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Billet de blog 5 décembre 2025

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Pour le théâtre du Soleil

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

            Mediapart devrait faire attention : l’article de Madame Sarah Brethes du 30 novembre, « Théâtre du Soleil : la faillite d’une utopie » instruit le procès de la troupe d’Ariane Mnouchkine uniquement à charge, jamais à décharge. Aussi ne doit-on pas s’étonner, après un tel article, d’apprendre qu’Ariane s’indigne des allégations « qui ont pour seul but de salir et de détruire le Soleil ». Heureusement, les articles du Monde concernant cette affaire (26-3-25 et 3-12-2), sont beaucoup plus mesurés et objectifs, pour ne pas dire moins passionnés. Mediapart a fait d’admirables enquêtes, par exemple sur les sordides combines de Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, et plus encore sur les méfaits et les crimes commis par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. Mais Madame Sarah Brethes n’est pas Fabrice Arfi.

            En effet, comment peut-on qualifier de « faillite » la plus admirable expérience théâtrale qu’ait connue la France depuis un demi-siècle, et qui a enfanté en outre un film magistral, pour beaucoup inoubliable ? Pourquoi cette insistance à souligner l’âge d’Ariane Mnouchkine et le montant des subventions attribuées à ce théâtre ? Vise-t-on l’annulation de ces subventions, ce qui provoquerait aussitôt la fin de l’aventure ? Veut-on laisser entendre que la direction est sénile, et s’accroche déraisonnablement aux commandes ? N’y a-t-il là qu’un conflit de génération, comme le ton de l’article le suggère malgré lui en quelques endroits ? Ne peut-on comprendre qu’il est inévitable qu’au sein d’une troupe de près de deux cents membres, tous unis par la même passion du théâtre, où des liens affectifs intenses nécessairement se nouent, des dérèglements, des infractions voire des crimes peuvent en effet survenir, et même inévitablement sur une durée de près de cinquante années ? Le peu d’estime que Madame Brethes semble avoir pour Ariane Mnouchkine – que pour ma part je respecte infiniment – la conduit à dresser le portrait d’un gourou d’une secte sous emprise. Mais ne pouvez-vous comprendre que pour mener à bien une entreprise aussi considérable, il faut en effet faire preuve de caractère et d’autorité peu communs ? Vous ne semblez guère apprécier la pratique du bénévolat, que vous assimilez purement et simplement à du travail non déclaré. Pourtant, combien de mouvements sociaux cesseraient immédiatement de fonctionner s’ils ne bénéficiaient pas du travail des bénévoles ? Ne comprenez-vous pas que, pour la seule passion du théâtre, on puisse se consacrer totalement à la construction d’un spectacle, sans demander d’autre salaire que la joie, et l’honneur, d’y avoir participé ? L’investissement est si fort qu’est profonde la blessure de ceux qui ne seront jamais autorisés, en raison de leur manque de talent, à monter sur la scène. Le théâtre n’admet pas de demi-mesures, et le jugement du public, seul souverain, est implacable et sans appel. Madame Mnouchkine n’a-t-elle pas, dès qu’elle a compris que les fautes de quelques-uns blessaient certains membres et mettaient en péril le bon fonctionnement de la troupe, organisé elle-même une réunion au cours de laquelle tous ont pu prendre la parole ? Est-ce ainsi que se comporte le chef d’une secte ? N’a-t-elle pas accepté immédiatement la proposition du ministère de faire un audit extérieur et indépendant, et ne s’est-elle pas engagée à participer sans réserve à cette nouvelle enquête ? La justice punira les coupables et dédommagera les victimes. Mais qu’avez-vous besoin de rédiger un article dans lequel vous adoptez constamment le ton du procureur, jamais celui de l’avocat ? Croyez-vous être en droit de prendre la place du juge, qui ne serait alors qu’un justicier, ce dont heureusement le droit nous préserve ? Vous nous apprenez qu’Ariane Mnouchkine vous a reçue deux heures durant ; vous ne consacrez à cet entretien que deux lignes tout au plus, et semblez ne lui en tenir aucun gré. Comment pouvez-vous prendre pour argent comptant les accusations déplorables de quelques membres, qui par ont ailleurs le courage de demeurer anonymes : « monarchie absolue », « patriarcale », « cercle de courtisans », misogynie »… On se demande pourquoi les dénonciateurs sont restés aussi longtemps dans un tel enfer ! Et on s’étonne que le Soleil ait pu illuminer de tels chefs-d’œuvre dans une atmosphère aussi empoisonnée !

            Je le répète : Mediapart devrait faire attention. Nous sommes  quelques lecteurs à penser que, depuis le départ d’Edwy Plenel, le journal ne s'améliore pas. Les enquêtes en dénonciation, qui sont un peu l’apanage de Mediapart, doivent demeurer au niveau d’excellence où les a placées Fabrice Arfi. Elles ne doivent pas céder à la tentation de la calomnie, et moins encore à celle du ragot. Elles ne doivent pas non plus marginaliser les autres sujets, et n’accorder qu’une portion congrue aux analyses proprement politiques, ou d’économie politique. Ces deux thématiques doivent se voir accorder une égale importance. Et c'est ainsi que Mediapart conservera l’estime de ses lecteurs, dont il se flatte lui-même de dépendre à l’exclusion de tout autre, ce dont à juste titre il peut se glorifier.

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