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Billet de blog 29 novembre 2024

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Trace 18 - Cités idéales 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les cités idéales sont des cages, des moules, des prisons.

Plutôt que dessiner un coffrage où couler un béton indéformable et mort, il faudrait plutôt s’attacher à écrire ligne à ligne un code génétique, comme celui qui se résument à laisser la plante ou l’animal croître, et trouver peu à peu, lentement, à partir du contexte, et des évènements de sa vie, sa forme, sa densité, ses liaisons, ses silences, ses concentrations, son cœur.

 Le cœur de Pienza, en revanche,  cette Cité Idéale commencée d’édifier en 1458, est finalement tout ce qui reste de l’intention initiale du Pape Pie 2, et de son urbaniste Rossellino.

Le Palazzo Piccolomini ouvre au paysage somptueux du Val d’Arno ses arcades splendides.

La Cathédrale se pose au centre de la Place, laissant passer jour, air, et vues sur ses deux côtés.

Le Palazzo Borgia  ferme le côté opposé.

Et puis ? Plus loin, Via Case Nuove, subsistent quelques maisons populaires faisant partie du projet initial, qui était, prétendument, d’éradiquer la misère des paysans locaux. Commencer par construire un palais était-il le meilleur moyen ?

Une fois le pape mort, en 1562, le projet s’arrête : voulu par un seul homme, dessiné par un seul autre, il a pu à la fois atteindre cette magnifique cohérence, mais sans pouvoir se survivre à lui-même : il ne pouvait en être autrement…

Autre fantaisie sortie de l’imagination d’un seul homme : l’Abbaye de Thélème, que décrit Rabelais dans son Gargantua de 1534, en prêtant la conception à Frère Jean.

La règle de vie en est apparemment simple : FAIS CE QUE TU VOUDRAS.

Mais l’architecture semble démentir ce principe, en enclosant les 9332 chambres dans un hexagone parfait bien défendu.

La beauté de l’ensemble, et de chaque détail, est abondamment soulignée par Rabelais :

L’abbaye, « plus magnifique que Bonnivet, Chambord ou Chantilly »  , avec son porphyre, sa pierre serpentine, ses loggias, ses rampes merveilleuses, ses fresques, sa fontaine d’albâtre,…  peut de prime abord sembler un paradis  (ce qu’il est au sens étymologique : un jardin clos) , mais la codification des lieux, puis des usages, et surtout la discrimination étroite qu’il implique en fait une anticipation des « gated community » américaines, des « condominio fechado » brésiliens, c’est-à-dire l’exact opposé de ce que nous cherchons à établir. Notre projet se veut œuvre ouverte, dans les deux sens du terme, celui qu’entendait Umberto Eco, mais aussi au sens propre.

L’imagination d’un moine bénédictin, même défroqué, ne s’effarouche pas des claustrations. Mais un domaine où l’on ne peut entrer, ou bien difficilement, n’est guère différent d’un d’où l’on ne peut sortir…

Campanella, lui, était moine dominicain, et eut le temps d’écrire La Cité du Soleil, durant les 27 longues années de prison pour rébellion et crime de lèse-majesté. Elle paraîtra en 1623.

Comme dans l’abbaye de Thélème, l’obéissance à la règle relève d’un consentement tacite, que l’on pourrait qualifier ici de servitude volontaire. A Thélème, de riches habits de taffetas, à la cité du Soleil, l’uniforme austère : dans les deux cas, une convention pesante, à laquelle on ne peut échapper.

Pour en rester aux structures construites, et en suivant le livre de Pierre Macherey : « De l’Utopie ! »(2019) :

« Jeunes ou vieux, les Solariens vivent dans une sorte de bain pédagogique permanent qui les accoutume à régler leur existence à des normes que leur conformité à la nature des choses, et en particulier au cours des astres, rend incontournables. Ceci est d’emblée manifeste sur le plan de l’organisation matérielle de la Cité qui est soumise aux principes d’un urbanisme rationnel dont les critères sont tirés de l’observation de l’ordre cosmique. Elle se présente comme étant formée de sept enceintes concentriques destinées à servir de logements collectifs./…/ Au centre de ce dispositif bâti en dur, qui se visite comme on tourne les pages d’une encyclopédie, se trouve un vaste temple, dont l’édifice surplombe toute la cité. »

 Dans « Le temps du rituel dans la Cité du Soleil de Tommaso Campanella », Constance Mercadante confirme ainsi l’esprit du lieu :

« L’architecture de la Cité du Soleil est la représentation concrète de l’idéologie des Solariens et implicitement de l’idéal philosophique de Campanella. Quatre portes situées aux quatre points cardinaux donnent accès à la ville formée de sept murailles concentriques qui entourent une colline./…/ La présence des représentations terrestres et célestes ainsi que l’édifice religieux dirigé vers le ciel montrent d’emblée la volonté des Solariens de s’élever vers Dieu et de ne faire plus qu’un avec le Créateur en reproduisant sur terre l’image de la perfection du cosmos. »

Le totalitarisme est un perfectionnisme.

Ne quittons pas les Cités idéales sans saluer Italo Calvino et ses « Villes invisibles »

« Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l’on regarde dans ces boules, on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d’une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre si, pour une raison ou pour une autre, elle n’était devenue telle qu’aujourd’hui nous la voyons. A chaque époque il y eut quelqu’un pour, regardant Foedora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale ; mais alors même qu’il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n’était plus ce qu’elle était au début, et ce qui avait été, jusqu’à la veille, l’un de ses avenirs possibles, n’était plus désormais qu’un jouet dans une boule de verre. »

On pourrait aussi évoquer parmi les « Villes invisibles » Périntie, « qui allait refléter l’harmonie du firmament » et Andria, dont « la correspondance entre notre ville et le ciel est à ce point parfaite que toute modification d’Andria comporte quelque nouveauté du côté des étoiles »… Nous reviendrons visiter les cités idéales.

Mais allons voir les villes réelles, que furent, et sont encore les bastides de Guyenne et Gascogne.

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