La Ministre du Logement vient de décider un léger aménagement du calendrier de l’interdiction de location des logements en copropriétés en DPE G, c’est-à-dire les plus énergivores.
L’impact de cette décision sera très peu important. La mise en place d’un calendrier d’interdiction de location des passoires thermiques est incontournable, d’un point de vue écologique, mais aussi pour protéger les locataires des passoires thermiques.
Mais l’essentiel ne réside pas dans cet aménagement de calendrier car l’incitation à faire les travaux reste forte. Le problème central reste inchangé : le dispositif actuel de financement proposé par l’Etat (MaPrimeRenov et MaPrimeRenov Copropriétés) n’est pas assez incitatif et ne permet pas à l’ensemble des propriétaires d’exercer les travaux nécessaires.
Tout d’abord, les propriétaires doivent faire appel à des « accompagnateurs », ce qui leur coûte de l’argent, alors qu’ils n’ont aucune garantie que ces dépenses débouchent sur des travaux effectifs. Cela les décourage souvent.
Ensuite les financements apportés par l’Etat pour les travaux sont trop peu élevés pour un grand nombre de propriétaires qui sont découragés par l’ampleur des investissements à financer. Ils le sont d’autant plus quand ils possèdent des logements très énergivores (avec des DPE F ou G), car les coûts des travaux sont encore beaucoup plus élevés.
Au final, seuls les propriétaires les plus motivés s’engagent dans les rénovations « globales » qui sont à juste titre la priorité définie par l’Etat et tous les professionnels.
Les chiffres sont sans équivoque. Le nombre de rénovations globales financées stagne autour de 70000 par an. Soit 10 fois en dessous de 700 000 logements par an correspondant à l’objectif de la Stratégie Nationale Bas Carbone. A ce rythme-là les logements français seront tous rénovés en l’an 2500, et pas 2050.
Ces résultats très décevants sont dramatiques pour la politique française de lutte contre le réchauffement climatique, car la rénovation des logements est un pilier essentiel de cette politique.
Ces résultats très décevants ne sont pas dus au hasard. Ils sont la conséquence d’une volonté politique de restreindre les rénovations. Les moyens suffisamment ne se sont pas mis en œuvre délibérément.
En effet, les dispositifs de financements apportés par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) répondent avant tout à l’objectif du Ministère des Finances : ne pas dépenser trop d’argent. Cet objectif est atteint, au détriment de celui de lutter contre le changement climatique.
Par manque d’attractivité, l’ANAH ne dépense pas tout l’argent qui lui est affecté. Et le Ministère des Finances en profite pour baisser les crédits. C’est exactement ce qui arrive avec le budget 2025. Comme les 4 milliards d’euros inscrits au budget 2024 n’ont pas été consommés, Bercy a presque divisé par 2 les budgets en n’affectant que 2,3 milliards en 2025.
La rénovation des logements est entrée dans un cercle vicieux mortifère qui va décourager à la fois les particuliers et les professionnels. Et malheureusement cela ne risque pas de changer si on ne réforme pas profondément MaPrimeRenov et MaPrimeRenov Copropriétés.
A Paris, nous avons l’expérience de la massification des rénovations. Nous avons réussi depuis 2 ans à faire décoller très fortement la rénovation des copropriétés. C’est le résultat d’une volonté politique : celle de mettre les moyens nécessaires, qui se concrétise avec deux éléments clés : un accompagnement gratuit et des financements beaucoup plus importants pour les travaux.
Le dispositif EcoRenovonsParis +que nous avons mis en œuvre depuis la mi-2022 nous a permis de multiplier par 5 le rythme d’engagement des copropriétés dans des processus de rénovation. L’accompagnement gratuit est essentiel. C’est notre premier argument au cours des réunions publiques que nous organisons avec à chaque fois des centaines de propriétaires. Ils savent dès le départ que nous leur garantissons un accompagnement et un conseil gratuit tout au long du processus de rénovation, qui dure souvent 5 à 7 ans.
Ensuite les financements : la Ville de Paris apporte une aide conséquente aux travaux ainsi que l’exonération de la taxe foncière pendant trois ans.
Au final, un copropriétaire parisien peut souvent espérer un financement de près de 50% du cout des travaux (en cumulant aides de la ville (accompagnement gratuit, aide aux travaux EcoRenovonsParis+et exonération de taxe foncière) et de l’Etat (MaPrimeRenov Copropriétés).
Cela fonctionne. Avec de tels financements, en 2 ans, la moitié des logements et le quart des copropriétés se sont inscrits sur notre plate-forme pour la rénovation des copropriétés. Le nombre de logements rénovés par an devrait passer de 3750 cette année à plus de 15000 d’ici 3 ou 4 ans. Cela est dû à un engagement financier très important de la ville, qui a fait un choix politique très fort en créant le dispositif EcoRenovonsParis.
Cependant, si la dynamique parisienne est très importante, mais ne touche pas encore toutes les copropriétés. Les propriétaires des logements les plus anciens, souvent des petits immeubles en DPE F et G, sont proportionnellement moins engagés dans des processus de travaux. Les coûts de rénovation par logement atteignent communément 30 000 à 40 000 euros par logement pour les copropriétés en D ou E. Mais pour les passoires thermiques (F et G), pour la plupart des immeubles construits avant la deuxième guerre mondiale, les coûts sont encore beaucoup plus importants, et dépassent souvent les 50 000 euros par logement.
Une partie des propriétaires parisiens de logements très énergivores sont encore réticents. Nous estimons qu’avec les dispositifs de financements actuels nous pourrons arriver à rénover à un bon rythme 80% des logements, mais pas 100%
Ce rythme de rénovation des logements est nettement plus faible dans la plupart des autres territoires français car les collectivités n’ont pas les moyens ou la volonté politique d’apporter une aide financière aussi massive que la ville de Paris.
Il faut donc que l’Etat prenne ses responsabilités et réforme les dispositifs MaPrimeRenov en finançant l’accompagnement gratuit, et en augmentant de façon très conséquente les niveaux d’aides au travaux, d’une part pour les logements en C, D ou E (avec une augmentation d’au moins 50%) et surtout pour les logements en F ou G (où le niveau d’aides doit être a minima doublé).
Avec une telle réforme le nombre de rénovations globales va décoller très rapidement. Le niveau de financement nécessaire pour 700 000 rénovations globales par an excédera 15 milliards par an dans les 3 à 4 ans.
Se pose évidemment la question : comment financer de telles sommes ?
Nous savons faire. Un autre grand chantier de la décarbonation a lieu : les transports. Dans ce domaine, un investissement majeur, le Grand Paris Express, d’un montant de 40 milliards d’euros a pu être financé grâce à la mise en place d’emprunts de long terme assis sur des recettes garanties.
La rénovation des logements, à l’instar de la construction d’un réseau métro, un investissement de long terme. Utiliser le même mode opératoire est tout à fait légitime.
L’ANAH actuellement n’a pas de capacité d’emprunt. Il faut donc réformer son statut pour lui permettre de se financer avec des emprunts de long terme. Cela lui permettra de doubler sa capacité d’investissements annuelle à recette équivalente.
Il faut attribuer à l’ANAH, et de façon garantie, la totalité des crédits d’Etats allant à la rénovation des logements (actuellement les budgets MaPrimeRenov et les crédits CEE allant à la rénovation). En cumulé cela fait 4 milliards d’euros. Avec ces moyens déjà mis en œuvre actuellement et une capacité d’emprunt, une capacité d’investissement de 8 milliards par an est possible.
En rajoutant à cela une recette dédiée générant de l’ordre de 3 milliards par an, par exemple sur la base de droits de mutation additionnels pour les biens commercialisés à plus de 10 000 euros le m², on atteint une capacité de financement globale de 14 milliards par an. De quoi engager sérieusement la rénovation des bâtiments.
L’urgence n’est donc pas dans le décalage du calendrier d’interdiction des locations, mais dans la massification des aides à la rénovation.
La politique actuelle nous mène droit dans le mur, et c’est bien la lutte contre le changement climatique qui en pâtit.