Traces 133
Elu ! Vive le roi ! Mais que veut-il faire ? Stéphane Foucart, pour le Monde, a bien analysé le projet présidentiel du point de vue de l’écologie, si absente des débats et discours présidentiels : https://www.lemonde.fr/.../pour-emmanuel-macron-la...
« L’agriculture ? Le mot « agro-écologie » n’apparaît nulle part dans le discours présidentiel, et tout l’avenir de nos campagnes s’y trouve réduit à ce triptyque : « le numérique, la robotique, la génétique ». » LM
« Le mot « sobriété » n’apparaît pas non plus dans le discours présidentiel, quand les mots « innovation », « innovant » sont prononcés à plus de soixante-dix reprises. »LM
« L’élection présidentielle approchant, ceci fonde une vision du monde, dans laquelle la transition écologique est avant tout une transition technologique. A cette aune, aucune évolution socioculturelle, aucune transition vers des modes de vie moins énergivores ne semble nécessaire ou désirable, puisque l’innovation et la technologie permettront de maintenir ne varietur nos façons de faire, en effaçant tous les inconvénients qui y sont associés. Pour M. Macron comme pour la plupart des dirigeants aux affaires, plus de technologie est invariablement la seule réponse possible aux dégâts provoqués par l’accumulation de nouvelles technologies – quand on a un marteau dans la tête, tout a la forme d’un clou. » LM, SF
Hélène Tordjman, dans « La croissance verte contre la nature- Critique de l’écologie marchande » (2021), analyse quelques traits de cette idéologie techniciste, et, avant de reprendre notre parcours optimiste, il est bon de s’y attarder un peu. M’étant contraint à la patience jusqu’à aujourd’hui, cette Trace sera un peu longue …
Dès l’introduction, Tordjman situe le cadre, bien contraint, des « innovations » promises : « Les « solutions » envisagées aujourd’hui pour répondre à la crise écologique témoignent du rapport à la nature qui domine nos sociétés, rapport caractérisé par une volonté de maitrise, une instrumentalisation de toutes les formes de vie sur terre, en sus d’une foi inébranlable dans le mécanisme de marché. Or c’est justement une telle perspective anthropocentrique qui a engendré la catastrophe écologique. »HT
Bien plus qu’une préoccupation pour le sort de l’humanité, une logique est ici à l’œuvre : « Le capitalisme industriel est un mode de production ayant toujours besoin d’élargir sa base, de trouver de nouveaux domaines de valorisation du capital... C’est un système dont la vocation inhérente est de croître, d’englober une part toujours plus grande des activités humaines et de la nature. » HT
Logique qui montre dès le départ sa vanité : « La « croissance verte » est un approfondissement du même modèle qui nous amenés là où nous sommes : paradoxalement nous comptons répondre aux destructions provoquées par l’extension des marchés et le déferlement technique par encore plus de marché et de technique. » HT
Les acronymes vont pleuvoir, aptes à brouiller les pistes : Ainsi la « convergence NBIC » : nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences de la cognition. Nous ne sommes pas loin du « numérique, robotique, et génétique » présidentiels.
« Ce projet, cette « nouvelle renaissance » permettrait à l’humanité de résoudre tous ses problèmes grâce à la science et à la technique, y compris les questions existentielles de la maladie et de la mort » HT
La mégalomanie du projet me rappelle mon devoir de philosophie en 1970 : « La science peut-elle répondre à toutes les questions ? » Un 6/20 couronna mes doutes sur la question.
Les chapitres du livre démontent une à une les prétentions :
LA CONVERGENCE NBIC, UN PROJET DE SOCIETE :
Ici le but est d’obtenir des brevets sur toutes les formes de vie sur terre. Ce nouveau modèle de croissance, soi-disant verte mais toujours extractiviste, continue de considérer la nature comme un réservoir de ressources, projet purement mercantile, donc. Tordjman conclura en citant Jacques Ellul, et « La Technique et l’enjeu du siècle » (1954) :« Parmi les différents caractères de la technique moderne que l’auteur identifie : L’insécabilité : elle forme un système, un tout, et ses effets ne dépendent pas de l’usage qu’on en fait, ils lui sont inhérents. L’auto-accroissement : la technique s’engendre pour ainsi dire elle-même, par la combinaison de techniques existantes et par la création de nouvelles techniques en réponse aux problèmes posés par celles déjà en usage. L’autonomie : la technique se déploie au-delà des jugements moraux ou de valeur : tout ce qui peut être fait le sera. » HT
QUAND LA RECHERCHE DE L’EFFICACITE SE RETOURNE CONTRE ELLE-MEME :
Qu’il soit question de substitut aux carburants fossiles : « Aucune réflexion de fond n’étant menée sur nos besoins en énergie et nos modes de production et de consommation, la « transition » énergétique consiste essentiellement à essayer de remplacer le pétrole par des énergies renouvelables… Et comme l’ont montré François Jarrige et Alexis Vrignon , dans « Face à la puissance » (2020) les transitions énergétiques ont entraîné une addition des énergies, et non leur substitution. » HT
Ou bien d’alimentation : « Selon : https://grain.org/
80% des exploitations dans le monde sont des petites fermes, produisant 75% de la nourriture sur un quart des terres. L’agriculture industrielle produit le reste sur 75% des terres cultivées : quel est le système le plus efficace ? » HT
Un chiffre éloquent, parmi d’autres : « Selon Oxfam, les terres dédiées aux seuls carburants européens auraient pu nourrir 120 millions de personnes. » HT
Pourtant : « La voie des bioénergies n’est pas abandonnée, puisque c’est la seule envisageable dans une optique où tout doit changer pour que rien ne change des structures économiques. » HT
La conclusion que Tordjman donne au chapitre pourrait s’appliquer à l’ensemble du livre : « Les processus vivants sont nettement plus complexes et inattendus que ce à quoi, dans leur exaltation à la fois naïve et orgueilleuse, les scientifiques s’attendaient. Quant aux investisseurs et financiers, leur approche court-termiste n’est guère compatible avec le temps long de la recherche. » HT
Autre acronyme, pour les techniques de géo-ingénierie de capture de CO2 : Les BECCS, pour « Bioenergy and Carbon Capture and Storage » : la dernière vaine trouvaille. Vaine quant au résultat, fructueuse quant aux profits….
Il faut savoir que : « 101 des 116 scénarios permettant de rester en-dessous des 2°C simulés par les modèles du GIECC font appel aux BECCS, alors même que ces technologies ne sont pas du tout au point et présentent de grands risques sans assurer une diminution des émissions de carbone. » HT
Or ceci ne fonctionne même pas : « Le CO2 enterré, d’une part fragilise des sols déjà troués de part en part, puis finit par remonter à l’air libre malgré toute la haute technologie mise en œuvre. » HT
A l’œuvre, un scientisme qui est le mal du siècle, à l’égal des religions : « Cet exemple dévoile la force de l’idéologie scientiste qui imprègne tous les acteurs de ces évolutions, idéologie dont le projet de la convergence NBIC qui sous-tend le modèle de la croissance verte est une caricature. » HT
DES SEMENCES AUGMENTEES OU LA SCIENCE AU SERVICE DE NOUVELLES ENCLOSURES
Comment nous expulser du vivant ? « Au train où nous allons, nous verrons bientôt des scientifiques et des industriels revendiquer sans sourciller la propriété de la photosynthèse, … et, potentiellement, de toute forme de vie sur terre./…/Tout processus d’appropriation a toujours comme double inversé une expropriation. » HT
PROTEGER LA NATURE A L’ERE CONTEMPORAINE : « CAPITAL NATUREL » ET « SERVICES ECOSYSTEMIQUES »
Prétendant sauver la nature, on ne fait ici que la mettre à l’encan sous forme de « services » : « … ces marchandises fictives que sont les services écosystémiques : Dans cette vision, une forêt ou un récif corallien n’existent plus eux-mêmes comme des totalités organiques ayant des identités propres mais sont conçus comme des assemblages de fonctionnalités au service des êtres humains, chacune faisant l’objet d’une évaluation monétaire. Ce phénomène de marchandisation de la nature sous la forme de mécanismes utiles à l’homme étend le domaine de la valorisation du capital à l’intimité des processus naturels. » HT
« L’idée est de donner une valeur monétaire à la nature dans toutes ses dimensions… dernière étape d’un processus de réification entamé aux débuts de l’époque moderne. » HT
LA DEMATERIALISATION DE LA NATURE : UNE NOUVELLE CLASSE DE MARCHANDISES FICTIVES.
Encore un acronyme : REDD+ : “Reducing Emission from Deforestation and Forest Degradation”
“Ce dispositif permet aux pays du Nord de continuer à émettre tandis que les pays du Sud s’engagent à préserver leurs forêts pour absorber les GES des pays industrialisés…En attendant, entre 1992 et 2016, la terre a perdu 129 millions d’hectares de forêts (sur environ 4 milliards). » HT
« Les critères de certification et de labellisation peuvent être très facilement contournés. » HT
Relire à ce sujet : « Les pillards de la forêt-Exploitations criminelles en Afrique » (2002) d’Arnaud Labrousse et François-Xavier Verschave.
Ladite protection de la nature touche bien des humains sur terre : « Enfin, REDD+ contribue au phénomène global d’accaparement des terres et d’expropriation des paysans et des populations autochtones. »HT
Pour conclure : « Ces mécanismes ne répondent pas aux problèmes de fond, et ne font que perpétuer les processus et phénomènes qui nous ont menés dans l’impasse où nous sommes, pour trois raisons :
1 : la nature est un système d’une telle complexité qu’il faut l’envisager d’une manière globale.
2 : fonder la protection de la nature sur la rationalité économique, c’est-à-dire sur la recherche de l’efficacité et du profit maximum consacre la révolution anthropologique portée par le capitalisme, où tout sens du collectif, de l’intérêt général et du bien commun a disparu. Cette vision étant en partie à l’origine du désastre, comment pourrait-elle en être la solution ?
3 : la vision en termes de services écosystémiques place l’être humain au sommet de la nature, trônant au-dessus de toutes les autres formes de vie qui sont là à son service…. Tant qu’une telle vision dualiste perdurera, les destructions continueront. » HT
FAIRE CONFIANCE A LA FINANCE ?
On assiste à une multiplication de labels : GBP, pour Green Bonds Principles, CBI, pour Climate Bonds Initiative, ESG, pour Environnmental, Social and Governance… Mais : « Malgré l’explosion du volume des obligations vertes depuis 2015, les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse. » HT
On arrive ainsi aux pires perversions de cette logique spéculative : spéculer sur le changement climatique : « Les Weather Derivatives : L’idée générale est de fabriquer un contrat (HDD , ou CDD), dont la valeur augmente avec l’écart des températures par rapport aux températures moyennes ou « normales ». » HT
Et sur les catastrophes qui s’ensuivront : « Comme pour les Weather Derivatives, le marché des Catastrophe Bonds s’est développé dans les années 1990. » HT
Et pourquoi pas aussi les pandémies ? « Une variation sur le thème, les Pandemic Bonds ….c’est l’aide publique au développement qui finance la Banque Mondiale, et par ce biais, les rendements très confortables des grands fonds qui ont acheté ces obligations. » HT
Tout espoir en la finance est bien vain, aussi « verte » soit-elle : « Lorsque la spéculation domine, il n’y a aucune raison pour que ces mouvements indiquent aux financiers quels sont les investissements socialement avantageux. Les marchés financiers sont aveugles et structurellement incapables de contribuer au bien commun. Dans l’architecture actuelle des marchés, la finance verte est vouée à l’échec. » HT
CONCLUSION – CHANGER DE CAP : QUELQUES PISTES DE REFLEXION ET D’ACTION.
En guise de conclusion optimiste, se limitant au champ de l’agriculture, Tordjman esquisse des pistes, où nous la suivrons volontiers :
« Penser la viabilité d’une autre agriculture est loin d’être une simple question de rendement, mais doit englober des problématiques très différentes touchant au droit foncier et à la propriété de la terre, à l’aménagement du territoire, aux besoins et désirs d’alimentation, aux décisions concernant l’affectation des sols, … jusqu’aux décisions renvoyant au choix des semences et des pratiques culturales, c’est-à-dire aux savoirs paysans. » HT
« Bon nombre de travaux récents font émerger un certain consensus, par exemple pour favoriser les pratiques d’agro-écologie et d’agroforesterie, la relocalisation de la production, l’autonomie paysanne. » HT
« On pourrait imaginer la France comme une fédération de pays ou de bio-régions, chacune regroupant plusieurs terroirs. Ces bio-régions seront plus ou moins autosuffisantes sur le plan alimentaire grâce à la diversité des cultures permises par de petites parcelles en agro-écologie couplée à de l’élevage extensif. » HT
« Une expérience intéressante et pleine de promesses : https://www.latelierpaysan.org/
L’atelier paysan propose de permettre aux paysans de construire de l’outillage agricole à leur mesure, adapté exactement à leurs besoins. Cet outillage est simple et robuste, et fonctionne essentiellement à l’énergie musculaire et non aux énergies fossiles.
De manière générale les outils low-tech nécessitent peu de capital à construire et à utiliser. En revanche, il faut des bras. Là comme ailleurs, la transition écologique devrait s’occuper de décapitaliser les activités et remplacer le capital par le travail.
Quant à l’opposition villes-campagnes, elle doit être repensée, assouplie. Jusqu’au début du XXème siècle, la plupart des grandes villes, dont Paris, étaient entourées d’une ceinture maraîchère qui nourrissait la ville en bonne partie. » HT. Voir Traces 122.
Qui a vécu ces temps est un témoin précieux, avant d’être l’ or gris des financiers amis du pouvoir. Nous interrogerons bientôt le grand âge, et l’enfance aussi : les deux bouts de la vie.