Jacques FRADIN

Abonné·e de Mediapart

7 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 mars 2015

Jacques FRADIN

Abonné·e de Mediapart

Ce qui est caché derrière le "soutien" de Mélenchon à Poutine.

Jacques FRADIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le problème caché derrière la controverse sur “le soutien” de Jean-Luc Mélenchon à Vladimir Poutine : la question du réalisme ou du possible.

Suite à un article de Fabrice Arfi et d’Antoine Perraud, dans Médiapart du 5 mars 2015, Jean-Luc Mélenchon joue à saute-cadavre, une grosse polémique s’est enclenchée, à partir cet article qui accuse Mélenchon de « culte voué aux grands hommes » ou de « fascination pour la force guidant le peuple » qui « pousse Jean-Luc Mélenchon dans les bras de Vladimir Poutine ».

Nous ne tenterons pas de nous immiscer dans la controverse, dont le ballonnement devient explosif.

Nous allons chercher, plutôt, à décaler les termes du débat vers la question, plus fondamentale, du « réalisme » (en politique). Question (de « la pratique ») qui exigerait de très longues explications (politiques), mais qu’ici nous n’introduirons que de manière minuscule.

Pourquoi pendant longtemps, et à rebours de toute intelligence, le parti communiste (celui d’avant) a-t-il “soutenu” le « socialisme socialiste réalisé » ? Alors même qu’il était de connaissance commune, et bien exploitée par la propagande anti-communiste occidentale, que ce dit « socialisme soviétique réalisé » n’était ni soviétique ni socialiste, « le grand mensonge déconcertant » ?

Pour raison de « réalisme ».

Expliquons le sens spécifique que nous donnons, ici, à ce terme « réalisme », réalisme politique.

Il y a une différence, une opposition peut-être, entre le « possible » (à venir, en futur) et le « réalisé » (advenu). La métaphysique aristotélicienne, son « réalisme » foncier, sa position comme discours de la domination, impose de placer possible et réalisé dans un même champ technique ou constructible. Le réalisé, c’est le possible effectué concrètement, techniquement. Le possible, c’est du réalisé en puissance. Sinon, « ce n’est pas possible » !

Comment le « réalisme » pratique, artisanal, technicien, aristotélicien s’implique-t-il en politique ?

Par le principe, au pouvoir écrasant, que le possible politique (l’utopie concrète) doit se réaliser, s’effectuer en un régime politique positif (positif au sens du positivisme, empirique concret). Et, à rebours, que si aucune réalisation concrète n’advient, « alors ce n’est pas possible ».

Le possible est mis dans un même champ technique que le réalisé effectué : il n’y a de possible que le possible effectivement réalisable.

Une politique possible (le socialisme par exemple) doit donc se réaliser, se concrétiser en un régime politique effectif, disons en un État. Par exemple, l’État du socialisme qui n’est rien d’autre que le socialisme réalisé.

Et si le possible n’apparaît pas concrètement, alors il reste un rêve, une simple hallucination (du style des possibles licornes).

Ce technicisme réalisme aristotélicien exerce une hégémonie incontestée sur toute la pensée politique politicienne. Est “politicienne” une pensée politique aristotélicienne (ecclésiale, donc).

Existe-t-il des pensées politiques non aristotéliciennes ? Telle pourrait être la bonne et très difficile question (que nous n’aborderons pas ici – mais de telles pensées “autres” existent bien !).

En attendant, la politique politicienne, réaliste, concrète, à court terme, au jour le jour, spectaculaire, etc. domine le champ politique.

Elle domine et commande aux dits, faits et gestes des « hommes politiques » (les politiciens).

Mais elle domine également les « sujets » de ce champ ; disons les « citoyens ».

Un « citoyen » ne peut croire à un possible, et donc y adhérer et le défendre, voire le porter, que si ce possible est défini au sens aristotélicien, que si ce possible est concrètement réalisable (par une sorte de bricolage dominical – le « citoyen » est un bricoleur du dimanche, qui aime à sentir sous la main ses réalisations). Parlons, si l’on veut, de “matérialisme foncier” ; encore une fois il s’agit du réalisme aristotélicien, du réalisme de la fabrication technique.

D’où l’importance cruciale des réalisations concrètes avérées.

Le plus simple est, évidemment, le réalisme conservateur ou patrimonial : notre monde réalisé (à réparer peut-être), dans lequel sous sommes immergés, est le seul possible (« le meilleur des mondes possibles »). Le TINA universel est une sorte de couronnement de l’aristotélisme politique !

Aristote lui-même n’était-il pas aristotélicien ? Et comment expliquer l’aristotélisme de l’Église politicienne ? Ou le réalisme glacial et meurtrier de toute domination installée ?

Rappelons Louis Philippe, le futur bon roi des français, qui en 1830, juste après les journées révolutionnaire, annonce, en se désignant : la meilleure des républiques, la voilà !

Mais le TINA immédiat, autoritaire et conservateur, n’est pas la seule option (c’est, disons, l’option “maximisée”).

Néanmoins, toutes les options, réalistes, crédibles, “croyables”, “faisables”, aristotéliciennes, doivent partir d’un concret réalisé. Montrez-moi vos réalisations !

D’où l’accrochage désespéré du parti communiste (d’avant) au « socialisme réalisé ».

Pour deux raisons complémentaires : (1) montrer que le possible “communiste” n’est pas une hallucination, il s’est déjà réalisé ! (2) apporter, clé en main, au « citoyen » un chemin effectuable, puisqu’effectué, un procédé technique, carrément un truc (fix) pour bricolo. Parce que le « citoyen » est déclaré « terre à terre », présenté comme un jardinier matérialiste, empiriste, positiviste, etc. qui veut du résultat. Et sans doute aussi soumis que le « politicien » à l’aristotélisme du possible, ce possible pensé techniquement comme une construction en cours, effectuable, planifiable, économique.

D’où les accrochages “événementiels” (selon les circonstances et les opportunités – le « politicien » est toujours un opportuniste), qui à la Bolivie de Morales, qui à l’Équateur de Correa, qui au Venezuela de Chavez, qui à Cuba, etc.

Le soutien apporté à Poutine, déployé par Mélenchon, s’inscrit dans ce schéma métaphysique.

Mélenchon est un « politicien » : il fait de la politique politicienne, et se dira “réaliste”, réaliste un peu décalé, mais pratique quand même. La singularité, la rupture Mélenchon s’arrête juste avant « le rêve le plus fou ».

La défense de Poutine n’est pas seulement du style : les ennemis de mes ennemis (l’impérialisme américain) sont mes amis. Plus profondément elle articule un schéma technique du politique, un schéma pour « praticiens » (pour les ouvriers qui se mettent les mains dans le cambouis), pour amateurs de clous et de marteaux.

Elle s’inscrit dans une atmosphère anti-intellectuelle, atmosphère très ancienne mais réactivée régulièrement : l’anti-intellectualisme démagogique, qui peut virer au fascisme, des intellectuels organiques de la domination. Atmosphère corrompue par le faire et le faisable, la pratique, le réalisme, l’immédiat, etc. (contre l’infaisable, l’irréalisme, le futur lointain… des futures générations).

Une telle atmosphère délétère, lourde des émanations fascistes, un tel retour réactionnaire, est d’abord contre révolutionnaire. Car le possible, dégagé de la gangue aristotélicienne, se nomme « révolution ». Non pas ce qui doit se réaliser pratiquement par un cheminement positif, mais ce qui casse et dégage. On verra après !

L’aristotélisme est un gaz de combat pour la contre insurrection, préventive ou symptomatique.

Pièce à l’appui : un appel (du 10/03/2015) des Économistes Atterrés :

« Nouvelles politiques économiques en Amérique latine : le modèle néolibéral n’est pas une fatalité ! »

Les pays d’Amérique latine ont subi lors des années 1990 une répétition de crises financières et monétaires qui avait remis en cause le « Consensus de Washington ». Ce consensus était notamment établi entre le FMI, la Banque mondiale et les autorités états-uniennes et faisait de la libéralisation financière et de la dérégulation des économies la clé des « politiques de  développement ».

Depuis les années 2000, plusieurs pays d’Amérique latine ont cherché à développer des politiques économiques différentes, que l’on peut qualifier d’hétérodoxes et qui visent à atténuer les risques d’instabilité d’origine externe et à soutenir la croissance économique.

Lors de cette conférence, le cas équatorien sera placé au centre de la discussion. Le gouvernement de Rafael Correa s'illustre par sa volonté de réhabiliter la capacité du politique à transformer la société et à mener des politiques économiques volontaristes.

Le modèle néo-libéral et les politiques d'austérité ne sont pas une fatalité !

Les expériences menées de l’autre côté de l’Atlantique peuvent-elles servir de modèle pour la France et l’Europe, aujourd’hui enfermées dans des politiques d’austérité suicidaires ? Quels sont les instruments à disposition des gouvernements ? Quelles sont les marges de manœuvre pour discuter avec les institutions financières internationales ?

Pour répondre à ces questions, nous organisons une conférence-débat.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.