Pour sortir de l’abstraction des textes présentés depuis mai 2020, je propose ici un jeu . Comme on le sait, et les enfants nous le démontrent, rien de plus sérieux qu’un jeu.
En hommage aux « Villes invisibles » d’Italo Calvino, je l’appellerai « Villes visibles ».
Il s’agit de remplacer 10,100 ou 1000 ans de croissance urbaine par 10 mn (pas plus) de tracés d’une petite ville imaginaire. Car, une fois intégré une première série de données, après cette année de collecte, il est indispensable de faire intervenir l’imagination, de la laisser jouer.
Sur l’imagination : Jean Claude Carrière racontait que lui et Bunuel s’obligeaient, lors de leurs rendez-vous quotidiens de travail, d’arriver chacun avec une histoire, brève ou longue. Il ne s’agit de rien de plus. Ici la discipline quotidienne de ce jeu a été d’inventer 48 noyaux urbains.
Les règles en sont simples : imaginer un lieu, ou penser à un de ceux que vous connaissez, au choix, un hameau, une métropole... Imaginer en ce lieu une échelle de vie possible, au lieu de s’abandonner à une fatalité de croissance indéfinie, d’un coût environnemental extrême : transports automobiles obligés, dépendance alimentaire, … comme nous le verrons bientôt avec Guillaume Faburel.
Après tout, cartographier une ville se fait depuis 3000 ans, si l’on se réfère à la carte de Bedolina
https://veillecarto2-0.fr/2020/11/11/la-carte-de-bedolina-premiere-carte-topographique-du-monde/
, dont nul ne peut dire si c’était l’œuvre d’un observateur attentif, ou bien d’un rêveur impénitent, comme moi… ? Il faudra se pencher plus tard sur cette carte, ou bien cadastre, de Bedolina, qui semble réunir déjà tous les éléments qui seront requis ici, et que bien peu de villes actuelles rassemblent.
Règles du jeu, servant aussi de légendes à mes dessins :
Couleur rouge :
Les maisons seront en rouge. Elles peuvent représenter le logement de quelque 5 à 50 personnes. Trois étages comme dans le projet de De Carlo à Terni ? Peut-être … ce sera selon le terrain.
Couleur vert foncé :
Garder la proximité de la forêt, que la ville vienne se loger dans une clairière, ou sur une lisière. Conserver si possible la continuité du couvert, pour la faune, tout en pensant que des coupe-feux peuvent trouver une utilité, dans un climat se prêtant de plus en plus aux incendies de forêt.
Penser que la forêt fournira le bois pour la construction, et veiller à la ménager, aussi pour cela…
Couleur jaune :
Organiser un accès commode, en quelques minutes de marche au maximum, aux cultures vivrières, ici en jaune. Une forme d’agroforesterie, mélangeant arbres et cultures, est la bienvenue. Des vignes, si le lieu s’y prête, me plairaient bien aussi.
Couleur bleue :
Il est nécessaire de trouver un accès à l’eau, ici en bleu, avec une rivière, ou un lac, si on a de la chance… Maisons, cultures, pâturages devront trouver comment s’en approcher, tout en prenant garde aux crues, qui seront plus fréquentes, on l’imagine.
Couleur vert pâle :
Des surfaces enherbées, en vert pâle, serviront aux ânes et aux chevaux, aux brebis et aux chèvres, suivant le cas, ou sinon de terrain pour l’esbaudissement de tous.
Le sujet de la traction animale sera traité, après ample réflexion, et quelques doutes aussi.
Couleur noire :
Des routes, déjà existantes, en noir, il faudra prendre parti. Les ombrager, sans doute, serait un bien, pour y cheminer lentement, car y circuler comme maintenant, il n’en sera plus question. Entre les maisons, il n’est pas prévu de circuler, sinon pour un accès des pompiers et des ambulances, de la taille adaptée. Les cheminements piétonniers seront privilégiés.
Explorer toutes les géométries possibles, garder en mémoire les questions d’ensoleillement, de relief, de maintien des continuités forestières autant que possible,….nécessite d'établir des compromis mouvants, de penser aux « égards ajustés » de Baptiste Morizot.
La plupart des essais ci-joints se réfèrent à des points repérables , où je suis alors parti chaque fois d’une vue aérienne : on y reconnaîtra notamment un Paris résolument réinventé, où l’on pourra enfin nager dans la Seine, comme dans la Tamise de William Morris (Traces 72) , et d’autres villes françaises et italiennes : Arles, Toulouse, Grenoble, Lyon, et puis Pisa, Firenze,Tarquinia, Urbino, Ascoli Piceno, le quartier de l’Aventino à Roma,où, selon Jacques Rancière, tout a commencé (Traces 81 à venir)… et enfin Riace, où nous irons prochainement (Traces 80) . On peut aussi y trouver Kyoto, mais le jeu n’est pas là : le jeu est, comme toujours, de faire.
Villes réduites à peu de choses, villages ou simples hameaux ayant pris une extension extraordinaire, l’ensemble des 48 esquisses se range dans l’idéal, tel qu’il a été théorisé par Guillaume Faburel (que nous retrouverons (Traces 121), avec son « Pour en finir avec les grandes villes »), de cités entre 3000 et 50000 habitants.
Une fois cet exercice fait, il est loisible de composer un paysage, non, bêtement, en les disposant en damier sur le carrelage (quoique ce soit d’un bel effet !), mais plus logiquement, en reliant ensemble les cours d’eau, qui sont bien la continuité la plus nécessaire, celle de la vie qui court.
Je remercie ici mes deux petites nièces, premières contributrices, dont on peut reconnaître le soin du détail : elles m’ont fait noter que la présence de ponts sur les cours d’eau est essentielle, par exemple. Relier, toujours !
A vous de jouer !
Le prochain texte fera la synthèse de vos envois, mais aussi des dernières 24 Traces.