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Billet de blog 29 janvier 2025

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Trace 427-Synthèse 32

Nous continuons ici à faire retour sur les 24 dernières Traces, non sans marquer un arrêt devant une actualité  immédiate : ce n’est pas en vain que nous cherchons à imaginer ici une Europe accueillante : partout, les exilés servent de prétexte à l’instauration de régimes fascistes, qui nous submergent, et à qui il convient de tenter de couper l’herbe sous le pied.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous continuons ici à faire retour sur les 24 dernières Traces, non sans marquer un arrêt devant une actualité  immédiate : ce n’est pas en vain que nous cherchons à imaginer ici une Europe accueillante : partout, les exilés servent de prétexte à l’instauration de régimes fascistes, qui nous submergent, et à qui il convient de tenter de couper l’herbe sous le pied. Autre actualité : Mayotte où nous faisons escale le temps d’une Trace.

  1. MAYOTTE 1

Le cyclone Chido fournit hélas une illustration de quelques hypothèses de ce parcours :

Un – L’incapacité des structures étatiques à fournir une aide efficace dans un délai raisonnable

Deux – L’énorme énergie déployée efficacement pour la reconstruction des « bangas », ces maisons précaires des bidonvilles devrait nous faire réfléchir : comment faire en sorte d’appuyer cette énergie en fournissant des matériaux de construction de qualité, par exemple ? Je me souviens du « panier municipal » de matériaux offert aux habitants de Curitiba au Brésil par Jaime Lerner, dans les années 1980.

De fait, selon le témoignage de Cyrille Hanappe du 17 janvier : « Le quartier de Mahabourini a été entièrement reconstruit, presque en mieux. Les maisons se consolident et embellissent pour certaines, nombre d’entre elles se sont durcifiées, tout en laissant une place élargie à notre projet de cheminements et de réseaux qui va pouvoir mieux avancer. »

Trois – Face aux déjà impatientes proclamations des retailleaux en tous genres, qui rendraient presque l’immigration coupable de la catastrophe, le rappel que les mesures mêmes de démolition impulsées par les darmanins et autres, sans pouvoir véritablement offrir un relogement, ont contribué à créer une peur de l’Etat, qui aura pu aggraver le bilan en morts et blessés.

  1. CHARLES STEPANOFF 1 A 3

Lecture du livre de Charles Stépanoff : « ATTACHEMENTS – ENQUETE SUR NOS LIENS AU-DELA DE L’HUMAIN » (2024). La question, « Y A-T-IL UNE CORRELATION ENTRE NOS FAÇONS DE TRAITER L’ENVIRONNEMENT ET NOS ORGANISATIONS SOCIALES ET POLITIQUES ? » est abordée après deux parties où l’auteur pose des définitions claires : « Nous appellerons RESEAUX DENSES les attaches multifibres liant des populations urbaines avec leur milieu nourricier local. Nous désignerons sous le nom de RESEAUX ETALES les connexions simplifiées et distantes propres aux groupes humains dont l’essentiel de l’approvisionnement provient d’autres zones que leur propre habitat. »

Notre problème est d’être à la fois prédateurs et empathiques : « Il est périlleux l’équilibre à trouver entre empathie et prédation : d’un côté, animaux et plantes sont traités comme des ressources nécessaires à la vie humaine ; de l’autre, ils apparaissent comme des êtres qui ont leurs intérêts, leur volonté, leurs affects, avec lesquels doivent être menés des négociations et des échanges respectueux. »

On peut s’interroger avec l’auteur: « Comment est-on passé de coexistences intermittentes multi-agents à un idéal de domination absolue, pure et sans mélange dont l’homme est le seul agent ? Quelles sont les racines historiques et cosmologiques de cette forme de traitement du vivant, si singulière dans l’histoire humaine et pourtant si familière pour nous, les modernes ? »

Le résultat en est en tout cas une rupture de liens : « Le régime d’ « agriculture temporaire » en perpétuelle dynamique d’ensauvagement-défrichement produit de l’hétérogénéité écologique par la diversité de stades de régénération végétale, mais aussi de LA COMPLEXITE AFFECTIVE, UN RESEAU DENSE DE LIENS D’ATTACHEMENTS ET DE DEPENDANCES. »

L’exemple des mégasites ukrainiens, déjà évoqué ici Trace 137 entre autres, est éloquent : « Leurs habitants sont à la fois pasteurs, cultivateurs, chasseurs, cueilleurs, pêcheurs. Ils élèvent bovins et porcs et cultivent blé amidonnier, épeautre, orge, pois, lentilles et vesces dans des champs et des jardins enrichis en fumier à l’intérieur même des agglomérations. Mais ils collectent aussi les richesses de la forêt et des steppes avoisinantes qui constituent une part importante de leur alimentation : cornouiller, poire, abricot, prune, noisette, gland, herbes sauvages et, parmi les animaux, cerf, sanglier, cheval sauvage, chevreuil, poissons et mollusques. »

Une agriculture qui a produit un sol encore, hélas, convoité : « L’action conjuguée des humains et des lombrics a permis la formation d’une épaisse couche fertile. Cette agriculture produisait son propre sol devenu jusqu’à nos jours l’un des plus fertiles de la planète. » Cela vaut bien mieux que  laisser d’inutiles monuments.

On retrouve ici la richesse du sol, comme œuvre humaine, vue Trace 414 en Sabine par Pierre Toubert.

Stépanoff nous rassure : « Les effondrements d’empires nous semblent des phénomènes catastrophiques qui ne peuvent appartenir qu’à un passé reculé dans la nuit des siècles, mais ce n’est pas le cas. » Bonne nouvelle, vu ce qui se lève aux Etats-Unis en ce moment.

Que ferons-nous alors ?

La conclusion du livre est encourageante : « Les paysans qui ont constitué des villages libres et des communaux au début du moyen-âge et les chasseurs-éleveurs sibériens qui sont repartis en forêt après la faillite des sovkhozes nous montrent des cas de démondialisation dans lesquels des réseaux denses se sont revivifiés avec une étonnante rapidité. »

  1. BASTIDES 1 ET 2

Après avoir vu Trace 415 les seigneurs du Latium regrouper autour d’eux les paysans, on les voit ici se faire plus fondateurs de villes que protecteurs de leurs habitants. Mon histoire personnelle m’a fait me pencher sur « LA FONDATION DE SAUVETERRE-DE-GUYENNE (1281-1283) » de Jean-Paul Trabut-Cussac, qui conclut : « Voici donc enfin dégagé le véritable sens de la fondation de la bastide ou «population nouvelle » de Sauveterre. Aucun projet militaire ou stratégique n’est à la base de cette création née d’une initiative privée. Un territoire inculte a été par ce moyen livré à la charrue, DES CENTAINES DE PAUVRES GENS, SANS DROITS NI POSSIBILITES, LIVREES A L’ARBITRAIRE DE LEURS SEIGNEURS ET AUX DANGERS DES CAMPAGNES, ONT TROUVE LA TOUT A LA FOIS SOL A CULTIVER, LIBERTE ET PROTECTION.

Jacques Dubourg, historien amateur, présente dans une petite brochure : « LES BASTIDES DE L’ENTRE-DEUX-MERS » (2019).

Ce qui saute aux yeux de qui visite ces villes encore très vivantes plus de sept siècles après leur naissance, c’est la place, ce « lieu commun », comme nous l’avons appelé (Traces 158, 159, 284 à 286) : « Dans les bastides ces vastes espaces vont renaître. Ils vont jouer un rôle primordial tant du point de vue administratif avec la présence de la maison commune que pour l’économie avec leur halle et leurs ambans [sortes de galeries à arcades] ou comme lieu de rassemblement pour les festivités. » JD

Là aussi, le jardin potager est proche des maisons, puisque dans l’enceinte même : « Certaines cultures de leur jardin étaient imposées et il était précisé que « tout bourgeois établi dans l’honneur de Monségur qui aura une terre propre au jardinage est tenu d’y semer des poireaux, des choux, de l’ail, des oignons ; il doit aussi planter du vîme.» JD  [Le vîme est un osier, servant à lier la vigne]

Au jardin s’ajoute un terrain hors les murs : « En plus de leur jardin et d’une pièce de vigne ils pouvaient avoir autant de terrains qu’une paire de bœufs parvenait à cultiver en un an. »

L’autonomie alimentaire est la condition de l’autonomie politique, comme nous le reverrons bientôt avec la lecture de « Freedom farmers - Résistances agriculturelles noires aux Etats-Unis » de Monica M. White

Pour mener une comparaison entre les « incastellamenti » (Traces 413 à 415) du Latium vers l’an mille, et le phénomène des bastides, il y a certes des deux côtés une initiative d’urbanisation qui vient des « puissants », et n’a rien de spontané. Mais d’un côté, dans le Latium, elle s’adresse à des paysans qui avaient établi une forme de société, sans doute mieux adaptée aux ressources en eau et en terre que celle qu’ils durent instaurer dans les villages perchés, plus favorables à des conditions défensives. La structure en strates concentriques du village, autour du château, suffit à comprendre la prééminence du seigneur.

De l’autre, les bastides se sont adressées à des serfs, sans ressources, les établissant en bourgeois, dans une idée d’égalité et de démocratie. La structure du village, avec ses plots similaires, parle d’égalité, quand la place centrale suggère l’échange, de biens, et d’idées.

Dans les deux cas, ce sont des grands efforts humains, pour construire, et une grande ingéniosité pour le faire avec fort peu de moyens.

  1. EAU 13 ET 14

Il est des lectures réjouissantes, celle de « RENDRE L ‘EAU A LA TERRE » (2024), de Baptiste Morizot et Suzanne Husky, en fait partie.

Morizot essaie de nous convaincre que : « Les castors sont une puissance capable à elle seule de dépolluer les eaux, de remplir les nappes phréatiques, de lutter contre les sécheresses agricoles, de réduire les inondations, de maintenir les incendies à distance, d’accueillir une diversité vivante riche et active. »

Le castor crée de la complexité, des lisières (Traces 3, 37, 173) : « L’effet castor ne consiste pas simplement à ralentir l’eau, il fait quelque chose de plus subtil : il transforme des cours d’eau dont le type de flux dominant est l’accélération homogénéisée en tissages d’eaux rapides et d’eaux lentes.

Qu’est-ce qu’une rivière en bonne santé, et pourquoi les Kogis, en visite dans la Drôme, (Trace 203) n’y ont vu que rivières malades : « La plupart des milieux rivières en bonne santé avant qu’ils soient simplifiés par les usages humains étaient de style anabranche, c’est-à-dire dotés de chenaux multiples…En un certain sens, nos rivières sont des ruines, puisque le castor est un processus clé de voûte du fonctionnement de ces milieux,… nous croyons que ces ruines ont toujours été ainsi, comme ces fragments de temple grec que les enfants prennent pour des tas de pierre naturels. »

Nous vivons, et vivrons toujours plus, dans les ruines du capitalisme, pour reprendre les mots de l’anthropologue Anna Tsing. (Traces 99 et 100).

Nous devons changer de regard : « Comment transformer notre sensibilité esthétique pour apprendre à voir les architectures de castor comme des amplificateurs de vie, loin de nos préjugés architecturaux qui valorisent ce qui est ordonné, rangé, immuable, quand le castor enrichit la vie d’un milieu par une architecture du chaos régénératif, de la métamorphose et de l’éphémère ? »

Morizot a cette formule : « Un barrage castor est moins soigné qu’une construction humaine – mais bien plus soigneux. »

Il nous reste à retrouver la patience : « L’ingénieur moderne considère que le travail est fini une fois qu’il a posé la dernière pierre. Lorsqu’il a posé la dernière branche, le castor considère que le travail commence à peine. »

Et l’humilité : « Parce que la rivière dépasse notre entendement et nos mesures en complexité, variabilité, diversité de processus, il est pertinent de lui déléguer la prise de décision concernant le devenir de sa forme. »

Paraphrasant Hölderlin, Morizot conclut : « Là où croît le danger, à savoir le changement climatique et ses sécheresses, feux, inondations, croît aussi ce qui sauve, à savoir un changement massif et majeur du logiciel philosophique et pratique de l’Occident moderne à l’égard du monde vivant et non humain. » On aimerait le croire.

  1. ALDO LEOPOLD 1 ET 2

Mort en 1948, alors qu’il tentait d’aider un voisin à éteindre un feu de broussailles, Aldo Leopold a connu une forme de conversion, le faisant passer de chasseur à défenseur de la nature. Ceci a eu lieu lors d’un épisode de chasse : « Nous atteignîmes la louve à temps pour voir une farouche lueur verte mourir dans ses yeux. Je compris à l’instant – et n’ai pas oublié depuis – qu’il y avait quelque chose de nouveau pour moi dans ces prunelles, une chose qu’elle et la montagne étaient seules à connaître. »

Elargir les frontières de notre communauté de vie, c’est le thème central : « Toutes les éthiques développées jusqu’à nos jours se fondent sur une seule prémisse : l’individu est un membre d’une communauté formée de parties interdépendantes. Ses instincts le poussent à disputer sa place, mais son éthique le porte aussi à coopérer… L’éthique de la terre élargit simplement les frontières de cette communauté au sol, à l’eau, aux plantes et aux animaux – en un mot : à la terre. »

Considérant l’histoire de la région du Sud—Ouest des Etats-Unis, où irrigation, surpâturage, barrages, ont détruit la vie des fleuves, ce qui a été préjudiciable, entre autre, à la lutte contre les incendies de Los Angeles, Leopold conclut : « Cinq cultures ont prospéré ici. Et on peut dire sans mentir que nos quatre prédécesseurs ont laissé la terre en vie, intacte. » Il laisse entendre ainsi, dès 1923,  tout ce qu’il pense de la cinquième culture … Trump veut retrouver «  l’Amérique blanche » d’antan. Ce qui est une insulte aux Amérindiens, avant tout, mais aussi aux descendants des esclaves déportés aux Etats-Unis. Parler de déportation, comme il le fait à propos des immigrés, c’est aussi insulter cette mémoire-là, quand son ami Musk se charge d’insulter celle de la Shoah…Mais notre parcours ne vise pas à la dénonciation. Il s’agit ici, rappelons-le, de construire une alternative désirable.

Reprenons donc à présent notre cheminement. Nous parlerons d’écoféminisme, et de subsistance, avec Veronika Bennholdt-Thomsen  et Maria Mies, puis, avec Monica M.White, de résistances agriculturelles noires aux Etats-Unis.

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