Jacques Sapir a mis les pieds dans le plat, et a ouvert un champ nouveau à l'appréciation politique de la situation actuelle. Il préconise, pour sortir de l'Euro, une vaste alliance qui regroupe toutes les forces qui sont contre la monnaie unique, soit des forces de gauche, des souverainistes de droite et le FN.
Jacques Sapir met au poste de commande la question de la sortie de l'Euro. En lui donnant une priorité politique, il change la donne.
D'une part il fait passer la lutte défensive contre les effets du néo-libéralisme et son cadre européen, telle qu'elle est menée depuis des années à gauche, en une lutte offensive de reconquête de l'autonomie économique des états européens.
Ce qui implique une mobilité et une dynamique qui sous-entend que rien n'est fiché et que les acteurs peuvent évoluer.
Par ailleurs, il change la portée des questions politique : c'est la fin de la vision Terra Nova de la société, du combats pour des questions relativement marginales même si elles ont leur importance, et la mise en avant d'une question qui intéresse des masses énormes : à savoir la lutte contre un monnaie qui bénéficient à des privilégiés, au détriment des salariés dont le pouvoir d'achat n'a cessé de baisser. Outre la dégradation progressive des salaires directes, c'est la partie indirecte des salaires ( la partie de ce que paient les employeurs qui vient alimenter la Sécurité sociale, les retraites, les droits à la formation ) qui a le plus souffert, entraînant des effets d'austérité qui ont amené l'appauvrissement des institutions publiques, école et hôpitaux en première ligne.
Avoir nommé le Front National comme un allié vient rompre avec un mantra qui en fait le repoussoir absolu, dont le PS a usé et abusé. Mais, il faut regarder la vérité en face. En 2005, c'est l'alliance de fait de l'électorat frontiste, de l'électorat souverainiste, et de l'électorat de la gauche non sociale-démocrate qui a abouti au succès du non.
L'alliance entre la gauche non-sociale démocrate et le PS restait possible tant que le mythe de la nécessité de l'euro et de sa possible démocratisation restait un mantra partagé. Mais la situation actuelle, la démonstration de la nature de l'Euro-zone par la crise grecque et l'échec de la tentative de réforme pat Tsipras, ont amené une poussée de l'acceptation à gauche de la sortie de l'Euro.
Dès lors les choses prennent une autre tournure en Europe. Stefano Fassina, membre du PD, ancien ministre du gouvernement Monti, maintenant en rupture avec le gouvernement italien actuel, préconise la constitution de Fronts de Libération Nationaux, où pourraient se retrouver des partis de droite.
C'est clairement comparer la situation actuelle à celle qui précéda la libération du nazisme. Mais bien sûr la situation européenne et internationale est totalement différente. Cependant il y a, comme à l'époque, la nécessité d'une dynamique de rupture. L'affrontement est clairement posé : euro-philes contre sécessionnistes.
La question de qui est hégémonique dans le bloc de rupture est évidemment centrale, et varie suivant les pays. En France, la poids du FN est énorme, d'autant que la gauche non-socialiste est encore divisée sur la rupture.
A moins de deux ans de l'échéance présidentielle, elle devient dramatique. Que se passera-t-il à gauche si le second tour oppose Marine Lepen à Nicolas Sarkozy, Juppé, Valls ou François Hollande ? Nous aurons un affrontement entre ceux qui bénéficient de l'euro et ceux qui en pâtissent. Il est fort probable que ceux-là auront choisi leurs candidats dès le premier tour, et je ne pense pas que ce soit Hollande. Le thème FN=Nazi pèsera-t-il dans le choix, et une union républicaine contre le fascisme viendra-t-il au secours de l'euro, soit de ce qui réduit à la misère une bonne partie de la population européenne.
Le choix va être difficile, et le mérite de Sapir est de nous mettre la tête dedans.
Il est, à mon sens, fort probable, si un courant de sortie de l'euro conséquent apparaît à gauche, que le FN lui fera des ouvertures. Que se passera-t-il alors ?
À mon sens, pas d'autre choix à gauche que de peser en avançant une sortie de l'euro qui soit aussi une sortie de l'austérité et d'avancer vers des réformes tant économiques et sociales qu'écologiques de la société française. La compréhension de la situation et des problèmes à venir, en particulier de la nature de ce que sont aujourd'hui les alliances sont la clé d'une position offensive à gauche. Sapir a le mérite de nous obliger d'y penser.