Une histoire simpliste du progrès humain ferait succéder la brique cuite à la brique crue, avant qu’une prise de conscience tardive des dégâts fasse faire retour à la terre crue (Trace 92).
Les lieux où l’on a utilisé de façon concomitante les deux solutions remettent en question ce schéma.
C’est notamment le cas dans les collines à l’est de Toulouse, la fameuse ville rose :
TOULOUSE
Dans le tome « Midi toulousain et pyrénéen » (1979) de « L’architecture rurale française », dirigé par Claude Rivals, on trouve un certain nombre de maisons, par exemple dans les terreforts : ces maisons sont le plus souvent en briques foraines de terre cuite, mais les refends, ainsi que tous les murs protégés par des dispositions constructives sont en terre crue. Les pieds des murs de terre crue comprennent quelques rangs de terre cuite. La conclusion est évidente : ceci assure une meilleure durabilité à ces parois. La terre crue provient souvent de la mare que l’on a creusée près de la maison , alors que les briques crues viennent de la briqueterie voisine. Dans le même volume, on trouve les plans d’une briqueterie qui démontre, si nécessaire, la simplicité d’une telle technique.
Les briqueteries étaient construites très proches des centres, comme l’attestent les nombreuses Rue de la Briqueterie, à Toulouse, mais aussi à Paris, Perpignan….
ENERGIE
Du point de vue de la dépense d’énergie , selon https://www.forumconstruire.com/guides/guide-co2-bilan-carbone-construction-maison/
1m2 de parpaings : 8,53kg de CO2 eq, 1 m2 de brique : entre 8 et 13kg de CO2 eq : les deux émissions sont équivalentes, et la brique pouvant provenir de plus près, comme vu, elle rattraperait ainsi une partie de l’écart.
Les fabricants actuels de briques ont à cœur de trouver des économies d’énergie , usant de la cogénération. Deux exemples :
https://lesarchivesdelaterrecuite.blogspot.com/2020/05/la-biomasse-pour-la-production-durable.html
« La chaleur résiduelle sera utilisée pour chauffer les bâtiments du site et produire de l'électricité pour la production. En tant qu'option innovante, il est étudié si le flux de gaz d'échappement chauds de l'unité de cogénération (en amont de l'échangeur de chaleur) peut être utilisé directement comme chaleur de processus pour chauffer le four tunnel »
https://www.vandersanden.com/fr-lu/lempreinte-ecologique-de-la-brique
« Notre centrale de cogénération produit la moitié des besoins énergétiques des sites de production. Ce moteur à gaz 16 cylindres est couplé à un alternateur qui produit de l'électricité. L'air chaud expulsé sèche les briques dans les séchoirs et chauffe les ateliers. Il n'y a quasiment aucune perte d'énergie. » Aucune perte, mais aucun usage autre…
FLORENCE
Un des pionniers de la cogénération pourrait être Filippo Brunelleschi, qui construisit la coupole de Florence : Plusieurs légendes courent sur l’invention du « Peposo », ce succulent plat de bœuf poivré, longuement mijoté . Toutes convergent sur le fait que le plat, destiné aux ouvriers du chantier, cuisait en profitant de la chaleur du four voisin . C’est l’occasion, à travers l’ouvrage de
Giovanni et Michele Fanelli : « La coupole de Brunelleschi – Histoire et avenir d’une grande construction » (2004), de voir comment la brique a contribué à la réussite du projet, du modèle réduit au chantier : « L’existence de la coupole est rendue possible principalement par le recours à un procédé de construction en mesure de prévenir la formation de failles dans la maçonnerie et d’éliminer les énormes problèmes liés à la réalisation d’un cintrage en bois traditionnel de la taille nécessaire. Brunelleschi, grâce notamment à l’appareillage « en arêtes de poisson » parvient à résoudre le problème en donnant à chaque assise de briques la forme d’un anneau fermé qui devient autoportant à son achèvement. Chacun d’entre eux est relié aux anneaux inférieur et supérieur par des rangées de briques posées de chant à intervalles réguliers. La coupole peut ainsi s’élever comme une forme autoportante au fur et à mesure que la construction progresse. » GMF
Le four est juste à côté : «Via Ghibellina se trouve un four à brique, d’où provient une partie des matériaux employés. »GMF
Le contrat prévoyait une présence quotidienne de l’architecte sur le chantier : « Le chef de chantier – et Brunelleschi lui-même – exercent un contrôle sévère sur la qualité des matériaux, en particulier des briques et de la chaux, à partir de la calcination du calcaire dans les fours jusqu’au mélange de la chaux éteinte avec le sable. Manetti … affirme que « l’on n’ y mettait pas la moindre pierre ou brique qu’il ne voulût voir si elle était belle, ou bien cuite et lisse. » » GMF
Echafaudages, sécurité du chantier, levage et traçage prenaient beaucoup de temps : « Le nombre de briques utilisées est de l’ordre de plusieurs millions. On a pu calculer qu’un ouvrier ne posait en moyenne que quelques briques par heure, ce qui souligne l’importance des travaux annexes. » GMF
La brique est choisie pour sa légèreté relative : « Pour gagner en légèreté, on décide en 1422 de remplacer la pierre par la brique à partir d’une hauteur de 12 brasses (environ 6m) au lieu des 24 initialement prévues. » GMF
L’argile crue sert aussi de moyen pédagogique : « Brunelleschi construit sans cesse des modèles d’argile, de cire, de bois, ou taillés au couteau dans de grosses raves, qu’il montre aux ouvriers en guise de démonstration pratique. » GMF
C’est que le mode de pose est bien spécifique : « L’appareillage , désigné sous le nom de « corda blanda », à la lettre « corde détendue », consiste à donner aux lits de pose des briques une forme concave. Ceci permet d’éviter que les assises de briques ne présentent une surface discontinue à la jonction entre deux pans contigus. L’appareillage en arêtes de poisson remplit en premier lieu une fonction constructive capitale : grâce à la convergence des lignes, elle fournit un soutien efficace aux assises fraîchement posées. Par ailleurs, ils assurent une transmission optimale des contraintes de brique à brique à travers les joints de mortier.» GMF
ROME
Parcourir Rome de nos jours, c’est tomber à chaque instant sur de la brique apparente, de la Via Appia au Panthéon. Panthéon où les briques portent la date estampée, suivant les années consulaires.
Les légions romaines disposaient de fours mobiles et ont introduit la technique de fabrication des briques romaines dans toutes les provinces de l'Empire. Cette notion de four mobile démontre s’il est besoin le côté accessible de la technique .
VERONE
“L’arte di costruire a Verona” (2012) est un recueil où l’on trouve “La produzione di laterizi nel Veronese fra medioevo ed età moderno”, de Bruno Chiappa, décrivant précisément la fabrication des briques au moyen-âge : « La périphérie de Vérone se caractérise par la présence de nombreux fours , ou bien de lieux-dits indiqués « briqueteries ». Il est signalé que dans de nombreux cas que l’on bâtissait les fours de manière à produire les matériaux nécessaires pour une construction spécifique, et qu’ils étaient abandonnés une fois la construction achevée. » BC
Sur la fabrication : « La briqueterie était constituée d’une zone où était déposée et mise à « mûrir » la terre, de quelques aires couvertes où travaillaient les ouvriers, d’une zone où étaient mises à sécher les productions, enfin du four lui-même. La matière première était transportée depuis les lieux d’extraction et laissée exposée aux gels hivernaux qui la rendaient plus friable. La fabrication commençait au printemps, quand les températures à ciel ouvert se faisaient plus clémentes pour les hommes et pour la matière. Les hommes prélevaient une certaine quantité de terre, versaient de l’eau dessus, pressaient avec leurs pieds, puis la mélangeaient avec des houes, pour la réduire et la rendre plus compacte. La terre remplissait alors les moules de bois. Un peu de sable était saupoudré en surface pour rendre la brique moins adhérente, après quoi elle était démoulée sur un support plan. Une fois ébarbée, elle était mise à sécher 8 à 10 jours. Chaque fournée pouvait comprendre jusqu’à 20 000 briques. La cuisson allait de 8 à 10 jours, selon la saison, le bois employé, et autres variables. Elle commençait à feu doux, puis la chaleur augmentait jusqu’à atteindre la température optimale (1000°C) . Une fois la chaleur retombée, on ouvrait le four, on le vidait de ses briques, et on le nettoyait. » BC
La production répondait déjà à des normes : « La Chambre professionnelle a établi des normes, quant à la qualité des terres utilisées, mais surtout relativement aux dimensions des briques : 12x24x5 et briquettes 14x28x3. En 1486, les modèles servant d’étalons furent insérés dans le mur, place des Herbes. » BC
LUCCA
Ce sont ces mêmes dimensions , à peu de choses près, que je retrouve dans la maison paysanne du XVIIIème siècle que j’occupe . Les mêmes briques servent pour la construction d’une partie des murs, pour le pavement, pour les plafonds où elles s’appuient sur les chevrons, enfin pour les ventelles des fenils. Les remparts de la ville, là depuis la Renaissance, témoignent de la résistance du matériau.
A bientôt pour des usages plus acrobatiques !