. Vers la paix perpétuelle, que cela semble loin aujourd’hui ! Comme le rêve de Derrida : « Ce que je dis ici peut paraître insensé : il s’agit de penser des villes sans Etats, et pourtant des villes qui ne se comporteraient pas comme des Etats. » JD
- Hospitalité 2
Michel Agier, dans « L’étranger qui vient – repenser l’hospitalité », citant l’expérience de Riace (Trace 79), s’accorde avec Jacques Derrida sur la nécessité d’un droit des migrants, de tous les migrants,: « Du point de vue des migrants, tout au long des routes semées d’embûches les menant d’un pays à l’autre, le devoir d’hospitalité ne saurait durablement faire office de sauf-conduit. Seul un droit à l’hospitalité serait en mesure de répondre aux impasses de politiques migratoires discrétionnaires et aux errements criminels de marchandages diplomatiques./…/
Nous poursuivrons bientôt cette synthèse, allant de 118 à 129, des sols vivants aux pierres sauvages.