Philippe Riès ou la troisième imposture.
Un nouvel imposteur de l’économie.
À propos du « parti pris » (de la prise de parti et de la prise à partie) de Philippe Riès, Grèce, quelques observations politiquement incorrectes, Médiapart du 14 mars 2015.
Il y a peu, en 2012, Laurent Mauduit faisait publier son ouvrage sur Les Imposteurs de l’Économie.
Mais l’imposture dont il était question était finalement très limitée, limitée à ce que l’on pourrait appeler « collusion », conflit d’intérêts, copinage, népotisme, corruption, etc.
Des économistes “publics”, enseignants-chercheurs en économie, “négligeaient” de préciser qu’ils effectuaient des ménages, qu’ils étaient, en plus de leur fonction publique de recherche en économie, financés ou salariés privés de banques, de multinationales, etc. Exactement comme des chercheurs “publics” en biochimie, en génétique, etc., qui “oublient” de dire qu’ils sont salariés privés de laboratoires ou de firmes multinationales, et grâce à ce mensonge (par omission), à cette dissimulation, peuvent se présenter comme « indépendants ».
Il est une autre forme d’imposture, autrement plus grave parce qu’encore plus cachée ou invisible, qui est la prétention « scientifique » de l’économie. Laurent Mauduit semble ignorer cette forme plus redoutable.
Mais la dénonciation de cette seconde forme d’imposture dépasserait largement le cadre du journalisme, même le mieux intentionné.
Nous parlerons donc d’une troisième forme d’imposture, incarnée ici et maintenant par Philippe Riès (dans l’article mentionné). Forme qui consiste à truquer ou à “méconnaître” les résultats robustes (pour parler le jargon), non pas de l’économie dite scientifique (nous renvoyons à la deuxième imposture), mais tout simplement de l’analyse scientifique des faits empiriques observables (statistiques, par exemple).
Une vision idéologique unilatérale se concrétise par un effacement, un arasement d’une partie des données observables, soit dire par l’absence de prise en considération de la totalité du phénomène pour ne conserver que ce qui “valide” la vision. Faute scientifique évidente (nous la nommerons “faute stalinienne”) ou trucage idéologique des plus classiques. Voire dénégation pathologique de la partie des faits qui ne cadre pas avec la vision idéologique (ce que l’on reprochait aux “staliniens” !).
Il est facile de démontrer l’imposture que constitue l’article de Philippe Riès.
Regardons vers la fin de l’article : l’austérité, ça marche !
« C’est tout sauf une surprise. En dépit du déni d’un Joseph Stiglitz, aussi obstiné que son confrère « libéral » (au sens américain) Krugman, les programmes d’ajustement budgétaires recommandés par le FMI au moment de la crise financière asiatique, en 1997-98, ont atteint leur objectif, particulièrement en Corée du Sud et Indonésie. Objectif qui n’est pas, faut-il le répéter, de changer le monde ou la vie, mais de redonner aux pays en crise les moyens de leur indépendance financière tout en encourageant les réformes de structures permettant d’éviter une nouvelle sortie de route. »
La “critique” de Paul Krugman et de Joseph Stiglitz est plus une jouissance de journaliste épinglant deux “Nobel” qu’une affirmation fondée.
Où est alors le problème ?
Relisons la dernière proposition du paragraphe cité :
« Objectif qui n’est pas, faut-il le répéter, de changer le monde ou la vie, mais de redonner aux pays en crise les moyens de leur indépendance financière tout en encourageant les réformes de structures permettant d’éviter une nouvelle sortie de route. »
Évidemment, Krugman et Stiglitz ne parlent pas de la même chose que Riès.
Krugman et Stiglitz se placent du point de vue de la réalité en son ensemble (relire ici l’un des multiples livres de Stiglitz, Le Prix de l’Inégalité).
Si l’austérité, pardon : l’ajustement structural combiné à l’ajustement des finances publiques, permet d’apurer les comptes, de rétablir “la confiance”, soit dire de permettre à un groupe d’oligarques de continuer à exercer leur domination (financière et politique), permet le rétablissement du business as usual, elle ne le permet que moyennant une “transition” dévastatrice en termes de situation sociale voire politique.
Krugman et Stiglitz, vieux routiers du paradoxe de composition, se placent du point de vue ET de la finance, des comptes et des abstractions comptables ET du point de vue des “assujettis” dont la situation s’est fortement dégradée pendant la “transition”.
Comment alors faire un bilan ?
Comment mettre ensemble, dans un même compte (ce que j’ai nommé totalité de la réalité) ET les abstractions financières (les comptes au sens restreint de l’oligarchie) ET le désastre social (combien de suicidés ? combien valent-ils ?) ?
L’imposture de Riès vient de ce qu’il ne tente en aucune manière de construire un tel bilan.
Bilan difficile certainement, mais nécessaire.
Philippe Riès ne propose qu’une comptabilité truquée, pour laquelle seuls les aspects “positifs” apparaissent. Mais ces soi-disant “aspects positifs” ne sont que des abstractions comptables – donc ce sont déjà des nombres ou des grandeurs mesurées, c’est plus facile !
Revenons aux trois impostures.
La première, les conflits d’intérêts, semble vénielle, parce qu’uniquement vénale.
La deuxième, l’économie comme imposture, est la plus complexe à démêler. La plus dangereuse aussi !
La troisième, dont l’imposture à la Riès n’est qu’un exemple limité, celle du trucage ou du mensonge DANS l’économie, est la plus courante, la plus répandue. C’est celle qu’utilisent massivement (tous) les gouvernements pour trafiquer comptes et résultats (pensons au chômage, surtout lorsque l’on joue “sa carrière” sur ce chiffre). Et de ce point de vue, comme la statistique (économique) est la forme supérieure du mensonge, parler d’économie c’est « mentir comme on respire ».
L’examen unilatéral (intéressé) d’un phénomène, comme les politiques de rétablissement des comptes et des balances, sans se soucier des “effets collatéraux” (comme on dit aujourd’hui) est un mensonge classique (“stalinien”).
Il serait de l’honneur de Médiapart de dénoncer un tel trucage, au lieu de parler (encore une fois) de « liberté d’opinion » (de parti pris).
Déontologiquement, une « opinion » basée sur des faits falsifiés, tronqués, malmenés, incomplets, etc., n’est pas une « opinion » du tout. C’est un mensonge simple. Un mensonge typique d’un homme politique, disons “néo-chiraquien” ou corrézien.