76 pages ont été ouvertes ici, sur tant de sujets divers, qu’il est besoin de temps à autre de relier entre elles ces étoiles apparemment lointaines, traçant des constellations, pour y déchiffrer là une ourse, là un scorpion, ou des poissons, un taureau, un lion,…. Et tenter ainsi d’y lire l’avenir, quand nous essayons, à notre échelle, de contribuer à l’écrire.
Pour reprendre une autre métaphore, les mille et un textes prévus visent à tracer une forme de voie lactée, ce chemin que seuls quelques bienheureux loin des villes peuvent percevoir, et que traversent impudemment les machines d’Elon Musk, en ribambelles…Comme le silence, la nuit noire devrait être un bien commun.
Nous sommes allés de la ville hostile à la forêt interdite, et il nous faudra bien inventer comment sortir de cet aller-retour, et briser ces deux tabous, délicatement, en connaissance de cause, pour trouver lieu d’accueil.
Retournons ensemble, et en marche arrière, sur ce cheminement des 24 dernières Traces :
Trace 76 : Villes visibles 2
C’est à la recherche de nouveaux équilibres, de nouvelles relations aussi entre villes et territoires, que nous avons proposé ce jeu, comme existent des jeux vidéos, type « Civilization », (toujours avec une conception très limitée et linéaire du progrès). Notre proposition se pratique loin des écrans avec juste des crayons de couleur et du papier : Rendre aux villes, aux anciennes, et à celles à venir, une autonomie alimentaire, réinventer un autre rapport à la forêt, en y vivant, seul moyen de la connaître, trouver une trame urbaine fonctionnant sans voitures,… Dessiner, c’est se rendre capable d’imaginer.
Trace 75 : Villes visibles 1
Dessiner les effets du « bon gouvernement », c’est matérialiser, comme le fit Lorenzetti à Sienne, par le dessin, par la couleur,par la lumière, aussi, des relations différentes entre ville et campagne, par-delà les remparts, mais aussi un espace urbain qui se construit. Sans portes ouvertes sur ces remparts, point de vie libre, point de vie tout court possibles à l’intérieur, tandis que l’extérieur est en proie aux guerres et aux épidémies , comme sur la fresque du mur opposé, dans le Palazzo Comunale de Sienne, et comme aujourd’hui même.
Trace 74 : Exils climatiques 2
Un bon gouvernement serait celui qui ouvrirait les portes, ayant compris cela. Mais les portes restent closes, et les bouches cousues sur le sort de ceux qui quittent un village, une terre, un pays devenu plus qu’inhospitalier, invivable. Cela n’est pas une prophétie apocalyptique, cela existe déjà, et depuis des années : des exilés climatiques, dont le nom même est nié par toutes les institutions internationales, terrifiées par les conséquences possibles d’une telle reconnaissance.
Traces 73 : Exils climatiques 1
Le pari est fait ici que ces conséquences pourraient être bénéfiques pour tous :
-redonnant un sens à ceci que nous nommons « humanité », qu’il s’agisse de l’ensemble des humains, ou de cette qualité que nous revendiquons à tort être les seuls à posséder.
-nous donnant une chance d’envisager de nouveaux modes de vie, quand d’évidence le nôtre est condamné.
- enfin permettant à ces exilés de trouver un sol où construire, au sens premier du terme, une nouvelle vie.
Traces 72 : Cité-jardin 2
Est-ce un rêve que nous racontons, cela ? Comme le rêve que raconte William Morris, pour donner forme à une utopie d’exode urbain ? Il est passé le temps où les utopies se faisaient instruments, à mots couverts, de critique sociale, ou politique. Il est aujourd’hui nécessaire d’en construire une, même si l’écriture, et la réalisation, de dystopies infernales est plus facile, comme le démontrent chaque jour les gouvernements au pouvoir. Il n’est que de voir le démantèlement prévu de la Butte Rouge, cité-jardin parmi les plus réussies de France…
Trace 71 : Cité-jardin 1
Quel rapport entre la cité-jardin et l’œuvre de Kropotkine ? Ce sont, essentiellement, ces pages de « Champs, usines, ateliers », où il défend une agriculture associée à l’artisanat, ou à de petites industries, comme le moyen d’assurer un bien-être, qui nous échappe aujourd’hui dans les métropoles. Cela étant plus compatible avec l’organisation de fédérations de communes, décrites par lui dans « L’entraide, un facteur de l’évolution ». Ce biologiste était, depuis sa jeunesse sibérienne, attentif à la vie sociale des animaux, et parmi les premiers à dénoncer la prétendue loi de la jungle, où ce serait le plus fort qui survit, quand, au contraire, ce sont ceux qui construisent un réseau d’alliances…
Trace 70 : Décroissance 2
Nicholas Georgescu-Roegen, le physicien père du concept de décroissance, et Georges Bataille, écrivain, associés dans la thèse de Anthony Horrie, se sont distingués tous deux par des visions extrêmement amples de l’économie, intégrant à leur façon l’entraide chère à Kropotkine, allant dès le début du XXème siècle envisager pour l’un la « liberté de résidence des citoyens de notre « seule terre » », pour l’autre un transfert aux pays pauvres des excédents des pays riches…On observe le rétrécissement opéré depuis 60 ans sur ce concept. Il faudra reprendre un jour l’économie aux économistes.
Trace 69 : Décroissance 1
On a vu que le concept de décroissance va bien au-delà d’une simple réduction du PIB, qu’il s’agit d’une attitude qualitative, d’un « autrement » qui ne se soucie pas de quantifier, chose possible dès lors que l’on raisonne en besoins à satisfaire, et non en terme de revenu minimum. S’organiser pour satisfaire ces besoins, en les faisant sortir de la sphère marchande, c’est l’objet de notre patiente construction : une patience de bénédictin, aurait-on dit …
Trace 68 : Thélèmes 2
Les bénédictins, désignés ainsi comme laborieux, l’étaient-ils autant que cela ? Peu importe. Ce qui nous intéresse dans l’extraordinaire développement des ordres religieux au moyen-âge a plutôt à voir avec l’intelligence proprement géographique, sinon stratégique, de leurs implantations. Profitant d’une démographie en plein essor, notamment grâce à l’accueillante loi Gombette, ils ont su inventer un autre usage des terres, où le défrichement n’était pas seulement déboisement.
Trace 67 : Thélèmes 1
Ces constructeurs ont aussi su s’implanter dans des zones riches en matériau de construction : bois pour les premiers bâtiments, pierre ensuite, terre cuite quand cela était possible.
S’ils appréciaient le vin, et en quantité, ils étaient aussi soucieux d’hydraulique : adductions, assainissement, usage de la force motrice de l’eau, tout cela favorisé par le choix d’implantations judicieuses, notamment proches de confluents.
Trace 66 : Communs 4
S’il y a des règles monastiques, les Communs, eux aussi, répondent à des règles :
« Les « communs » résultent de certains attributs de biens et/ou de systèmes de ressources.
Les communs se caractérisent par des régimes de propriété particuliers et originaux.
L’existence de communs suppose et exige la mise en place de « structures de gouvernance » appropriées, qui sont les garants de leur soutenabilité. » Benjamin Coriat.
Les principes d’auto-organisation, et de gouvernance polycentrique sont aussi mentionnés par Elinor Ostrom, que tous citent comme une référence commune.
Trace 65 : Communs 3
D’Elinor Ostrom, nous tenons ce concept de « réservoirs communs de ressources » (Common Pool Resources). De là, on arrive assez vite à une remise en question du droit de propriété :
« Nous ne pouvons prétendre qu’à la propriété de droits relatifs et partiels sur les choses. Les choses mêmes ne sont pas appropriables parce qu’elles se présentent comme appartenant fondamentalement à des écosystèmes dont on ne peut les séparer par des clôtures infranchissables. Aussi devons-nous renoncer à la propriété privée dans sa figure de droit naturel et fondamental de l’individu : elle n’est qu’un droit subalterne, qui n’a de légitimité que mis au service de valeurs hiérarchiquement plus essentielles. »Pierre Coriat.
Si le pape François a récemment mis en doute un tel droit, « ni absolu, ni intouchable », le gouvernement français, en revanche, a récemment alourdi les peines de qui occupe une maison, mais aussi un terrain agricole : trois ans de prison, et 45000 euros d’amende. (Loi sécurité globale, article 1er bis A). C’est dire qu’il a bien vu le danger qui le menace : les ZAD ! Les ZAD menaçant les états-nations, nous en sommes-là, il faut croire.
On peut rêver du temps où, profitant de l’opposition entre Pape et Empereur, germaient les Communes italiennes…
Nous continuerons prochainement ce décompte à rebours des Traces, de 64 à 52, du béton de De Carlo au torchis des maisons landaises.